: La forêt qui cache l'arbre
par Valérie de Saint-Do
C'est en comédien que j'ai vu Laurent Laffargue pour la première fois, en 1990. À peine sorti du Conservatoire, il interprétait, dans La nouvelle Mandragore de Jean Vauthier, un Florentin de la Renaissance, mi-dandy mi-bandit, sous le signe du panache et de la flibuste.
On connaît la suite : devenu directeur artistique et metteur en scène de la compagnie du Soleil
bleu, Laurent Laffargue a enchaîné les mises en scène d'auteurs classiques et contemporains,
ce depuis près de vingt ans.
Est-ce dû à l'empreinte d'une première impression ? À l'esprit de troupe qui voit souvent
revenir sur le plateau des créations du Soleil bleu, les comédiens qui l'entouraient dans La nouvelle Mandragore ? Il m'a toujours semblé retrouver, dans ses spectacles, aussi divers
soient-ils, les traits de brillant qui marquaient cette première prestation : vivacité, audace, goût
du jeu collectif, complicité festive de la troupe. Traits qui, bien évidemment, s'altèrent et se
nuancent selon les auteurs et les textes mis en scène. Mais, même lorsqu'elle aborde aux
rivages sombres de Daniel Keene ou Edward Bond, même lorsqu'elle s'attaque à la tragédie, la
compagnie n'occulte pas ce plaisir du jeu et du spectacle, au meilleur sens du terme. Le diable, c'est l'ennui : Laurent Laffargue a toujours revendiqué un théâtre populaire et pourrait
reprendre la phrase de Brook à son compte. Alors, sur le plateau, ça bouge, ça vit, ça joue
collectif, avec des distributions nombreuses dans des scénographies éclatantes. Et quand les
dialogues exigent l'intime, la nuance, le mode mineur, la vivacité d'action trouve à se déployer
en contrepoint.
Contrepoint... C'est aussi le mot qui convient à des tentatives restées plus discrètes, plus
intimes, dans l'ombre des « grandes » créations. Ainsi, en 1996, parallèlement à Sauvés,
Laurent montait pour deux comédiens un long entretien réalisé avec Edward Bond à
Cambridge. Jeune metteur en scène aux questions parfois naïves face aux assertions du
dramaturge, il laissait entrevoir en filigrane un parcours, une étape de sa réflexion et de sa
vision du théâtre.
Un peu éclipsé à l'époque par l'éclat de Sauvés, Entretien avec Edward Bond reste pourtant en
mémoire comme le révélateur d'une voix qui s'autorise à dire « je » derrière le masque du
collectif. Bijou discret mais précieux.
CASTELJALOUX (1ère version) pourrait bien en être un autre. Pour la première fois, Laurent Laffargue signe, met en scène et joue. Pour la première fois, il s'expose totalement dans ce qui pourrait, faute de mieux, s'intituler autofiction, sans s'abriter derrière un auteur et une troupe.
Casteljaloux, petite ville du Lot-et-Garonne où Laurent Laffargue a grandi, est le lieu du récit des origines. Celles d'un adolescent qui ne rêvait que de faire du théâtre pour fuir le huis clos d'une petite ville ; celles d'un observateur d'une comédie humaine qui pourtant a nourri son parcours d'artiste. Tout ce que le metteur en scène a traqué chez les auteurs, de Marivaux à Bond, y est en germe : omniprésence et impasses du désir, tragédies ou vaudevilles conjugaux, drames familiaux, amitiés et rivalités, jalousies, violence des rapports sociaux, vies hantées par l'échec, la quête de sens, et le besoin de fuir, au besoin dans l'alcool. Tout, y compris cette verve gasconne qui rend plus légers l'ennui, la cruauté des relations, la sensation d'enfermement, qui fait rire de personnages victimes d'eux-mêmes – première leçon de comédie. On pense à Caubère, bien sûr : Laffargue nous fait son propre roman d'un théâtre à ses débuts.
Les familiers de l'auteur-metteur en scène-interprète y traqueront l'autobiographie, les autres
riront, parfois jaune, de cette radiographie d'un bourg qui ressemble à tant d'autres et où
chacun renoue avec son propre roman familial. Peu importe, précisément, la part de fiction.
Ces personnages, l'auteur les porte tous en lui, de Ferdinand, le père queutard, à Jean-
François, l'ami homosexuel, de Chantal, la belle aux deux amours, à Jeannot, le voyou amoureux transi. C'est ainsi qu'au cours d'une première lecture, au bar du Théâtre de la
Commune en décembre dernier, il nous les a donnés à voir : tous personnages de son théâtre
intime. Et c'est ainsi qu'il va leur donner vie, seul en scène, dans CASTELJALOUX (1ère version) : tour à tour ado, adulte, homme, femme, père, mère, prof ou délinquant.
Le jeu collectif va reprendre ses droits : Romain, Chantal, Ferdinand, Jeannot et les autres
vont s'incarner, l'an prochain dans CASTELJALOUX (2ème version), pour dix personnages et
un chien. Mais nous n'en sommes pas là. Pour le moment, un adolescent, rêve, seul, de
théâtre, d'amour et de sexe sur un terrain de handball. Acceptons l'invitation à partager ses
rêves : c'est le prélude du jeu... avant que les équipes n'envahissent le terrain. Et les prémices
d'un parcours théâtral.
Valérie de Saint-Do
Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné,
Je me connecte
–
Voir un exemple
–
Je m'abonne
Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.