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Dans ce jardin qu'on aimait

mise en scène Marie Vialle

: Entretien avec Marie Vialle

Propos recueillis par Marc Blanchet

Votre spectacle, Dans ce jardin qu’on aimait, adapté d’un récit de Pascal Quignard, est d’abord une histoire d’amour et de musique...


Marie Vialle : Pascal Quignard s’est inspiré d’un personnage réel, Simeon Pease Cheney, un pasteur américain de la seconde moitié du xıxe siècle, qui était aussi ornithologue et musicien. Un siècle avant Olivier Messiaen, il a scrupuleusement noté les chants des oiseaux de son jardin, mais également « l’eau du robinet qui goutte dans un seau à demi plein », ou le tourbillon des vêtements pendus à un portemanteau dans un courant d’air. Tous les bruits du monde étaient pour lui de la musique ! Il en a consigné les partitions dans un livre, Wood notes wild : Notes de la forêt sauvage ». Dans le roman, en donnant naissance à leur fille, la jeune épouse du personnage meurt et, par amour pour celle-ci, il s’enferme dans le jardin où elle aimait vivre. Il s’imprègne de ce qui reste de sa présence. C’est à la fois un deuil et une écoute du monde, qui se révèle ainsi à lui dans toute sa splendeur. Le pasteur chasse sa fille, Rosemund, parce qu’en grandissant elle ressemble trop à son épouse disparue. Mais elle finit quand même par revenir l’assister dans son œuvre. Ils se retrouvent ainsi, au-delà du deuil, dans l’émerveillement du chant du monde, dans ce que Pascal Quignard appelle « un étrange mariage entre le père et sa fille ». C’est comme un conte de Peau d’âne à l’envers. Je joue Rosemund et j’ai demandé à Yann Boudaud de jouer Simeon parce que son jeu est très concret et peut autant rendre sensible le deuil de cet homme qui s’adresse à son épouse disparue, que sa cruauté envers sa fille ou encore la profondeur de son écoute du monde.


C’est votre cinquième collaboration avec Pascal Quignard. Qu’éprouvez-vous à la lecture de ses livres et au renouvellement d’un travail commun ?


La découverte de ses livres me remplit toujours d’allégresse et c’est cette émotion, plus qu’une réflexion précise, qui devient parfois un désir de les mettre en scène. Je ne prends conscience qu’après coup de ce que m’a apporté le travail. Notre façon de travailler est évolutive et dépasse le cadre d’une adaptation stricte. Pascal Quignard n’hésite pas à reprendre ses écrits, à les couper ou à retrancher en fonction de ce qui se passe sur scène, avec une ouverture d’esprit remarquable. C’était le cas avec notre précédent spectacle, joué au Festival d’Avignon en 2016, La Rive dans le noir, où nous étions ensemble sur le plateau. C’est une manière très simple et riche de collaborer, comme une sorte de pacte entre nous.


Quelles sont les caractéristiques de votre adaptation de son livre ?


Pascal Quignard avait donné à son livre une forme théâtrale qui lui est propre (des tableaux, des dialogues, un narrateur). Nous en avons tiré ensemble une première version pour la scène, simplifiée et condensée. Nous avons notamment resserré le texte sur les seuls personnages de Simeon et Rosemund. Je suis ensuite allée chercher la source du roman : le livre de Simeon Pease Cheney, Wood Notes Wild, avec ses partitions, dans l’idée de les jouer dans le spectacle. Avec le dramaturge David Tuaillon, j’ai cherché à intégrer ces observations d’oiseaux au texte de Pascal Quignard. Cela nous a obligés à nous interroger sur la démarche du vrai pasteur et, au-delà de lui, sur le sens et la valeur que nous donnons à l’écoute des chants d’oiseaux : que nous apportent-ils vraiment ? Quelles pensées ouvrent-ils en nous ? Que nous disent-ils de notre lien à la nature ? À la création artistique ?
Nous en sommes venus à brasser un grand nombre de lectures et de documents sur ces questions, des travaux de musiciens comme Bernie Krause, Antoine Ouelette ou Luc Ferrari, et bien sûr Olivier Messiaen, ceux du bioacousticien Jean-Claude Roché, des philosophes Vinciane Despret et Baptiste Morizot et beaucoup d’autres – y compris d’autres écrits de Pascal Quignard, en particulier sur la musique. Cela nous a également permis de dessiner pour Rosemund un parcours personnel, détaché de celui de son père sur lequel est centré le roman, en mettant en œuvre le concept de « ritournelle » de Gilles Deleuze. Rosemund s’est trouvée endosser un rôle de narratrice. Elle porte dès lors une tension entre le passé et le présent qui lui accorde une place aussi importante que celle de son père et permet de fonder une adresse aux spectateurs, comme un passage de relais à travers les frontières du temps. J’ai ensuite demandé à Éric Didry de collaborer à la mise en scène et d’articuler ce passage au présent du récit. Le livre d’origine est finalement devenu un creuset où se mêlent des sources très variées, d’autres livres et d’autres réflexions, que ma première lecture a appelés progressivement en s’approfondissant.


Vos mises en scène témoignent d’un certain minimalisme. Pour quelles raisons choisissez-vous une telle épure ?


Il est vrai que je me méfie de ce qui « fait décor ». J’évite autant l’image de la boîte noire épurée que celle de l’écrin qui magnifie. Mais je n’ai pas pour autant de goût pour le minimalisme en soi, il s’impose à moi selon les sujets. Je cherche plutôt à m’accompagner d’éléments concrets et essentiels qui produisent de la matière sur la scène et du jeu avec les interprètes. Je recours ainsi souvent à des accessoires simples, réels, et j’accorde de l’importance au sol, pour leur donner une texture. Ici, ce sont des plaques de cuivre finement assemblées, mais qui, avec la lumière de Joël Hourbeigt, évoquent le passage des saisons, le flux du temps, mais sur un mode sensuel. Notre travail sur cette scénographie avec Yvett Rotscheid a consisté à rassembler des éléments et des nécessités divers dans un seul et même geste – comme l’oiseau jardinier qui construit son nid avec tout son corps : le nid, l’appel à l’autre, le chant, son corps, sont inséparables, il fait tout avec toute sa vie. L’enjeu est de trouver un espace entre une contemplation abstraite et l’existence d’un jardin décrit par le texte, un lieu qui n’est ni dans le monde réel, ni dans la fiction, qui appartienne à la scène et existe de plein droit, qui fasse résonner les images et permette de déployer un temps propre, suspendu, où projeter un univers, un peu comme un rêve.


  • Propos recueillis par Marc Blanchet
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