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Célébration d'un mariage improbable et illimité

mise en scène Sébastien Derrey

: Présentation

« La Célébration d’un mariage improbable et illimité se déroule pendant la cinquième nuit de la disparition du monde qui met six jours et six nuits à disparaître afin de se régénérer. Cette nuit-là est nuit de noce et de carnaval car est tentée, au cours d’une fête mémorable, la fusion du principe féminin et du principe masculin, l’union des espèces, des langues et des cultures, chacun apportant son pain, son vin, son chou, son kif, son eau-de-vie et son fromage et mettant en commun ses attributs, ses contes et ses blagues. Deux tribus tentent l’union par la glaire cervicale et par le sperme, par le sang et par la peau, par la salive et les vocables surgis de la profondeur des ventres contenant les mêmes ferments. Cette nuit-là est tentée l’union du ciel et de la terre, du vide et du plein, de la matière et de l’inconsistance. Mais toute fête réussie est une fête menée jusqu’aux pires excès, toute parole née du chaos retourne au chaos. Cependant, tout cheminement vers le chaos, c'est-à-dire vers le renouvellement, exige pour être bien mené une organisation précise, une gymnastique bien réglée des gestes et des paroles, beaucoup de clarté et de pureté dans l’outrance. »


(extrait de notes d’E. Savitzkaya)




Synopsis


  • Quand nous marchons le soir en forêt, à chaque pas nous entendons fuir les animaux invisibles dans les buissons qui bordent le sentier : lézards ou hérissons, grives ou serpents. Il en va de même quand nous pensons : l’important n’est pas notre parcours dans les mots, mais ce bruit confus qui nous effleure, comme d’un animal en fuite ou de quelque chose qui s’éveille au bruit de nos pas.
  • La fin de la pensée, de Giorgio Agamben (Le langage et la mort, Bourgois, 1990)

Pour cette création, nous avons travaillé à partir de la version manuscrite du texte que nous a confiée l’auteur, très différente de la version éditée chez Minuit, puisque c’est la seule version qui se présente sous la forme d’une partition polyphonique composée de plusieurs colonnes de texte parallèles qui se déroulent simultanément, chacune avec sa logique et son discours particulier


Version que Savitzkaya n'a volontairement jamais publiée parce qu'il a continué depuis plus de dix ans à la remanier, qu’elle lui a servi de matrice pour plusieurs textes écrits par la suite (en même temps qu’il faudrait raconter l’histoire particulière de ce manuscrit qui a beaucoup circulé sous les manteaux et passé les langues et les frontières...)


Le texte a été écrit selon une structure modelable à souhait et une rythmique hyperbolique, sans didascalie ni noms de personnages. Donné par l’auteur à titre de « spécimen de ce qu’il est possible de proférer », il est toujours ouvert et peut accueillir d’autres couplets et refrains, comme d’autres acteurs. Il nous a fallu nous creuser un chemin dans ce matériau et inventer nos propres règles de travail. Si Savitzkaya est très précis et exigeant dans son écriture, il est aussi très volontairement approximatif pour ne pas fixer les choses. On pourrait dire qu’il travaille très précisément dans l'imprécision. Il préfère une écriture plus "géographique", ou "topographique", où des mélanges de flux différents d'écriture auront des possibilités de se rencontrer et d'écrire une histoire, ceci pouvant apparaître seulement parce qu'il est menacé tout de suite par sa propre disparition dans le chaos informe d'où il peut s'extraire.


Plusieurs paroles, plusieurs voix, plusieurs parcours, plusieurs mondes adviennent et se développent simultanément dans leurs différences. Tout est guidé par la même logique d’une tentative d’union des principes masculins et féminins.
Qu'est ce qu'un ensemble quand il n'est pas prédéterminé comme un tout, où la rencontre entre voix, entre acteurs sur le plateau est possible à partir du moment où l'acteur risque réellement d'effacer son partenaire, ou de disparaître dans l'ensemble.
Quelles règles on peut inventer pour se frayer un passage là dedans, dans une langue et un espace où il s’agit de circuler, plutôt qu’être à sa place. Et que les mots aussi soient capables de ça, s’ouvrent vers d’autres sens. Où chaque élément vaut pour lui-même et pourtant par rapport aux autres, où chacun s’accomplit en prenant sa route, sans autre but, formant avec ses égaux des accords même fugitifs et non résolus.
On dirait que c’est par accident qu’un être se révèle, que des formes et des figures apparaissent. A peine né chez l’un, il est remis en jeu pour tous, contamine l’ensemble tandis que l’ensemble le contamine, sans que jamais ce mouvement d’interaction ne soit rompu. Cet ensemble s’organise temporairement, s’équilibre en un mélange instable, se modifie et se recompose sans cesse, au gré des perturbations accidentelles que font naître les cheminements de chaque solitude.


Dans une végétation proliférante de paroles, une syntaxe de cri, proche de la saturation vocale comme du silence. C’est la naissance d’un monde qui se modifie et se recompose perpétuellement devant nos yeux. Un monde qui se construit dans tous les sens simultanément. Sans début ni fin. Toutes les choses, tous les êtres, les passés et à venir, les vivants et les morts, les pierres, les animaux, les aiguilles, les lampes, les dieux et les hommes…entraînés dans un tourbillon perpétuel. Un monde constitué par chaque solitude, chacun avec et entre tous les autres


La douceur et l’unisson, la vie, la note ténue qui s’aventurent dans l’inconnu sont constamment guettées par les turbulences, les stridences et les masses abruptes de la violence et de l’insolence qui tissent aussi de l’intérieur cette parole collective, ce tissu commun auquel chacun arrache des lambeaux. Le devenir du tout est impossible à prédire tant chacune des parties qui le composent sont peu sûres de pouvoir vivre jusqu’à la fin.
C’est celui qui, de loin, écoutant et regardant à la lisière et libre de choisir, recompose, de là où il est, une harmonie et une cohérence là où tout n’est que combines de survie.


Hyperboles, spirales, cycles, répétition… Certaines de ces formes existent à l’évidence en réserve dans le corps même du texte, nous en avons cherché d’autres. Mais ces formes sont aussi rattrapées par le brouhaha, la rumeur, l’éclat passager ...
Tout ce qui tend à replonger le texte dans une matière préalable à l’écriture, où le sens est inarticulé, où règne une confusion née de vies qui éclatent, qui se transforment et qui se dévorent (on peut penser aussi à ce que la réalité d’un mariage peut contenir d’accidents, de coupures, de retards et de mauvais réglages), une réalité plus élémentaire, qui est moins organisée qu'organique. En permanence, le tout est en danger de s’écrouler et de retourner au chaos, à l’inaudible. D’où notre choix de travailler avec l’amplification et la manipulation électronique de la voix, pour explorer la possibilité d’organiser les masses sonores en direct de l’intérieur de la représentation.
Ce que crée la matière même de la langue prend le pas sur le récit. Comme si Savitzkaya voulait à la fois toutes les espèces d'oiseaux, d'animaux et de fougères différents qui coexistent dans un espace et le vent dans les branches, les nuages et la pluie, en même temps que l'ensemble "improbable" et toujours fluctuant tissé d'accords fugitifs qui fait qu'on pourrait entendre le « chant » d'une forêt.


« Quelque part dans le monde, nous dit Savitzkaya, un festin se prépare, des noces sont célébrées » : ici et maintenant, depuis toujours et bien après nous. Et il rappelle que les fiancés sont absents de la fête.


Sébastien Derrey

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