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Catharsis

+ d'infos sur le texte de Gustave Akakpo
mise en scène Jean-Claude Berutti

: Présentation

«Une femme quelque part en Afrique, crie ses douleurs. Elle est dans un cimetière, appréhendé ici comme lieu de transition entre deux vies (l’ancienne et la nouvelle) et rencontre successivement ses trois fils. Ils accusent leur mère ouvertement de les avoir abandonnés, de s’être prostituée. Ils n’en peuvent plus de cette douleur, de cette haine et de l’incompréhension. Une allégorie de la mère «patrie» et de ses enfants qui souffrent au présent et tremblent devant un avenir incertain».


«Catharsis est donc une pièce qui raconte cette histoire-là ; mais au-delà de l’histoire qu’elle se tourbillonne à nous exploser à la gueule, elle est née de mon envie de me mettre au monde, de mettre un «point à la ligne» à la vie que j’ai toujours vécue par délégation. Je ne crois pas que ce soit juste de dire que je suis venu au monde le jour de ma naissance. Je ne suis pas venu au monde, c’est le monde qui est venu à moi.(…)
Sans rien me demander, mes parents m’ont porté au monde, sur un coin de terre qui s’appelle le Togo, dans une couleur de peau marron que le monde appelle noir, au sein d’une culture alien, héritage traditionnel métissé à la sauce d’un passé colonial et d’un présent mondialisé, sur un continent dont la misère fait étrangement mentir le riche potentiel humain, culturel, agricole et minier ; et depuis je suis soumis à la dictature de vivre. Catharsis est donc l’année zéro de ma respiration.
Mais cette pièce ne nourrit pas l’ambition de tourner autour de mon nombril. Je pense, au contraire, que ma situation est semblable à celle de nombre de jeunes africains nés dans cette Afrique-là qui ne sait capter l’attention des medias mondiaux qu’à travers ses interminables conflits, ses misères, ses «crève-la-faim» qui s’en vont noyer leurs rêves sur le littoral européen ; cette Afrique qu’on dit toujours en émergence. Je ne veux plus être en émergence ; j’émerge et je définis mon quota de respiration.J’ai eu l’occasion d’entendre ce texte en lecture publique en France : et les discussions qui s’en sont suivies m’ont donné cette impression que la pièce n’a pas une parole en sens unique juste à l’endroit des africains mais qu’elle fait écho à la crise d’identité d’une jeunesse européenne, d’une jeunesse tout court, en panne de véritables modèles dont elle a besoin pour façonner son acte d’existence.»


Gustave Akakpo




Une reine déchue accepte une purge symbolique pour que peut-être son continent renaisse du désastre… Figure multiple, la reine Ellè est en même temps prostituée de quartier, misérable fille-mère et matriarche tyrannique, étoile fugitive en même temps que caillou jeté dans la poussière. Ses trois fils, Ilèfou, Ilèki, Ilènoir, abandonnés, exilés ou livrés à la rue, viennent à tour de rôle lui demander des comptes et se purger eux-mêmes d'une naissance ratée sur un continent à l'abandon. La cour de la famille royale est réduite à deux clowns, un grand prêtre et un photographe, qui encadrent l'action et préparent le public avant que se déroule la cérémonie, car c'est à un rituel vaudou que nous invite Gustave Akakpo.
Et cela n'est pas la moindre des surprises que nous réserve Catharsis ! Gustave Akakpo nous guide dans "son" Afrique à travers l'expérience initiatique. Des palabres préliminaires à la danse sacrée, puis à la purification, nous participons à un théâtre à la fois comique, religieux, irrévérencieux, au cours duquel la langue de Gustave passe par tous les états d'exaltation, de dépression et de renaissance. Renaissance de la "négré-ité" comme il aime à le dire, en écho à la "négritude" du grand Césaire.


Jean-Claude Berutti




Dialogue par mails entre l'auteur et le metteur en scène, entre Lomé et Saint-Étienne



22 août 2005 : de Jean-Claude Berutti à Gustave Akakpo
Objet : Où en es-tu ?


