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Das System (Le Système)

+ d'infos sur le texte de Falk Richter traduit par Anne Monfort
mise en scène Stanislas Nordey

: Entretien avec Stanislas Nordey

Comment et pourquoi avez-vous décidé de présenter des oeuvres de Falk Richter ?


Stanislas Nordey : C’est en continuité très logique avec mon parcours de metteur en scène. Il y a quelques années, je me suis intéressé à Martin Crimp, dans le cadre d’un travail avec les élèves de l’École du Théâtre national de Bretagne, en présentant Atteintes à sa vie. Ce fut une rencontre très importante parce que Martin Crimp, encore plus fortement que Sarah Kane, a influencé toute une génération d’auteurs qui se réclament de lui, comme par exemple Fausto Paravidino, dont j’ai monté Gênes 01 et Peanuts l’an dernier, et Falk Richter. C’est dans cette continuité que se situe mon désir de traverser l’oeuvre de cet auteur allemand contemporain dont j’ai lu la totalité de l’oeuvre. Le fait qu’il y ait eu une adhésion très forte du public, en particulier d’un public jeune, au spectacle Gênes 01 m’a renforcé dans l’idée qu’il fallait faire entendre cette parole de Richter pour continuer mon dialogue avec ce public sur la question d’un théâtre politique.
Tout d’abord je me suis attaqué à un premier texte, une sorte de prologue assez court Sept secondes, In God we Trust. J’ai poursuivi avec Nothing Hurts présenté en avril à Monte Carlo et Das System que je mets en scène pour le Festival d’Avignon.


Das System est un projet global. Comment le définiriez-vous ?


Falk Richter en a fait un projet évolutif qui s’est déplacé au cours de la réalisation. À l’origine il y a des pièces qui s’intéressent à la télé-réalité, à l’art contemporain… Après les débuts de la guerre en Afghanistan, puis de la guerre au Kosovo, les jeunes allemands invités à participer militairement à ces conflits se trouvent dans une situation nouvelle, puisque depuis la fin de la seconde guerre mondiale, ils ne devaient pas participer à des conflits extérieurs. Ce questionnement assez violent déclenche chez Falk Richter la nécessité d’écrire l’équivalent de ce que Edward Bond a appelé Les Pièces de Guerre. Das System évolue donc vers une prise en compte politique des événements qui se déroulent pendant que l’auteur écrit et qui témoignent d’un trouble profond tout à fait palpable dans la société allemande. Dans un premier temps, cela se présente comme un ensemble se composant d’un gigantesque monologue mettant en scène l’auteur lui-même, entrecoupé de pièces en un acte avec des personnages de fiction. Par la suite Richter ajoutera d’autres pièces comme Sous la Glace et Electronic City. Mon travail s’organisera a priori plutôt autour du monologue auquel s’ajouteront peut-être des extraits de son journal personnel pour entamer une conversation avec l’auteur. Pour l’instant les acteurs et moi lisons toute l’oeuvre de Richter et le choix définitif des textes se fera vraiment au dernier moment quand il faudra organiser le spectacle.


Ce problème de l’intervention militaire allemande dans les guerres contemporaines n’est-il pas un peu éloigné de nos problèmes hexagonaux ?


Oui si on en reste à ce questionnement, mais Falk Richter se pose surtout la question des raisons pour lesquelles les Allemands doivent participer à cette guerre et il rejoint là des préoccupations plus universelles. Quand le chancelier Schröder a justifié la présence allemande sur les champs de bataille, il a dit : “Nous y allons pour défendre notre mode de vie”…. C’est cela que questionne vraiment Falk Richter : “Qu’est-ce que notre manière de vivre en Occident ?” Il est très précis là-dessus puisque le sous-titre d’Electronic City c’est “notre manière de vivre”. C’est en ce sens que son théâtre est proche de nous et de nos questionnements, d’autant plus qu’il s’interroge aussi sur lui-même et son propre environnement.


Vous allez donc travailler comme Falk Richter en composant votre spectacle par fragments ?


Oui, en questionnant à chaque fois la forme de représentation comme le fait l’auteur. Il y a dans son travail un côté palimpseste qu’il faut retrouver dans notre spectacle. Il reprend parfois des morceaux d’une pièce dans une autre, il efface d’autres parties, il se plagie, il se pille… C’est un mouvement perpétuel tout à fait passionnant, d’autant qu’il est aussi metteur en scène.


