Né dans la rue à Marrakech d’une intuition fulgurante de son auteur, Corbeaux, création unique en son genre, possède la force, l’impact et la vérité de ce qui a surgi dans l’urgence. Si au départ il s’agit d’une vision, celle de femmes, la tête couverte de fichus blancs, exultant autant de joie que de rage, cette vision venue de la rue où évolue la foule a très vite pris corps tant elle correspondait à une nécessité profonde. Que ce soit devant le parvis de la gare à Marrakech, dans une rue du centre de Bruxelles ou aujourd’hui à Gennevilliers, cette performance qui mêle amateurs et danseuses professionnelles saisit par l’évidence autant que par la liberté de qui s’y exprime. Bouchra Ouizguen se souvient qu’elle travaillait sur un autre projet quand elle a ressenti le désir d’investir la rue avec « une horde de corbeaux sans âges ». Cette danseuse et chorégraphe marocaine basée à Marrakech nourrit son œuvre de questionnements sur la société, les arts visuels et les arts populaires. Elle sillonne le Maroc avec son équipe à l’écoute des contradictions mais aussi des coutumes de son pays à la réalité complexe. Si Corbeaux rend compte à sa façon de cette réalité dans sa spontanéité apparente, la performance – vocale et chorégraphique – va au-delà parce qu’elle est un cri universel. À la fois jeu, chant, prise de pouvoir – forcément précaire –, c’est l’affirmation d’autant plus convaincante qu’elle est collective d’une vie trop souvent étouffée qui soudain se libère. En quoi l’on peut dire qu’une représentation de Corbeaux est toujours de bon augure.