: Présentation
Notes du metteur en scène
Ces fables modernes nous racontent les destins de deux jeunes
hommes.
Deux crimes familiaux où les pères sont les assassins de leurs
enfants (directement dans Affabulazione et indirectement dans
Porcherie). Où les fils ne réagissent plus comme d’habitude les
enfants réagissent, par révolte ou par soumission. Où les fils se
placent au delà de l’action, au delà du conformisme de la révolte.
Peut-être pour vivre par leurs actes une véritable différence d’avec
leurs pères.
Au centre de ces deux histoires, les questions de l’héritage, de la
jeunesse et de son positionnement face au monde, de la
recherche – pour un fils dans Porcherie, pour un père dans
Affabulazione – d’une vie qui leur appartient réellement.
Nous travaillons sur les deux textes d'Affabulazione et de
Porcherie afin d'étendre la réflexion que chacun de ces deux
textes proposent.
Ces pièces offrent le même cadre familial d'origine, soit la
configuration suivante : un père, une mère, un fils. Au départ donc,
il y a deux familles et très vite prend naissance dans chacune
d'elles un élément perturbateur qui vient changer et remettre en
question le cadre d'origine.
Pour nous, penser conjointement les crises à l'oeuvre dans ces
deux fables, c'est inventer un terrain de résonances communes qui
soit comme un grand terrain de jeu. Où les idées de ce maître à
penser que fût Pasolini puissent devenir sensibles, dans les
singularités irréductibles mais aussi par leurs forces communes.
Céline Massol
Pier Paolo Pasolini
Pour comprendre la vie de Pier Paolo Pasolini, il faut connaître les circonstances
de sa mort.
Son existence, son oeuvre chaotique et contradictoire ne prend sens que dans sa
mort : massacré à coup de planches, la tête fracassée, les membres désarticulés,
écrasé par sa propre voiture, le corps déchiqueté de Pier Paolo Pasolini est
découvert dans un terrain vague près d'Ostie, dans le décor même de son
premier film, victime d'un lieu qu'il avait lui-même fréquenté et décrit dans
Accatone ( Le Mendiant) - 1961- et Mamma Roma - 1962 - ou dans les Raggazi
( Les mauvais garçons) -1955.
Nous sommes à l'aube du jour des Morts, le 2 novembre 1975. Pier Paolo
Pasolini avait 53 ans. Un garçon de dix sept ans, prostitué notoire s'accuse
aussitôt du crime avec une insistance ostentatoire, revendiquant la légitime
défense. Assassinat ? Meurtre sexuel ? Crime fasciste ? Mort prédestinée, mise
en scène par Pasolini lui-même ? Autant de questions qui resteront sans réponse.
Toute sa vie, Pasolini est torturé par la mort. Son adolescence narcissique porte
déjà ce sentiment obsédant de la mort.
Dans son premier recueil de poésies Poesie a Casarsa – 1942 - écrit dans le
dialecte frioulan, sa langue maternelle, Pasolini se définit un "éternel enfant",
"enfant de chair", "enfant de lumière" mais aussi "enfant de mort".
Il n'assumait pas le passage de l'adolescence - le temps des jeux innocents, des
baignades dans le Tagliamento, des longues promenades à bicyclette - à la vie
d'homme.
En 1945, son jeune frère Guido est assassiné lors d'un combat entre partisans le
long d'une frontière Yougoslave. Cette mort restera une constante de sa vie.
Toujours Pasolini portera un sentiment de culpabilité à l'égard de son frère mort
héroïquement pour sa patrie - son frère martyr, supplicié, mort dans son
enthousiasme de la vie, dans l'innocence de sa jeunesse, dans l'illusion d'un idéal
possible.
Pasolini refuse de prendre les mêmes armes que son frère ; il prend celles de la
poésie, de la langue. A travers des mots, il cherchera à venger, à réparer
secrètement le destin barbare de Guido.
La mort de Guido met Pier Paolo sur la voie de la création.
Dès 1945, il engage une forte action culturelle et politique dans le Frioul. Il fonde
l'académie de la langue frioulane et poursuit sa production dialectale.
Il découvre le marxisme à travers la lecture de Gramsci. En 1946, il adhère au
Parti Communiste Italien. Il en sera exclu en 1949 pour indignité morale, perdant
du même coup sa place d'enseignant.
De plus, le conflit familial qui l'oppose à son père Carlo Alberto, officier
d'infanterie, rentré de captivité ne cesse de s'aggraver. En 1949, il quitte Casarsa
pour Rome emmenant avec lui sa mère Susanna, sa mère dont il ne séparera
jamais.
