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Cock

+ d'infos sur le texte de Mike Bartlett traduit par Xavier Mailleux
mise en scène Adrian Brine

: Entretien

Comment vit-on l’homosexualité dans une société au modèle familial hétéro historiquement bien ancré, dès Barbie et Ken jusqu’aux Simpson ?

Parole à Michel, directeur de Tels Quels, (centre communautaire de gays et lesbiennes), et à Danielle et Georges, parents d’un gay.

Dans Cock, il n’y a pas de coming out mais plutôt un coming back. La remise en question de son homosexualité. Ça arrive ça ?


Michel : Ça dépend où on en est dans l’affirmation de son homosexualité. En couple, de manière ouverte et stable, c’est rare. Le moment où une personne s’affirme gay ou lesbienne dans la société, son coming out, quoi, comporte cinq phases .
D’abord, être capable de se lever et de se dire « je suis PD, je réalise que cela ne va pas changer et j’assume l’insulte ». On sait alors qu’on ment à tout le monde.
Puis le dire à une personne. Ce n’est jamais le parent, mais quelqu’un avec qui on a une complicité. Le dire est une épreuve.
Troisième phase : le dire à ses parents. La charge affective est importante. Il faut assumer de ne pas être l’enfant espéré. En se disant gay ou lesbienne, on tue l’enfant imaginaire de nos parents. Tout ce qui est rêvé est lié à l’ hétérosexualité. Il faut assumer ce meurtre et la tristesse qui va surgir de ce deuil.
Ensuite, les relations sexuelles et affectives à court terme peuvent exister même avant la phase numéro un. On peut coucher avant de se rendre compte qu’on est homo et se rendre compte qu’on est homo sans avoir couché. Mais pour développer une relation durable, la quatrième phase, les deux personnes doivent être au même stade de leur affirmation gay. Si l’une n’est pas assez ouverte, elle devient un poids ou un danger. Un danger parce qu’elle peut « dénoncer » l’autre, révéler l’homosexualité.
La cinquième phase, celle dont on ne sort jamais, c’est ce que je suis en train de faire avec vous : ne plus avoir peur de dire à un inconnu qu’on est homo. Mais cette peur ne nous quitte jamais vraiment. C’est toujours plus simple d’être hétéro.


Vous vous sentez menacés ?


Michel : Il ne faut pas exagérer. Mais nous devons constamment nous justifier car les gens nous perçoivent à priori comme hétéro. Une enquête téléphonique pour savoir si madame et monsieur sont contents de l’opérateur ? Vais-je corriger et préciser ‘monsieur et monsieur’… non, je laisse tomber.


Danielle (parent de gay, membre du groupe ‘parents’ de Tels Quels) : Nous, on essaie de comprendre. On a eu la chance que notre fils nous a annoncé son homosexualité lorsqu’il avait 24 ans. Quand des enfants de 13, 14 ans se déclarent homos, certains parents se disent que c’est une réaction d’ados, que cela va passer, qu’ils vont aller voir un psy et que les choses vont rentrer dans l’ordre.


Et le fait de ne pas avoir de petits-enfants ?


Georges (parent de gay, membre du groupe ‘parents’ de Tels Quels) : On se dit qu’il existe aussi des couples hétéros qui ne veulent pas d’enfants ou qui en ont et qui ne veulent pas les confier aux grands-parents.


Michel : Mes parents ont trois enfants et des trois, je suis celui qui leur a donné le plus de petits-enfants. Avec l’homoparentalité, la donne a changé. S’il est difficile de renoncer à avoir un enfant biologique avec l’être qu’on aime, on y est préparé. Cela fait partie de notre affirmation, nous savons que nous aurons une parentalité différente. Les hétéros qui ne peuvent pas avoir d’enfants doivent également s’adapter.


Les normes parentales sont différentes pour des gays ou lesbiennes ?


Michel : Elles sont cassées. Nous ne devons pas nous justifier de ne pas avoir d’enfants. De ne pas vouloir d’enfants. Nous sommes trop mosaïques. Il y a tellement de sousgroupes qu’il n’y a pas de schéma.


Georges : Je ne sais pas si c’est la norme mais tous les amis de mon fils sont des couples qui tiennent depuis longtemps. Est-ce logique ? Un couple hétéro tient cinq ans. Les homos seraient-ils plus fidèles ?


Michel : Pas plus fidèle, plus durable (rire). La fidélité bénéficie d’une interpétation large chez nous. Chez l’hétéro, l’infidélité est cachée. Chez l’homo, elle n’est pas tabou, c’est une constante. Mais chacun gère sa norme, l’invente à deux. Les degrés varient d’une ouverture complète à un couple exigeant la fidélité totale. Mais elle n’est pas imposée par un regard social.


Comment en tant que parent vit-on l’homosexualité de son fils ou de sa fille ? Danielle : Les parents qui viennent nous voir (NDLR : à l’association) ont vraiment changé. Maintenant, ils ont des problèmes avec l’homosexualité de leurs enfants et n’en reviennent pas de leur comportement en décalage. Ces parents se disent étonnés : « suis-je vraiment le dernier des Ménapiens pour que l’homosexualité soit toujours un problème pour moi ? »


Michel : C’est un peu la norme inversée.


Danielle : Il y a 15 ans, des parents préfèraient que leurs enfants soient malades ou qu’ils meurent plutôt que d’être homos. Cela n’arrive plus jamais. Maintenant, nous avons des personnes qui s’interrogent.


Michel : Les parents craignent de perdre l’intimité avec leurs enfants parce que nous vivons dans des mondes parallèles. Mais notre communauté peut aussi changer son rapport à la société. On a vécu cachés pendant des millénaires. Maintenant, on vit ouvertement, mais toujours à côté. Les espaces pour gays existent toujours, mais la barrière avec l’autre monde est moins rigide. Les univers sont plus perméables. C’est plus facile d’amener son frère, sa soeur, ses parents dans nos espaces. Avant, c’était hors de question, il y avait la peur de la dénonciation.


Le bonheur clé-sur-porte de notre société (marié avec enfants et quatre façades), vous n’y êtes pas sensibles ?


Michel : La différence est que pour les hétéros, il y a une conscience collective de ce qu’est la vie heureuse de l’hétéro moyen. Un couple, des enfants, une maison , etc. Bien sûr, de nombreux hétéros ne se reconnaissent pas dans ce bonheur mais le référent existe. Nous, on n’a pas ça. On est hors normes. Notre diversité est plus affirmée, cette diversité n’est pas plus importante, mais on a dû l’assumer.
La vie des hétéros est sur des rails et ils doivent s’affirmer pour les quitter. Nous, nous ne sommes pas sur les rails.
En étant deux personnes du même sexe, on doit réinventer les normes hétéros. Par exemple, la question du dominé / dominant est basée sur le sexe, même si la société évolue. Ce n’est pas possible pour nous. Le déséquilibre doit venir d’ailleurs. De l’âge, de la classe sociale ou des acquis culturels. L’un devient le disciple de l’autre. Les rôles s’inventent. Le couple se fonde sur une autre différence.
C’est pour cela que parmi les gays et lesbiennes, un écart de vingt ans entre amoureux est fréquent. Que pourrions-nous apprendre des gens de notre âge ? Moi, j’ai connu ma première histoire d’amour avec un homme qui avait 40 ans de plus que moi.
Cela reste une histoire extraordinaire, et ce n’est pas moi qui ai décidé que cela s’arrête.
On est moins normés. On doit tout inventer.


Journal de Poche # 39 septembre 2010

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