Vous conserverez la même forme que celle utilisée dans Sept Secondes qui est une adresse face public ?


La forme proposée pour Sept Secondes tient au fait qu’il s’agit d’un texte choral. À Avignon il y aura une forme différente, plus scénographiée. Comme nous sommes dans un processus de work in progress tout est possible…


Vous avez lié depuis plusieurs années votre travail de metteur en scène et votre travail de pédagogue. Avez-vous envie de continuer sur ce chemin ?


Certainement car c’est une pratique peu développée en France au contraire de l’Allemagne et des pays d’Europe centrale. Par définition, dans ces pays, la troupe est liée à une école, ce qui permet un lien entre la recherche et l’apprentissage. J’aime aussi mélanger des acteurs de générations différentes (à Avignon avec les élèves de l’École du T.N.B. il y aura aussi notamment Olivier Dupuy et Laurent Sauvage) pour faire ce théâtre politique, ou plus précisément ce théâtre d’aujourd’hui, qui me questionne tout à la fois sur le fond et sur la forme. À la suite de réflexions que j’ai partagées avec Luca Ronconi quand j’étais à l’Académie expérimentale des théâtres, je pense qu’il est nécessaire de faire prendre conscience aux jeunes acteurs du monde dans lequel ils vivent avant de les lancer sur un plateau. Cela passe par un travail constant sur les textes, travail à la table le plus souvent, mais aussi lecture quotidienne des journaux, lecture des grands auteurs du siècle. Le projet Richter appartient à cette démarche.


Comment pourriez-vous définir ce nouveau théâtre politique aujourd’hui ?


Je me référerais plutôt à Peter Weiss qu’à Brecht pour définir ce théâtre, notamment à son texte Notes pour un théâtre documentaire, car nous sommes dans une période où nous avons le sentiment que les mass média soit ne disent plus rien, soit donnent de fausses informations. Comment le théâtre peut-il se substituer à ces organes d’informations défaillants pour dire la vérité des choses ? C’est à cet endroit que le théâtre de Falk Richter m’intéresse car il n’est pas un théâtre didactique, pas un théâtre d’agit prop fait pour être joué dans des usines ou sur la place publique. Il rejoint par là Pasolini qui, dans son Manifeste pour un nouveau théâtre, dit qu’il ne s’adresse pas aux ouvriers mais aux élites bourgeoises éveillées qui fréquentent les théâtres.


Falk Richter écrit beaucoup à partir des images que nous proposent les médias. Dans votre mise en scène utiliserez-vous des images vidéo ?


Falk Richter parle des images vidéo et il les utilise sur scène. Moi je suis plus méfiant car l’image vidéo est cannibale sur un plateau de théâtre et il faut donc être très attentif quand on l’utilise. Avec Falk Richter ou Fausto Paravidino, on n’a pas besoin d’images puisque le texte parle de l’omniprésence de l’image et il me paraît plus intéressant de faire passer ça par l’acteur, par son imaginaire, par sa voix. Comme Peter Brook, je pense qu’au théâtre plus on en montre moins on entend. Quand Paris Match fait sa publicité avec “Le poids des mots, le choc des photos”, je me dis qu’au théâtre le choc des images ne m’intéresse pas alors que je veux entendre le poids des mots. J’ai la sensation que mes spectacles sans image, mais où l’on tente d’aller au fond des mots, sans échappatoire, sont parfois plus violents pour le public que des spectacles avec des images provocantes. Qu’est-ce qui choque le plus : voir sa femme en photo en train de faire l’amour avec un autre homme ou l’entendre vous dire les yeux dans les yeux : “Je ne t’aime plus” ? Je pense que la parole est plus violente, et encore plus au théâtre. Mais cette question des images est aussi liée au rôle des metteurs en scène…


Vous ne vous sentez plus metteur en scène ?


L’omnipotence du metteur en scène peut être très gênante. À ma manière, j’essaye de mettre l’acteur au centre du travail en lui laissant par exemple la liberté totale de ses mouvements sur le plateau soir après soir. Il faut trouver la place juste de la mise en scène qui doit générer des aventures, proposer des problématiques de textes en laissant toute la place aux acteurs et aux mots qu’ils prononcent.


Après avoir alterné création de textes dits classiques et création de textes contemporains, on a l’impression que vous privilégiez maintenant les textes d’auteurs contemporains vivants. Pourquoi ?


