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Comme une isle

+ d'infos sur l'adaptation de D’ de Kabal ,
mise en scène D’ de Kabal

: Note d’intention du metteur en scene

« Comme une Isle » est le témoignage d’une femme qui évoque sa filiation singulière juive et antillaise, et son parcours de militante au sein du parti communiste et qui s’interroge sur les motivations d’un engagement politique qui a déterminé le sens de sa vie.


Du témoignage à l’acte artistique


Elle a souhaité que son texte devienne un spectacle et m’a fait le grand honneur de me proposer cette aventure, suite d’un compagnonnage et d’une belle relation entre le Théâtre Antoine Vitez d’Ivry, qu’elle dirige, et mon travail et celui de ma compagnie, RIPOSTE. Par cet acte, symboliquement très fort, elle témoigne de sa volonté de transmettre à la nouvelle génération son histoire, celle de sa posture face au monde en même temps qu’elle accepte la possibilité de transformation de cet héritage par le regard nouveau que je poserai nécessairement sur un parcours politique que je n’ai pas vécu quand bien même un même état de révolte et de combat nous rassemble.
Par cet acte, elle nous rend également responsable de l’éventualité de le prolonger ou de l’arrêter : lourde charge et projet magnifique…


Animée par un besoin insatiable de comprendre le monde, interpellée par ses injustices, Leïla Cukierman ne conçoit son existence que dans l’action et la lutte politique : changer l’ordre des choses pour répondre à la violence sociale et politique de notre monde. Dans ce récit de vie, le moi n’est jamais auto-référencé, il se définit toujours par rapport aux évènements politiques extérieurs auxquels il se confronte : intime et politique se mêlent pour ne former qu’une parole, celle d’une femme qui évolue au rythme des évènements politiques qui la traversent.


Leïla Cukierman puise dans ses souvenirs pour raconter ce qui, dans son parcours, a motivé son engagement, sa posture singulière face au monde.
Telle une sociologue à la recherche d’explications éclairant ses choix, elle retrace son enfance, l’héritage familial, tant culturel que politique, son identité atypique, tout à la fois juive et antillaise, qui ont conditionné en grande partie son parcours et fortement influencé ses idées, son sens de la justice, sa préoccupation de l’humain, la nécessité du combat toujours.


Parole, voix et matière sonore


Au sein de « Comme une Isle », plusieurs voix se mêlent :


- la voix d’une femme témoin de son temps, ancrée dans l’Histoire, qui traverse des évènements, se souvient, raconte ce qui l’a nourrie, retrace ce qui l’a construite, son héritage familial, les évènements politiques de sa génération : une parole quasi-sociologique ;


- le « cri de l’intérieur » de cette femme, une voix proche de l’inexprimable et de l’informulé. Les mots n’ont alors plus seulement vocation à transmettre un sens défini mais côtoient l’image, le son, la couleur pour évoquer et suggérer. L’écriture se fait répétitive et obsessionnelle, l’écriture impose son rythme et résonne à la manière d’un refrain (« Je suis noire/ Je suis juive/Je suis communiste»). La musique n’est pas loin, la parole se fait poétique.


- une parole objective et descriptive qui retrace les grands évènements politiques


- une parole qui épouse les méandres d’une pensée en construction, qui interroge le monde et qui tente de comprendre, une pensée évolutive en réaction aux évènements extérieurs qui motive et accompagne l’action.


En une femme, plusieurs voix, plusieurs paroles, plusieurs facettes, à l’image de son identité : multiple.
La voix de l’écriture trace la voie de la mise en scène. Il s’agit de faire jouer, dans la parole de cette femme, ces différentes voix toutes ensemble.


« Comme une Isle » est joué par trois artistes interprètes : Leïla Cukierman, auteur du texte, comédienne, directrice du Théâtre Antoine Vitez d’Ivry ; une chanteuse comédienne ; et moi-même qui en assure la mise en scène et prend en charge sur le plateau l’univers musical et vocal. Afin de faire entendre ces différentes voix poursuivant ainsi le chemin tracé par mes précédentes mises en scène, le travail est spécifiquement orienté sur les différents modes du dire.


Voix parlée, voix chantée, slammée, rappée, contée, criée, éructée, bruitée, matière musicale, nappe sonore ou matière à sens, toutes les possibilités de la voix sont exploitées, plusieurs chansons composées.


Leïla Cukierman et Nina Miskina rappeuse/comédienne interprètent toutes les deux la parole de Leïla. Pour témoigner : deux voix complémentaires, deux corps contrastés. L’enjeu est de faire éclater la parole de cette femme pour donner à voir son identité multiple, leurs paroles se rejoindront par intermittence dans une parole chorale.
La matière musicale que je fabriquerai en direct constitue tout l’univers sonore du spectacle. Voix retravaillée avec une loop station enrichie de percussions.


