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mise en scène Nathalie Béasse

: Entretien avec Nathalie Béasse

Propos recueillis par Marc Blanchet

Votre travail artistique n’est basé ni sur la mise en scène d’un texte ni sur la prédominance d’un théâtre d’images. Il est à la croisée de plusieurs disciplines. Vous faites du plateau un espace offert à la surprise, l’inattendu. Comment travaillez-vous ?


Nathalie Béasse : Mon travail est pareil à un jeu d’enfant ; je construis autant que je casse mon jouet. À chaque fois, j’essaie de réinventer une manière d’appréhender le plateau, sachant que je continue à creuser un même chemin, avec des thématiques qui reviennent régulièrement. Cependant, j’ai toujours la sensation d’éprouver une certaine innocence devant une nouvelle mise en scène, même si je peux dire que la fin du spectacle précédent est le début du suivant. Quoi qu’il en soit, je tente de maintenir un lien avec mon inconscient, en demeurant sur l’intuitif, en privilégiant mes ressentis face à ce qui se passe au plateau, une matière qui passe par des mouvements d’objets et des mouvements scénographiques, avec un lien à la littérature. Je mets tout au même niveau, et creuse. Cela donne des trous plus ou moins importants selon les travaux passés ! Je n’en arrive pas moins devant le plateau et les interprètes avec beaucoup d’esquisses, de brouillons.


Vos interprètes semblent soumis à des forces obscures, qui les font passer à travers toutes sortes de sentiments et d’attitudes, sans jamais les enraciner dans un caractère précis. Quelles relations établissez-vous avec eux ?


Le nombre d’interprètes importe pour ce nouveau spectacle ; j’ai eu le désir d’obtenir un effet choral. Dans ceux-qui-vont-contre-le-vent, c’est l’idée de la communauté qui prédomine dans ce que je fais, avec le désir fort de « raconter des choses  ». Seulement, au fur et à mesure des répétitions, ces choses vont ailleurs. Et je me sens libre de les suivre. Pour ce spectacle, ma première vision a été une réunion « de famille » autour d’une table. Chacun des interprètes y lirait une lettre. Avec l’interrogation : comment à partir de sept personnes devient-on une entité ?
Dès lors, mon travail s’est déployé autour des notions de manque, d’absence et de disparition. Ces thématiques sont comme des rituels physiques sur l’empêchement, le désir de raconter notre difficulté à dire des choses, à faire sentir combien elles sortent difficilement hors de soi. J’ai ce besoin de mettre en scène la solitude de l’individu face au groupe, et voir comment il réagit par le corps – ou par la parole. C’est une manière de composer. Quand je fais de la mise en scène, je me positionne comme quelqu’un qui n’y connaît rien. Si cela m’ennuie, je le dis ! Je parlais d’esquisses ; de même, je ne fais jamais improviser les acteurs.


À quel moment êtes-vous convaincue par ce qui se passe au plateau ?


Je dirige beaucoup. J’ai un rapport très organique aux choses, dans ce que je vois, entends... Dès que cela me donne des frissons, je suis davantage convaincue. Je suis attentive à ma géographie intérieure : ma gorge, ma peau, mon cœur, mes pulsations. Si je ne suis pas satisfaite, je fais tomber quelque chose ! J’aime la surprise. À cause de ces images en moi, je déplace telle personne, telle énergie. Je me laisse rêver par ce que font les interprètes ; je rêve également tel ou tel déplacement. Mon imagination travaille avec le mouvement, la répétition, le son, la musique. C’est un rapport très physique à la mise en scène, liée à la scénographie, la chorégraphie, la peinture, les costumes, une sorte d’œuvre totale. Je prends les choses comme un bloc.


Le spectateur fait également une expérience. Il traverse des émotions qui ne sont jamais explicitées. Votre mise en scène déplace la norme des comportements et brouille les pistes jusqu’à choisir comme titre de spectacle l’autre nom de la tribu nord-amérindienne des Omahas...


Créer une équipe prend du temps. J’ai besoin d’avoir une générosité dans le travail, une disponibilité. Pour cela, je choisis des personnes avec des origines et des corps différents. En ce sens, mes spectacles ont une teneur politique. Toutefois, ces différences ne s’alignent pas sur une idée de la performance. Je souhaite aller vers la fragilité de ces artistes, non vers une quelconque puissance. Mon travail est un vœu : les rendre plus humains sur scène, faire sortir quelque chose d’eux qu’ils ne connaissent pas. Dans ce spectacle, ils agissent comme des techniciens, transformant le plateau sous nos yeux. Quant au titre du spectacle, j’ai un livre de chevet qui m’inspire depuis toujours, une anthologie des poèmes amérindiens. La tribu de ceux-qui-vont-contre-le-vent me plaît par ces tirets entre plusieurs mots qui n’en font qu’un. La phrase devient mot, devient titre, et m’invite à aller contre une matière (le vent, le courant), moi qui suis sensible au cosmos, aux éléments. Elle permet d’inscrire la notion de groupe dans le titre et d’allier présence de la matière, idée d’avancée et sensation d’empêchement.


En ce sens, chacun de vos spectacles est l’atteinte d’une forme...


Ah oui, la teinte c’est essentiel. La couleur comme le son sont très présents, très travaillés, dans mes spectacles. Ah vous vouliez dire « l’atteinte » ! Décidément, nous sommes en plein inconscient ! En fait, ce qui importe est d’inviter le spectateur à se défaire de ses certitudes, à s’abandonner à un processus créatif où il peut prendre toute sa place et ouvrir son imaginaire...


  • Propos recueillis par Marc Blanchet en janvier 2021 pour le Festival d'Avignon
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