Rome c'est le début d'une autre vie, d'une autre création.
Confronté au sous-prolétariat romain, il se voit réduit pendant deux ans au
chômage et à la misère avant de trouver un modeste emploi d'enseignant.
Son père est venu rejoindre la famille à Rome, créant de nouveau une situation
fort pénible qui ne prendra fin qu'à sa mort. En 1958, Carlo Alberto Pasolini
mourra alcoolique et paranoïaque.
Des bas quartiers romains, de l'enfer des "Borgatari" ( banlieusards de Rome, de Ciampino ou de Ponte Mammolo) nait son premier roman : Ragazzi di Vita (Les
mauvais garçons) - 1955 - auquel succèdera Una Vita Violenta (Une vie
Violente) – 1959 - monde de prostituées, de souteneurs, de pédérastes ; monde
de la corruption d'où sourd une étrange pureté. Ces deux romans lui valent la
notoriété mais il se voit, du même coup intenter un premier procès pour obscénité - procès qui ouvre la voie à une longue série de persécutions judiciaires. De 1949
à 1979, Pier Paolo Pasolini n'eut pas moins de 33 procédures à affronter !...
En 1957, il obtient le prix Viareggio avec Le Ceneri di Gramsci (Les cendres de
Gramsci), c'est sa première reconnaissance en dehors de la gangue dialectale.
En 1961, il tourne son premier film Accatone, sans même connaître quelques
rudiments de la technique cinématographique. Il est convaincu de trouver par le
cinéma un autre langage, une autre poésie, pouvoir enfin atteindre la réalité dans
ce qu'elle a d'immédiat. Sa création poétique et sa production cinématographique
tendront à se compléter dans une même recherche : resacraliser l'homme -
l'homme d'en bas, né de la nature mère.
En 1964, Il Vangelo secondo Matteo (l'Evangile selon Saint Matthieu) est primé
au festival de venise.
En 1964, Poesie in forma di rosa (Poésie en forme de rose) marque un point de
rupture: la création Pasolinienne s'obscursit.
Il dénonce son désespoir culturel : l'échec de la révolution - le sous prolétariat
n'aspire finalement qu'à la petite bourgeoisie - et l'illusion d'écrire de la poésie - la
littérature a perdu toutes capacités de médiation. Il crie contre l'a-culturation, le
fascisme de la consommation, la fausse tolérance, causes d'une dégénérescence
de nos sociétés.
En 1975, hanté de manière obsessionnelle par son passé heureux à Casarsa
dans une espèce de vitalité désespérée, il revient à son oeuvre première. Il réécrit
ses poèmes d'enfance publiés sous le titre : {La Nuova Gioventu (La nouvelle
Jeunesse}).
Teorema (Théorème) -1968/ Porcile (Porcherie) - 1969/ (Salo) – 1975, sont trois cris de désespoir - trois visions apocalyptiques du monde. Trois films qui ramènent le monde au chaos originel, au néant, au désert.
Edipo Re ( Oedipe Roi) - 1967 / Medea (Médée) - 1970 sont deux descentes
poétiques dans les profondeurs du mythe, aux sources de la civilisation.
Pasolini y découvre, dans sa perception du sacré, de purs symboles
autobiographiques.
Il Decameron ( Le Decameron) - 1971 / I racconti di Canterbury ( Les contes
de Canterbury) - 1972- Il fiore delle mille e una notte ( Les contes des mille et
une nuits) – 1974.
Trois chefs d'oeuvres de la littérature romanesque médiévale européenne et
méditerranéenne. Une trilogie de la Vie où la liberté du corps devient langage :
les corps se dénudent, se désirent, s'étreignent, jouissent dans une pleine
lumière.
Dans un article publié le 09 novembre 1975, Pier Paolo Pasolini abjure la Trilogia
della Vita...
Autour des années 70, la vocation polémique de Pasolini s'intensifie, il entreprend
dans la presse - Corriere della Serra, Il Tempo, Il Caos, Vie Nuovi une
diagnose pénétrante et visionnaire des désastreux effets sociaux d'un nouveau
fascisme fondé sur la jouissance aliénante de biens matériels superflus.
Dans les trois derniers mois de sa vie, il intente un procès public aux plus hauts
dignitaires du pouvoir en place, responsables du naufrage de son pays.
L'ensemble de ces articles corrosifs font l'objet de ses deux derniers recueils : Scritti Corsari (Les écrits Corsaires). Lettere Luterane (Les lettres Luthériennes).
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