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Cheval

mise en scène Guillaume Lavenant

: Notes d'intention

Un conte poétique et philosophique


On retrouve la dimension poétique et philosophique de la légende dans Cheval, qui procède avant tout d’une rêverie (dans le texte et sur la scène) sur ces deux personnages, leurs univers et leurs rapports burlesques. Une ambiguïté est maintenue entre un monde imaginaire, celui du conte ou du fantasme (la folie du président), et le monde réel, contemporain, où l’on parle de Billie Holiday et de la conférence internationale sur le climat. Le ton du spectacle lui-même navigue entre réalisme quotidien et absurdité fantastique, entre cocasserie et tragique. Les dialogues, parfois anodins et souvent drôles, recouvrent une réalité toute autre : le désarroi et l’ennui du Président, qui va se dévoiler à mesure que son personnage et l’apparat du décor vont se déliter.


Nous avons souhaité faire de Cheval une fable où l’on s’attache aux personnages, à laquelle le spectateur puisse se livrer ; ensuite, de ce plaisir peuvent naître des questionnements multiples soulevés par la pièce : sur l’exercice du pouvoir et la relation – dont le caractère insensée est rendu sensible – qui lie un homme (intimité du palais) à un peuple (extérieur pris en charge par les vidéos qui défi lent sur les écrans de la «Xerox»), sur les ressorts des régimes populistes (culte rendu aux héros nationaux, référence à l’Histoire du pays), sur les moyens d’évaluation de l’action politique (comment faire de la politique quand le seul lien à l’extérieur délivre des informations incomplètes, incorrectes ?), sur le conditionnement exercé par un système (social et politique) et la force avec laquelle il s’impose aux individus, qu’ils soient maîtres ou esclaves.


Cheval, président, et le valet


Cheval est un comédien habillé normalement ou presque. Sa « chevalinité » est traitée en subtilité : dans son corps (une certaine raideur, une brusquerie) en inadéquation avec le mobilier du palais (lorsqu’il s’assoit dans les fauteuils luxueux, lorsqu’il mange, etc.), et par un bégaiement et des diffi cultés d’élocution qui apparaîssent lors de ses emportements soudains. Les deux personnages ont une trajectoire croisée : Président, autoritaire et d’abord engoncé dans le décorum de l’état, se laisse aller (physiquement et dans la confession) alors que Cheval, d’abord terrorisé après son arrivée depuis le haras, se requinque, mange et s’habille, prend de l’assurance.


Président s’enferme lui-même dans cet univers qu’il rend, par ses propres peurs, dangereux, hostile et sans issue. C’est le décalage, l’enlisement, le vide affectif et la mise à nu de Président, face à la liberté de Cheval, la bête, qui le rendent émouvant. Cheval, de par ses réactions inadéquates et imprévisibles (non psychologiques) nous renvoit une distance comique.


À ces deux personnages s’ajoute un troisième personnage, muet : le valet du Président. Ce personnage vient renforcer l’étrangeté de la situation et accréditer le pouvoir de Président. Il est l’esclave numéro 1, celui qui se tait et accomplit, le compagnon de peine de Cheval. Nous sommes peut-être dans un rêve ou dans un asile de fous mais par lui le doute s’installe et l’autorité du Président devient tangible.


Fragmentation / ellipse


Un fondu au noir sépare chaque scène, pour la plupart courtes et dynamiques. Au retour à la lumière, le décor et les positions des personnages peuvent avoir radicalement changés, ou bien très peu, ou encore pas du tout. Nous faisons ainsi sentir que quelques secondes, quelques heures ou des mois entiers peuvent séparer ces scènes, nous permettant de développer le thème de l’ennui qui saisit ces personnages enfermés dans le palais.


La fragmentation permet également un travail rythmique et pictural, certaines scènes muettes s’insérant comme des tableaux : tableaux sonores (les deux personnages endormis, Président se plongeant la tête dans un seau d’eau, etc.) ou muet (les deux personnages jouant au badminton), et de très courtes scènes jouées donnant à entendre une discussion prise en cours de route et comme lâchée avant sa fin, à la manière d’une image subliminale.


L’étrangeté


Dans mon travail, j’essaie de laisser place à une liberté de lecture pour le spectateur. Je travaille non seulement une scène selon des versions différentes, j’essaie qu’une même scène soit le croisement de plusieurs de ces versions, et qu’il y ait également plusieurs pistes possibles de réception...
Stéphane Braunschweig, Jeu : revue de théâtre n° 65


Plutôt que de trancher parmi les multiples options narratives proposées ou évoquées par le texte, nous avons travaillé à rendre sa polysémie sensible. Président a-t-il du pouvoir ? Cheval existe-t-il ? Cheval est-il un animal ou bien un ministre qui joue à l’être ? Cheval reste-il dans ce palais sous la contrainte ou est-il absolument libre ? Dans quel pays sommes-nous ? A moins qu’il ne s’agisse d’un rêve ? Plutôt que d’imposer une idée qui viendrait réduire la mise en scène à un propos unifi é, nous faisons en sorte que plusieurs pistes de lecture soient offertes au spectateur, ce qui a pour effet de renforcer l’étrangeté de la situation.


Etrange : qui met en éveil par son caractère inhabituel


La monochromie du décor (vert et métal), l’absurdité de la situation, le personnage ambivalent de Cheval, la présence de l’inquiétant valet muet, le travail sonore sont autant d’élément qui nous permettent un véritable travail d’ambiance qui met en relief une étrangeté générale, étrangeté qui constitue une des originalités de la pièce.


La scénographie


Dans ce monde contemporain, nous avons souhaité créer ce pays à l’image d’un ancien pays du bloc soviétique, pays qui aurait été infl uent, opulent et avancé technologiquement mais dont l’image et les moyens n’ont cessé de chuter. Des éléments du bureau présidentiel (fauteuils, lustres, Xerox technologiquement impressionnante mais désuète) témoignent de ce passé glorieux alors que d’autres éléments signifi ent la déliquescence et le manque d’entretien (fuites qui viennent du plafond, marques d’usures, défaillances répétées de la Xerox).


La Xerox est constitué de plusieurs casiers à tiroir, évoquant une administration kafkaienne, desquels sortent les feuilles imprimées. Au-dessus de ces casiers, plusieurs téléviseurs démodés permettent un travail de vidéo « Lo-Fi », faisant défi ler des images de mauvaise qualité, parfois brouillées, provenant de l’extérieur (défi lés militaires, publicités, ou bien « neige » électronique).


A la monochromie froide du décor s’ajoute celle des costumes au tons verts qui, sous des dehors plausibles, vient donner un accents surréaliste à la pièce. Dans ce palais nous avons dessiné deux espaces : un espace quotidien, presque «salon» (fauteuils, table, dessertes du valet) et un espace de discours (deux micros sur pieds).


La performance sonore


A plusieurs reprises pendant la pièce (pendant les tableaux muets), le musicien (qui interprète également le rôle du valet) joue en direct, à vue des spectateurs. Ces sons, réalisés à partir de machines analogiques et rarement entendus sur une scène de théâtre, dessinent une ambiance inquiétante (nappes sonores, bruissements, bourdonnements, battements), en contrepoint des scènes souvent légères et drôles de confrontation des deux personnages. Cette sonorisation pendant le spectacle met l’accent sur l’aspect performance, le « ici et maintenant » du spectacle et dessine un véritable paysage sonore (les pensées de ces personnages et l’ennui qui les ronge) dans l’imaginaire des spectateurs.

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