theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Combat de nègre et de chiens »

Combat de nègre et de chiens

mise en scène Mathieu Boisliveau

: Note d'intention

Essayons, si l’on peut, de ne pas écraser ce texte sous le racisme, ou le néo-colonialisme, sous toutes ces questions qui s’y trouvent mais qu’il ne saurait contenir à lui seul, ne parlons pas non plus de la pièce d’un jeune auteur. C’est plus simplement un auteur, un écrivain, occupé à laisser s’accomplir sur le plateau de grands événements de langage. Et c’est évidemment l’Afrique aussi, c’est-à-dire, en fait, nous les Blancs, nos chantiers et nos mépris.
Patrice Chéreau


Combat de nègre et de chiens est, je crois, une pièce sur la solitude. Quatre solitudes se retrouvent dans un coin isolé du monde. Trois hommes, une femme et un petit chien blanc qu’on ne verra qu’à la fin. Trois couples qui ne se sont pas choisis, ou si peu. Il y a chez ces êtres seuls qui tentent à chaque instant d’accéder à eux-mêmes, un profond désir d’amour : rencontrer l’Autre pour pouvoir peut-être se sauver soi-même. La quête d’amour insatiable de ces personnages déplacés (de leur centre, de leur espace) répond à un vide immense de l’existence.


Chez Koltès, la parole est action et l’action est parole. Les quasimonologues qui parcourent la pièce véhiculent le désir et le désespoir des personnages. C’est dans leurs paroles fleuves, ressassées, incessantes, que s’abritent les enjeux de la pièce. Ces personnages n’existent d’ailleurs que par le langage mais, paradoxalement, ils ne se répondent pas. Il y a entre eux une impossibilité à communiquer, à se comprendre et les causes de cette barrière infranchissable sont multiples : les langues, le sexe, l’angoisse, la hiérarchie, l’origine, le racisme...


Avec Combat, c’est aussi la question du vivre ensemble qui est posée. Vivre entre noirs et blancs, vivre entre hommes et femmes. Le théâtre de Koltès ne se concrétise que dans la tempête des relations humaines.


Aujourd’hui, ici, l’Afrique est partout, avec ses valises remplies de rêves d’occident. Il est difficile de dire que l’on a fait quelque chose de bon pour l’Afrique. Depuis toujours, nous l’avons méprisée, souillée et pillée. La pièce, en ce qu’elle dégage d’humanité, convoque notre histoire et nos comportements face à celle-ci. Les Africains sont venus et nous n’en voulons pas.


Mettre en scène Combat de nègre et de chiens c’est, évidemment, se replonger dans l’empire colonial français. C’est gratter là où ça fait mal parce que ça réanime une culpabilité, quelque chose de notre histoire à tous qu’on aurait voulu taire mais qui ressurgit et nous entaille. La question reste de savoir ce qu’on en fait au présent.


L’ESPACE


Koltès écrivait des « lieux métaphoriques ». Des lieux du monde qu’il avait visité lors de ses voyages et qui devenaient, dans ses pièces, des métaphores de la vie.


La pièce est construite sur l’opposition entre « la cité entourée de palissades et de miradors » où vivent les blancs et l’ouverture immense de l’Afrique derrière les barbelés. La bifrontalité en « L » participe à la délimitation de cet espace clos. Le public « sentinelle » et les murs apparents du théâtre empêchent la fuite des personnages. Le dispositif concentre les conflits dans un carré, un ring qui ne permet pas de s’échapper.


La bi-frontalité en « L », 4 espaces de jeu :
- Un arbre, un bougainvillier : L’espace d’Alboury, l’Afrique
- La véranda : L’espace de vie de Cal et Horn
- L’égout : L’espace central, le conflit
- Le off, la loge : L’espace de Léone


Le lieu est très important. Je ne peux écrire une pièce, m’enfoncer dans des personnages que si j’ai trouvé le contenant. Un lieu qui, à lui seul, raconte à peu près tout.
Bernard-Marie Koltès


Lorsque Patrice Chéreau monta Combat de nègre et de chiens, de Bernard-Marie Koltès, il me souvient que le décor représentait un dessous d’autoroute dans une sorte de chantier, allant je ne sais où. Des piliers gigantesques soutenaient cet appareil de béton de telle sorte qu’ils ne bouchent pas la vue des spectateurs, disposés de chaque côté (donc, en bi-frontal, comme on dit) ; et bien que Richard Peduzzi, qui fit ce décor, fût allé, je crois, au Nigéria regarder des espaces de là-bas ! Or, ce dessous d’autoroute, dirent certains, on pouvait trouver le même, ou un semblable, à Nanterre où le spectacle fut créé en 1983.


Justement, parce que l’Afrique de Koltès n’était pas, n’est pas une Afrique qu’on imagine quand on n’y est pas allé, mais l’Afrique réelle dont l’ingénieur européen, dans sa phase néo-colonialiste, peuple réellement cette Afrique-là.


J’imagine donc qu’en choisissant cette pièce étonnante, qui, d’une certaine façon, dit que c’est là-bas comme ici, ou qu’en tout cas, ça le devient, la Compagnie Kobal’t n’ira pas non plus nous inventer des palmiers ni des baobabs. Elle entendra seulement respecter la lettre du titre : un nègre (nous disons un Noir), et des chiens (des dogs, ainsi les Noirs américains appellent-il les Blancs : dogs. Quant au vieux mot nigger, il est à tout jamais honni, plus que nègre en français, revendiqué autrement par Genet et Koltès).


Thibault Perrenoud a monté le Misanthrope de Molière, la Mouette de Tchékhov, au Théâtre de la Bastille. Or, dans l’organisation de leur espace, Perrenoud et ses partenaires avaient disposé les spectateurs tout autour de l’aire de jeu, de sorte que les entrées et les sorties – disséminées – renvoyaient ainsi à trois ou quatre des points cardinaux : suggérant un environnement infini et fictif. Désorientant. Non qu’ils soient les premiers à procéder ainsi, Dieu merci, il y a beau temps que l’espace classique est subverti, pour le meilleur et pour le pire. Les imbéciles retiennent le pire, moi le meilleur. Simplement, on ne le fait guère pour des « classiques ».


Mais quelque topologie qu’ils choisissent, Mathieu Boisliveau, qui met en scène, et ses camarades sau- ront bien inventer une Afrique qui élargisse, dilate, viole, notre petit espace national. En un lieu où le Nègre, qui vient réclamer le corps de son frère, n’aura rien à craindre de nous autres chiens, j’y compte bien.

François Regnault

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.