Univers réaliste et univers fantomatique, corps quotidiens et corps dansés


Tandis que les deux femmes évoluent dans un univers réaliste, l’univers sonore que je construis est porteur d’un monde fantomatique, suggérant l’univers du vaudou, symbolisant la figure des morts, tour à tour père et image du parti. Cette présence apporte une dimension tout à la fois funéraire et magique, qui n’est pas directement présente au sein de l’écriture textuelle mais sous-jacente dans l’importance qu’elle accorde à l’évocation des souvenirs familiaux, dans l’attachement à certaines valeurs et traditions véhiculées par la créolité.


Alors que les mots adoptent le seul point de vue de l’auteur, la mise en scène offre tout à la fois une plongée dans son univers mental et une échappée vers un univers fantomatique. J’envisage le travail du corps et de la voix hors de toute quotidienneté grâce à l’exploitation des ressources du corps dansé et de la voix chantée, rythmée, éructée, en faisant danser les morts et les vivants (danse de Leïla, qui, à certains moments s’échappera de son corps social pour devenir un corps désarticulé, proche de la transe) ensemble.


Dans l’écriture et mes précédentes créations se découvre, au milieu d’un univers réaliste, un goût pour le mythique et le mystère, un goût hérité de la culture antillaise où les vivants dialoguent régulièrement avec les morts. L’acte artistique peut se définir alors comme ce lieu privilégié de dialogue entre morts et vivants, lieu interdit aux profanes, lieu sacré. Laisser entrevoir sur le plateau quelque chose ayant trait au mystère qui n’est rien d’autre que la possibilité, durant le temps de la représentation, d’entrevoir l’espace des morts qui nous est inconnu, attire et fascine car il suscite des questions sans réponse et sans cesse renouvelées.
Par sa parole, Leïla fait revivre des morts, celui du père disparu auquel le texte résonne comme un hommage, celui du Parti Communiste qu’elle a quitté.
Aussi la mise en scène que je propose pour ce texte dépasse-t-elle le récit de vie réaliste pour donner à cet acte d’affirmation une dimension quasi sacrée au cœur de laquelle s’expérimente un dialogue avec les morts du passé.


Pour cette création sera privilégié un plateau quasi nu, un décor minimal réaliste, une table, deux chaises figurent le salon. L’univers fantomatique est créé par la lumière qui jouera un rôle essentiel : elle délimitera des espaces de jeu, saisira des ambiances, pourra créer des effets de tension.


De l’acte de transmission à l’acte artistique


A travers le parcours singulier de cette femme, c’est aussi la voix d’une génération qui s’exprime, cette génération marquée par les grandes idéologies révolutionnaires du XXème siècle, qui s’est soulevée en mai 68, a manifesté contre la guerre d’Algérie, combattu pour la paix au Vietnam… Une jeunesse animée par une volonté de changer l’ordre des choses et dont le parcours est jalonné par des luttes politiques qui ont forgé la conscience commune d’une génération, une génération où le politique était au cœur de la pensée et des choses, où, pour nombre d’entre eux - militants communistes en particulier, la politique était un acte quotidien.


Dans cette perspective, « Comme une Isle » est le récit d’une manière de penser, d’agir et de se situer par rapport au monde totalement remise en cause aujourd’hui : souffrant du discrédit touchant le monde politique en général, et l’idéologie communiste en particulier, souvent associée aux dérives mortifères des régimes de l’Europe de l’Est et de l’Asie, concurrencée par l’individualisation des comportements, ébranlée par la globalisation qui met à bas les modèles sociétaux sur lesquels reposaient ces luttes politiques.


Dans cette parole, il y a une urgence à dire qu’il s’agira de retranscrire sur le plateau en insistant sur la dimension obsessionnelle du personnage de Leïla, son corps, sa voix, ses actes trahiront cette nécessité du dire comme acte de survie, une urgence à transmettre également. Quand bien même son engagement face à la politique demeure dissemblable, nous partageons, Leïla et moi, ce qui fonde sa posture militante : un amour pour le combat, un profond respect pour les autres et un refus de capituler. Cette parole est d’une actualité brûlante et nous touche au plus profond car elle est fondatrice de la prise de parole artistique qui porte l’ensemble de mon travail.
Leïla Cukierman me donne la possibilité de faire acte d’engagement, à sa manière, non pas comme elle au sein d’un parti ou de manifestations mais en prenant la parole sur scène. Dans tous les cas, il s’agit d’une parole de la marge, une parole d’insoumis.

D’ de Kabal

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