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Candide

+ d'infos sur le texte de Yves Laplace
mise en scène Hervé Loichemol

: Opérer Candide

La chair et l’os, le sang, le conte et les mots L’écriture de Candide, théâtre est aujourd’hui, dimanche 16 mars 2008, à mi-chemin. Adapter Candide, le Candide de Voltaire ? Face à l’hypothèse, un écrivain ne peut que mettre les pieds au mur. Œuvre unique en son genre, qu’elle a fondé, et qui ne s’applique à rien d’autre, pas même aux autres « contes philosophiques » de Voltaire, l’œuvre-Candide est d’autant plus inadaptable qu’elle a été depuis 1759, et singulièrement au XXème siècle, mille et une fois retouchée à la scène, au cinéma, en musique, en peinture, en bande dessinée, et même en littérature – à partir, écoutez bien le mot, de sa réputation; c’est-à-dire justement de sa première adaptation par l’idée commune, par l’opinion qu’on s’est très vite faite de ce texte trop fameux pour mériter d’être lu. Ainsi a-t-on, tout à loisir et tout à la fois édulcoré, détourné, pillé, trahi, raboté, expliqué, « actualisé » Candide. Ainsi l’a-t-on, le plus souvent, réduit à une suite de vignettes, de blasons, d’illustrations, de maximes, et pourquoi pas, c’est un comble, de moralités, d’où il ressort que le monde est cruel, la Providence incertaine ou malavisée, l’amour trompeur sinon aveugle, la paternité indécidable, l’optimisme hors de saison, et que si tout ne va certes pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, tout peut cependant finir au mieux à condition de renoncer à l’utopie et de cultiver notre jardin. Moyennant quoi (puisque cela fait une moyenne), ce texte impie, noir, violent, hanté, révolté, compulsif, pornographique et barbare, dont Diderot interdisait la lecture à sa fille, peut cependant être étudié sans dommage majeur ni collatéral de la classe enfantine à la classe terminale.



Me voilà donc bien embarqué. Adapter Candide ? Diable ! Mais comment faire autrement ? Ce qui m’a décidé tient en quelques mots que m’a soufflés Hervé Loichemol. Peut-être nous faut-il, me dit-il, considérer que Candide est (à son insu ?) la meilleure pièce de Voltaire. Comme nous prenons, depuis vingt ans, lui et moi, Voltaire et son théâtre au sérieux – ainsi que l’ont montré ses mises en scène de Zaïre, de Nanine, de La Mort de César, du Café ou l’Écossaise, etc. ; ainsi que nous avons voulu le montrer ensemble dans Feu Voltaire et dans Nos fantômes ; et ainsi que les événement eux-mêmes nous l’ont montré lorsqu’il s’est agi de faire représenter Le Fanatisme ou Mahomet le prophète malgré la censure contemporaine (idéologique, islamiste, et communautariste) –, la formule a fait mouche.
Existerait-il donc, émanant du noyau insécable de l’œuvre-Candide, une sorte de Candide, théâtre qui ne serait pas l’adaptation du conte à la scène, mais plutôt l’imitation, par les moyens du théâtre, des pouvoirs romanesques et de l’ironie narrative de ce conte furieux ? Cela mérite, je le crois, qu’on aille y voir de près ; cela mérite qu’on tente d’opérer Candide, en respectant vraiment la structure du conte : trente chapitres, qui ne sont pas des séquences. Le pari est très simple, mais inédit.


Je suis donc à mi-chemin. Et que croyez-vous qu’il arriva ? qu’il arrive ? qu’il arrivera ? Ma foi, le théâtre est partout, dans Candide, il suffit pour qu’il advienne de n’en pas rajouter. Fait-on parler Candide sur une scène, parle-t-on avec lui, contre lui, autour de lui, avec les mots de Voltaire et d’autres mots qui montrent le conte et ses figures ainsi mutées en personnages – car tout, dans Candide, est aussi affaire de regard et de voyeurisme, du premier chapitre avec broussailles et paravent, aux derniers qui nous laissent deviner le corps saccagé de Cunégonde –, aussitôt surgissent avec lui le sang, la chair, l’os du théâtre. C’est-à-dire ?
C’est-à-dire le comique, le tragique, le politique, et l’épique, soudain incarnés. Candide catapulté sur les planches n’est plus l’ectoplasme du conte, quand bien même il rebondit de scène en scène ; rebondir étant le propre, on le sait, de qui prend des coups, dont le premier est toujours un coup de pied dans le derrière – mais l’origine, le motif et l’auteur de ce premier coup restent bien sûr obscurs pour chacun… Candide sur les planches (et avec lui ses compagnons de « voyage » et de maints naufrages) est un homme que voici – ecce homo – précipité en chair, en os et en mots hors du premier monde, édénique, ou primitif, ou naturel… Candide sur les planches traverse un théâtre qui est à la fois celui de la vie et celui de la guerre : d’une guerre constamment présentée par Voltaire sous l’angle du crime contre les civils, et singulièrement du massacre et du viol ; allez savoir pourquoi cela résonne, de la guerre européenne de Sept Ans jusqu’aux charniers de Srebrenica ?
Candide, sur les planches du plateau et de tous ses vaisseaux naufragés, nous remet en mémoire, d’une galère l’autre, non seulement les figures du roman picaresque et du Quichotte que Voltaire pratiquait, mais celles aussi du Märchen : Voltaire n’avait pas encore lu les Contes de Grimm, et pour cause, mais Candide, lui, n’en ignorait rien. Et comme Brecht, plus tard, héritera du Märchen et du Quichotte pour fonder son théâtre épique, faudrait-il s’étonner que Candide « opéré » par le théâtre nous rappelle aujourd’hui le brave soldat Schweyk de Bertolt Brecht et, mutatis mutandis, peut-être bien Mère Courage elle-même, et ses enfants – entraînant sur le plateau un précipité d’humanité cabossée ? Peut-être bien aussi, puisque le roman nous précédera ou nous suivra toujours au théâtre, Candide n’est-il pas sans traits communs avec le Bardamu d’un certain Voyage… Mais je ne suis qu’à mi-chemin et l’ancien ou le nouveau voyage au bout de la nuit dans lequel nous entraîne Candide n’a certes pas encore livré son secret.

Yves Laplace

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