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Chère chambre

+ d'infos sur le texte de Pauline Haudepin
mise en scène Pauline Haudepin

: Note d’intention

Par Pauline Haudepin

Chimène Chimère, vingt ans, semble née pour le bonheur, dans une famille sans drame et sans énigme. Pourtant, le verdict des médecins est formel : atteinte d’un mal incurable, il ne lui reste que quelques mois à vivre. Alors que Chimène révèle avoir contracté la maladie en couchant avec un inconnu à l’article de la mort, personne ne comprend son geste. Ni Rose, sa mère, qui la couve maladivement depuis l’enfance, et se retrouve brutalement face à la promesse d’un deuil inconcevable. Ni Ulrich, son père, que les agissements de sa fille renvoient à tout ce qu’il refuse de voir, mais aussi à ses propres fantômes. Ni Domino, la femme qu’elle aime, professeure de philosophie et activiste enragée, que ce drame met aux prises avec ses propres idéaux.
En introduisant brutalement dans un univers calfeutré « ce-qui-n’arrive-jamais-qu’aux-autres », l’acte gratuit de Chimène jette sur l’hypocrisie sociale telle qu’elle s’incarne en son entourage une lumière aveuglante. Alors, la maladie qui la gagne va progressivement en révéler d’autres, et réveiller les démons et les failles de chacun.


Dans ma précédente création, Les Terrains Vagues, librement inspirée du conte Raiponce des frères Grimm, le motif universel de la princesse séquestrée en haut d’une tour m’a conduite à une rêverie sur la perte de l’innocence, la responsabilité, et la force de résistance par l’imaginaire.


Pour Chère Chambre, c’est à nouveau la transposition d’un motif mythique intemporel dans une situation contemporaine qui a déclenché l’écriture : le « baiser au lépreux », tel qu’il apparaît dans L’Annonce faite à Marie, de Paul Claudel. Dans ce « mystère » en quatre actes et un prologue, Violaine embrasse le lépreux Pierre de Craon et par ce baiser pieux qui guérit miraculeusement ce dernier, contracte la lèpre à son tour, première étape d’un long chemin vers la sainteté.
Quelle serait la retranscription possible d’un tel geste dans un monde contemporain, et une fois coupé de toute dimension religieuse, de quels enjeux est-il chargé dans le monde contemporain ?
À l’heure où la violence et l’endroit de sa légitimité occupent les débats, une idée m’obsède : la douceur peut-elle être politique ? Sous quelle forme ? À quel degré ?


Pour incarner cette douceur subversive, j’imagine une jeune femme dont la soif d’absolu ne peut s’exprimer que de manière mortifère, parce qu’elle se déploie dans une famille (une société) où le principe de précaution passe avant la liberté, et l’épanouissement personnel avant l’empathie.
Mais rapidement, l’intrigue, se détourne du geste de Chimène et s’intéresse davantage à ce qu’il provoque chez ses proches. Car au cours de l’écriture, la pièce s’est recentrée à mon insu sur la question du deuil. Pas seulement celui qui suit la mort d’un être cher, mais aussi le deuil d’un idéal, le deuil de l’innocence, le deuil d’un amour, le deuil d’un monde obsolète auquel on peut demeurer maladivement attaché tout en s’y opposant, parce qu’il a donné sa forme à nos corps et nos pensées. Tout changement suppose un deuil. Certains deuils portent la promesse d’un changement.


Le texte est dense, très rythmique, soutenu par une composition musicale sur mesure, et la parole s’épuise à force de vouloir nommer l’indicible. Mais tout ne passe pas par le langage pour autant : le scénario est délibérément elliptique, et la fable s’effrite peu à peu, se déplaçant vers une narration plus sensible, intuitive et plastique.


J’imagine des allers-retours entre les situations concrètes de conflits décrites par la pièce et des moments de décollement, des tableaux flirtant avec le réalisme magique, à mesure que la frontière entre ce que vivent les personnages et les fantasmes ou hantises qui les habitent devient de moins en moins lisible.


Inspirée par le travail de Crystal Pite, Pina Bausch, Wim Vanderkeybus, ou encore la compagnie flamande Peeping Tom, je suis très sensible à la démarche de la danse-théâtre, aux glissements qu’elle opère et à sa manière de penser l’espace. La scénographie ira en ce sens. Plutôt que cloisonner l’espace, j’imagine un paysage unique susceptible de métamorphoses et structuré d’appuis de jeu concrets, où plusieurs lieux, temporalités et degrés de réalité coexistent.


C’est l’arrivée vers le milieu de la pièce d’une figure imaginaire, au nom d’araignée, Theraphosa Blondi, qui amorcera le mouvement vers une dimension plus onirique. Créature hybride, agent du désordre incarnant à la fois la maladie, l’altérité, le non- humain, elle met en contact les personnages avec leurs limites et leur folie, et apparaît à chacun sous une apparence différente.


Il m’est rapidement apparu comme une évidence de confier cette figure, émergée d’un monde invisible, à un danseur de Butō , doublé d’une voix enregistrée. Cette « danse du corps obscur », transgressive et dérangeante, naît dans le Japon des années 1960 sur les cendres d’Hiroshima et de Nagasaki. En ce qu’elle cherche à communiquer avec les esprits et réveiller les forces cachées dans les profondeurs de l’âme, elle rejoint la mission disruptive dont j’ai chargé Theraphosa Blondi dans ma fiction. L’intention n’est pas d’insérer des « numéros dansés », ni même que le Butō soit identifiable comme tel. Il s’agit plutôt de placer les autres acteurs et leurs personnages face à un régime de présence différent, et voir ce qui se passe dans cette confrontation, si la contamination opère. Car si les mots séparent, le toucher rapproche, l’étreinte suspend les clivages et les séparations. Peut-être alors le secret de Chimène n’est-il pas dans son journal, ces phrases adressées, et dont ses proches se disputent la lecture. Peut- être est-il dans ses gestes, dans ses silences.

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