Mon cher Gustave,


Je sais que tu travailles en ce moment à remodeler 'Catharsis". J'ai besoin de savoir comment tu avances. Pour y voir plus clair, je t'envoie une proposition de fable déjà ancienne. Merci de me répondre par une autre. Je pourrai ainsi mesurer le chemin poétique que tu es en train de parcourir.


"Un cimetière, quelque part, en Afrique. Une femme, ex-reine, ex-prostituée y attend de régler ses comptes avec le passé, avec ses morts et ses vivants : ses trois fils encore en vie. L'un a pris la route de l'exil, quelques années plus tôt, pour la fuir ; le second, elle l'a elle-même vendu à des marchands d'esclaves ; le troisième, le plus jeune est resté auprès d'elle, mais sa vie est rongée par le cimetière, le pays et sa mère. L'image d'une Afrique en transit.
"Catharsis" raconte le dur métier du retour : autour d'une Mère-Afrique, trois destins de fils écartelés entre l'ici et l'ailleurs, l'Afrique et l'Europe."


Salut aux amis artistes à Lomé,
Jean-Claude Berutti



30 août 2005 : de Gustave Akakpo à Jean-Claude Berutti
Objet : Acte de naissance du bébé Catharsis.


"Une femme, quelque part en Afrique, crie ses douleurs. Elle est dans un cimetière, appréhendé ici comme lieu de transition entre deux vies – l’ancienne et la nouvelle - et rencontre successivement ses trois fils. Ils accusent leur mère ouvertement de les avoir abandonnés, de s’être prostituée. Ils n’en peuvent plus de cette douleur, de cette haine et de l’incompréhension. Une allégorie de la « mère » patrie et de ses enfants qui souffrent au présent et tremblent devant un avenir incertain."


Amitiés,
Gustave Akakpo



1er septembre 2005 : de Jean-Claude Berutti à Gustave Akakpo
Objet : Une allégorie


Cher Gustave,
Je me pose ces temps-ci une grave question pour la réalisation scénique de "Catharsis". J'ai quelque part dans la tête l'idée d'une distribution entièrement masculine. C'est vrai que les acteurs avec lesquels j'ai travaillé l'année dernière à Lomé m'ont convaincu beaucoup plus que les actrices : ils sont solides, imaginatifs, précis et forment un bel ensemble, et j'ai envie de les retrouver. Mais surtout, je crois plus à ta pièce comme une "allégorie de la Mère, grotesque et lamentable que comme une tragédie africaine. A propos de la pièce, Yves Bombay aime la définir comme un "nô africain", je lui préfère l'expression de "butó" africain. La verve langagière, la violence des situations, le rituel catharsique, mais aussi la palabre et le carnaval qui y cohabitent me poussent à penser qu'une Mère/travesti aurait une efficacité théâtrale certaine. Et lorsque je pense à Roger Atikpo, je me dis qu'il pourrait être une reine à la majesté décatie d'une grâce particulière et faisandée…
Quant aux trois fils, je souhaite qu'ils soient interprétés par le même acteur à tour de rôle, que la reine accouche à chaque fois du même enfant qu'elle rejette ensuite jusqu'à la mort.
Tu proposes un cimetière comme espace, je pense que ça devrait être un charnier humain avec un petit promontoire sur lequel siégerait la Mère constamment en train d'accoucher et de changer de paire de chaussures… Bon vent au bord du charnier,


Jean-Claude



2 septembre 2005 : de Gustave Akakpo à Jean-Claude Berutti
Objet : Il y a un lézard au bord de ma fenêtre. C'est la nuit. Je rêve à "Catharsis".