La mise en scène m’intéressant de moins en moins, c’est un peu une survie que d’être dans une interrogation plus large du présent. D’où ce glissement que vous signalez. Comme je ne fais pas de projection de carrière, ni au théâtre ni à l’opéra, je préfère travailler sur des créations plutôt que sur le répertoire. Quand je reprends mon activité de metteur en scène, c’est pour faire plaisir à un acteur ou une actrice, ce qui fut le cas pour Valérie Lang qui voulait jouer Électre de Hofmannsthal. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est le geste pédagogique et le plaisir de redevenir acteur comme je viens de le faire avec Anatoli Vassiliev.


Ce travail avec Anatoli Vassiliev a-t-il modifié votre rapport aux acteurs ?


On ne peut rien voler à Vassiliev quant à la mise en scène. Par contre, il m’a révélé beaucoup de choses très secrètes sur moi en tant qu’acteur et je peux lui emprunter ses talents de maïeutique dans mes activités de pédagogue. Curieusement, la façon qu’il a de faire accoucher les acteurs n’est pas très éloignée de ce que je peux pratiquer de mon côté, ce qui explique sans doute la rencontre que nous avons eue. Il a aussi confirmé des intuitions que j’avais en enseignant.


Vous avez fait des études de comédien au Conservatoire national supérieur d’Art dramatique de Paris. Comment êtes-vous passé à la mise en scène ?


J’avais commencé à faire des mises en scène dans les cours de théâtre que donnait ma mère qui m’a confié très tôt des responsabilités à ses côtés. C’est avec elle et ses élèves que j’ai monté La Dispute dans le Off quand j’avais un peu plus de 20 ans. Ensuite j’ai continué au Conservatoire avec mes camarades.


C’est de là que vous vient ce goût que l’on vous a attribué pour les troupes de théâtre ?


Je crois que ce sont les personnes à l’extérieur qui ont donné ce nom de troupe au groupe que nous formions et qui était assez informel, qui se constituait par agrégats de hasard. Comme tout se passait bien entre nous, c’est devenu une sorte de galaxie qui a trouvé au Théâtre des Amandiers de Nanterre, dirigé alors par Jean-Pierre Vincent, un lieu d’hébergement. Aujourd’hui les comédiens ne sont peut-être plus aussi enthousiastes par l’idée de troupe car certains peuvent se sentir prisonniers. En y réfléchissant je pense qu’on ne peut pas intégrer une troupe dans une institution. Il faut créer un nouveau lieu si on veut travailler en troupe, comme a pu le faire Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie ou François Tanguy au Théâtre du Radeau.


Dans votre formation avez-vous eu des maîtres, des références incontournables, des admirations absolues ?


Je n’ai pas trouvé mes maîtres dans la génération de mes pères mais dans celle de mes grands-pères. C’est Copeau, Dullin, Baty qui ont constitué mes références et je les relis toujours. J’ai toujours eu le regret de ne pas avoir connu Vitez dont les écrits me semblent souvent très proches de ce que je peux penser sur le Théâtre d’Art et sur la pédagogie. J’ai par ailleurs passé un an dans la classe de Jean-Pierre Vincent au Conservatoire. C’est un grand pédagogue. Il m’a aidé à constituer mon acteur en me donnant une ou deux clés essentielles. De la génération de mes pères c’est vers la bande Peyret-Jourdheuil, dont je dévorais tous les spectacles et qui m’ont fait découvrir Heiner Müller et Peter Brook que je lorgnais. C’est le théâtre du divertissement de la pensée qui m’intéresse, un théâtre où le spectateur est dérangé, parfois mal à l’aise, un théâtre dont la compréhension n’est pas forcément immédiate. J’ai le même sentiment avec les textes de théâtre que je lis, car si je comprends tout à la première lecture je n’ai plus envie de le monter. Je suis passionné par la question de savoir s’il faut travailler pour le public ou contre le public, tout contre, sans rechercher la provocation gratuite qui ne mène à rien.


Vous semblez vous intéresser plus aux auteurs contemporains étrangers ?


Pour ce qui est de la question du politique et de l’écriture dramatique en regard avec la marche du monde qui nous entoure il est vrai qu’à part Michel Vinaver, les Français ont une tradition qui les incline plus au poème qu’au politique. Mais il y a aujourd’hui un frémissement : Melquiot, Pellet ou Sonia Chiambretto pour en citer quelques exemples.


Propos recueillis par Jean-François Perrier en février 2008

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