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Ce qui demeure

+ d'infos sur le texte de Daniel Keene traduit par Séverine Magois
mise en scène Maurice Bénichou

: Note d’auteur

CE QUI DEMEURE


le violon ; kaddish ; ni perdue ni retrouvée ; la pluie ; porteuses de lumière ; brève obscurité ; ce qui demeure


Pour moi, les pièces courtes permettent une forme d’intimité qu’il est plus facile d’atteindre ou de soutenir que dans des pièces plus longues. Cette intimité est possible tant pour les créateurs de la pièce que pour ses spectateurs. Par intimité, j’entends une connaissance particulière, une possibilité émotionnelle unique. C’est “l’échelle” d’une pièce courte qui permet un tel rapport. Son échelle est humaine, ce par quoi je veux dire que nous pouvons nous y mesurer, que nous pouvons nous y rattacher d’une manière pour ainsi dire viscérale peut-être ; une pièce courte est à notre portée tant émotionnellement qu’intellectuellement. Sa totalité peut être gardée en mémoire, sa force émotionnelle peut être immédiate. Les procédés et les techniques dramatiques dont on a besoin pour nourrir le récit et les personnages d’une pièce plus longue, tout subtils soient-ils, peuvent nous mettre à distance de la pièce, nous rendre plus conscients de sa structure que de son contenu. Cela, bien sûr, n’est pas toujours le cas ; mais pour moi l’expérience d’une pièce plus longue (et je parle de l’expérience consistant à en écrire une comme à en regarder une) est une expérience qui fait plus appel à la compréhension qu’à la sensation. Ce n’est pas pour suggérer qu’une pièce courte n’a pas de structure, ni que la compréhension n’implique pas l’émotion ; mais une pièce courte, de par sa nature même, exige une certaine forme de compression, une certaine urgence de l’intellect et de l’émotion.


Aucun mot ne peut être superflu, aucun geste ne peut être fortuit, sans importance. Pour cette raison, une pièce courte exige le genre d’attention que l’on doit porter quand on crée de la poésie. Pour moi, un poème est une compression de l’expérience, un lieu où quelque chose d’essentiel est extrait du chaos de la vie, où au cœur du tumulte de la vie un silence est découvert et où, de la confusion, pourrait naître une certaine clarté.


Le lien entre la poésie et le théâtre est pour moi un lien profond. Les anciennes lois de la prosodie, de la rime à la métrique, sont des lois fondées sur la mémoire et le souffle. La rime est une aide à la mémoire, le mètre est une longueur, une mesure du souffle. Des poèmes ont été composés bien avant l’invention de l’écriture ; l’existence même d’un poème reposait sur la présence du poète (celui qui disait le poème). Un poème était quelque chose dont le poète se souvenait puis qui était dit, et une fois dit, quelque chose dont se souvenaient ceux qui l’avaient entendu. La présence, le souffle et la mémoire sont les racines profondes de la poésie. Elles sont aussi les racines profondes du théâtre, qui, sans elles, demeure impossible.


Les pièces courtes de CE QUI DEMEURE ont certaines choses en commun. Elles s’attachent, chacune à sa manière, à la mémoire. Ce sont des pièces liées au deuil et au souvenir, aux retrouvailles ou à leur espérance. Mais ce qui les relie plus profondément que tout, c’est l’absence ; ce qui a été perdu est au cœur de ces pièces. Ces absences résonnent dans ces pièces comme l’écho prolongé d’une cloche, ou les notes évanescentes d’un morceau de musique. C’est sur cette « toile de fond » que les personnages prennent la parole, c’est ce qui les conduit au bord de l’espoir : car l’espoir est tout ce qui demeure pour eux.


Mais nous savons que le petit garçon dont parle Hanna dans LA PLUIE ne rentrera jamais chez lui.


En mai dernier, on a trouvé une vieille Palestinienne à Rafah en train de fouiller les décombres de ce qui fut un jour son foyer, et qui avait été démoli par les Forces de Défense Israéliennes. On lui a demandé ce qu’elle cherchait là. Elle a dit qu’elle cherchait “l’avenir”. Priée d’expliquer ce qu’elle voulait dire, elle a répondu qu’elle cherchait une clef ; c’était la clef de son ancienne maison en Israël, qu’elle avait été forcée de quitter en 1948, quand fut fondé l’État israélien. Elle a dit qu’elle avait besoin de la clef car sans elle, comment pourrait-elle ouvrir sa porte quand elle retournerait enfin là-bas ?


L’important n’est pas de savoir si les espoirs des personnages seront ou non comblés, mais le fait que leurs espoirs sont réels ; c’est cela qui définit “l’humanité” de ces personnages, c’est la raison de leur présence. Le souffle même qu’ils utilisent pour parler est le souffle de la mémoire, car sans leurs souvenirs ils n’auraient rien à dire ni rien à espérer.


Daniel Keene
Melbourne
mai 2004

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