Au-delà de l’histoire qu’elle se tourbillonne à nous exploser à la gueule, "Catharsis" est née de mon envie de me mettre au monde, de mettre un « point à la ligne » à la vie que j’ai toujours vécue par délégation. Je ne crois pas que ce soit juste de dire que je suis venu au monde le jour de ma naissance. Je ne suis pas venu au monde, c’est le monde qui est venu à moi. Venir au monde suppose que ce « moi », posé quelque part, a pris conscience du monde et a décidé d’y venir comme on vient à la maison. C’est plutôt l’inverse qui s’est produit. C’est le monde qui était posé, qui s’est fabriqué une conscience de moi et qui a alors fait la démarche de venir à moi. Evidemment quand je dis le monde, j’entends une représentation du monde. Cette délégation de monde qui était en grossesse de moi se limite à mes parents, à la famille aux proches ou aux lointains qui savaient qu’un bébé était en cours. Sans rien me demander, ils m’ont porté au monde, sur un coin de terre qui s’appelle le Togo, dans une couleur de peau marron que le monde appelle noir, au sein d’une culture alien, héritage traditionnel métissé à la sauce d’un passé colonial et d’un présent mondialisé, sur un continent dont la misère fait étrangement mentir le riche potentiel humain, culturel, agricole et minier ; et depuis je suis soumis à la dictature de vivre. « Catharsis » est donc l’année zéro de ma respiration. Mais cette pièce ne nourrit pas l’ambition de tourner autour de mon nombril. Je pense, au contraire, que ma situation est semblable à celle de nombre de jeunes africains nés dans cette Afrique-là qui ne sait capter l’attention des médias mondiaux qu’à travers ses interminables conflits, ses misères, ses « crève-la-faim » qui s’en vont noyer leurs rêves sur le littoral européen ; cette Afrique qu’on dit toujours en émergence. Je ne veux plus être en émergence ; j’émerge et je définis mon quota de respiration.


Bonne rentrée à La Comédie et amitiés à François,
Gustave



9 septembre 2005 : de Jean-Claude Berutti à Gustave Akakpo
Objet : La terre a besoin d'une "catharsis" ?


Dans ce que tu écris, tu évoques en même temps "la délégation du monde enceinte de moi", et tu dis ainsi bien mieux que moi ce que je me contentais de raconter dans mon mail du 1er septembre. En effet, Ellè n'est pas une femme, mais une délégation de la terre Afrique "qui te soumet à la dictature de vivre". Le charnier que je propose comme espace de jeu a peut-être aussi quelque chose à voir avec l'abandon du fils qui correspond à sa chute et à sa mise à mort.
Un fils au lieu de trois, le caractère autobiographique de la fable devient plus clair, et me confirme dans mes hypothèses de distribution. Ainsi, peut-être, il sera plus facile de donner à entendre le désarroi d'une jeune Afrique…


Amitiés à tous,
Jean-Claude



12 septembre 2005 : de Gustave Akakpo à Jean-Claude Berutti
Objet : Et si l'Afrique était une partie de l'Europe…


Cher Jean-Claude,


J’ai eu l’occasion d’entendre ce texte en lecture publique en France, entre autres, celle de Yves Bombay avec des acteurs "blancs" ; et les discussions qui s’en sont suivies m’ont donné cette impression que la pièce n’a pas une parole en sens unique juste à l’endroit des Africains mais qu’elle fait écho à la crise d’identité d’une jeunesse européenne, d’une jeunesse tout court, en panne de véritables modèles dont elle a besoin pour façonner son acte d’existence.
J'avance sur le texte de la nouvelle version. Tu le recevras à la fin du mois. Au plaisir,
Gustave



1er octobre 2005 : de Jean-Claude Berutti à Gustave Akakpo
Objet : Nouveau texte bien reçu !


Mon cher Gustave,


Voilà, c'est ce que j'aime chez toi, que tout se dise, à demi-mot, même si l'on est dans la palabre de la Mère de Catharsis (véritable pièce de guerre), tu t'arranges toujours pour que les personnages ne disent pas vraiment, en direct, le pourquoi de leurs actions, de leur situation, mais qu'à demi-mot se murmurent leurs souffrances, même dans l'impudeur extrême de Catharsis. Cette manière de clair-obscur vient dans cette pièce-là de l'utilisation du grotesque qui évite qu'on se trouve devant une revendication de plus de la misère face à la richesse ; l'écriture tisse avec les fils du carnaval une fable secrète qui parle aussi de séparation, celle de la mère.


Nous voici donc devant un père/mère, sorte d'anti-modèle, moule pourri et asséché, qui n'arrive plus à façonner une génération digne de ce nom. Mais alors, la catharsis est-elle possible ?
Nous en saurons plus en répétant la pièce à Lomé, au printemps.
Amitiés,


Jean-Claude

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