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Candide, Si c'est ça le meilleur des mondes...

d'après Candide de  Voltaire
mise en scène Maëlle Poésy

: Note Dramaturgique

Un conte pour adulte : les larmes de Candide


Il s’agit avant tout d’un conte. C’est à dire d’une histoire que l’on raconte. Une histoire pleine d’une charge orale qu’il convient de faire entendre. L’histoire de Candide est un voyage extravagant, à la fois réaliste et merveilleux. Le héros parcourt le monde presque malgré lui, accumulant des expériences toutes plus terribles les unes que les autres pour notre plus grand plaisir. C’est là l’incroyable férocité de Voltaire. Donner à voir et à entendre le pire de la nature humaine pour permettre d’en rire et de se questionner sur l’usage de la raison critique. Le philosophe est celui qui met en présence des bonnes questions. Candide n’est jamais explicatif, jamais injonctif sur les conclusions à tirer. Comme dans un conte pour enfant, le pouvoir de suggestion, la part d’imagination est totale. Et c’est bien en cela qu’elle nous interpelle comme matériau théâtral.


Quelle forme ?


Candide est un récit à la troisième personne raconté par un narrateur anonyme qui ne saurait être Voltaire, puisque ce dernier, pour se prémunir des attaques de la censure et de la police, a pris soin de l’attribuer à un auteur allemand inconnu. Le conte s’ouvre de façon absolument canonique «Il y avait en Vestaphalie», propre à rassurer le lecteur/ spectateur : ce n’est pas un traité théorique ni une discussion philosophique sur l’optimisme. L’histoire relate les aventures d’un jeune homme. Un jeune homme bon. D’une bonté enfantine, exagérée. Candide est aussi bon que le monde est mauvais. Pourtant, les faits sont narrés avec la plus grande objectivité, sur un ton apparemment neutre.


Voltaire accumule les descriptions aussi sobres que brèves, il reproduit les dialogues, livre les faits à l’état pur, sans jamais intervenir personnellement, soit pour émettre un quelconque jugement, soit pour accuser ou dénoncer les horreurs croisées par le jeune héros.
C’est de là que provient la jubilation du lecteur/spectateur : nous nous révoltons naturellement et par empathie contre les évènements horribles que le héros traverse. Car les faits ne sont pas seulement vraisemblables, ils sont vrais. La terre a bel et bien tremblé à Lisbonne, l’amiral Byng fusillé à Portsmouth, l’Inquisition condamné de pauvres gens à périr sur un bûcher, les nations européennes se sont enflammées durant des siècles, etc. Aussi bien le conte que raconte Voltaire n’invente rien, ni les faits ni les détails. Cette exactitude constante favorise la confiance du lecteur/spectateur qui accepte dès lors à plaisir toutes les exagérations et les amplifications épiques auxquelles se livrent l’auteur. Il s’agit d’une course, celle de Candide jeté sur les routes du vieux monde, courant désespérément d’un chapitre à l’autre, d’aventure terrible en aventure terrible, de retrouvailles en disparitions, jusqu’à la saturation. L’accélération du récit empêche de se poser des questions. Chacun des personnages obéit à une rigoureuse caricature qui amplifie les traits et caractéristiques que nous connaissons tous. Les grossissements deviennent possibles, les coïncidences les plus folles sont acceptées, les exotismes jubilatoires, les propos délicieusement licencieux, tout devient naturel et l’on pense aisément aux Trissotin, Mascarille ou Vadius de Molière.
L’effet de saturation recherché par Voltaire nous fait crier à l’absurde, les mille péripéties, à cause de l’objectivité apparente, nous mette en état d’indignation face à l’humaine condition. Voltaire ne s’insurge pas : il décrit. Il se pose en observateur objectif et distant, provoquant un puissant sentiment de révolte face à l’injustice du monde. Parfois, dans cette course désespérée, dans cette odyssée fantasque, Candide pleure. Il s’agit de faire entendre cette course éperdue de liberté.

Kevin Keiss

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