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Calderón

+ d'infos sur le texte de Pier Paolo Pasolini traduit par Michèle Fabien
mise en scène Laurent Fréchuret

: Théâtre et société

Afin de prolonger le spectacle, l’équipe de La Comédie propose ce document qui retranscrit des notes écrites par Pasolini sur les murs de l’entrepôt qui abrita sa mise en scène de « Orgie » à Turin en novembre 1968. Ce texte lapidaire « fait office de vrai manifeste théâtral pasolinien. » A travers ces lignes, l’auteur revendique sa conception du théâtre : un théâtre qui interagit avec la société.


« L’espace théâtral est dans nos têtes.
Ici il n’y a pas de spectateurs : le théâtre est un.
Après que nous avons parlé avec vous, applaudir ou siffler est inutile : parlez avec nous.
L’acteur est un critique.
Le metteur est scène est un critique.
Le spectateur est un critique.
L’auteur est un sujet et un objet critique.
Les scandales ont lieu hors d’ici : ici, nous accomplissons un rite théâtral.
Le théâtre n’est pas un médium de masse. Même s’il le voulait il ne pourrait pas l’être.
Ici, nous sommes peu nombreux : mais en nous il y a Athènes.
Nous ne cherchons pas le succès
Nous sommes peu nombreux parce que nous sommes tous des hommes en chair et en os : les corps ne sont pas aristocratiques.
Ne cherchez pas ici la spécificité du théâtre ni l’idée du théâtre.
Dès que la culture est rite, elle cesse d’obéir aux seules normes de la raison et redevient aussi passion et mystère.
Le théâtre est une forme de lutte contre la culture de masse.
Décentrement !
Ni l’auteur ni les acteurs ne veulent vous scandaliser : faisons scandale ensemble.
Nous ne voulons pas nous adresser au vieux public bourgeois, même pas pour le scandaliser : voilà pourquoi nous sommes ici.
Celui qui a l’habitude de se scandaliser des innovations formelles et des problèmes nouveaux a mal fait d’entrer dans ce lieu : en effet nous n’entendons pas le scandaliser.
Pauvreté !
Pardonnez les lumières qui s’allument et s’éteignent et l’utilisation d’instruments mécaniques : il s’agit du minimum indispensable à la forme extérieure du rite.
A bas tous les théâtres anti-académiques qui remplacent un théâtre académique qui ne peut pas exister.
La culture italienne n’est pas nationale : 1) parce qu’elle n’a pas de tradition unitaire ; 2) parce qu’elle se fonde sur la répression et les privilèges. Ce théâtre est donc anti-national.
Ce théâtre s’appelle Maïakovski : et ceci signifie vive Siniavsky et Daniel, vive Carl et Smith !
Le théâtre est actuel parce qu’il est anachronique : les corps des acteurs et les corps de spectateurs ne peuvent être faits en série.
A bas le théâtre phatique à tous les niveaux sémiologiques !
Seule la rigueur d’un rite culturel peut rappeler la saine horreur du rite religieux que fut le théâtre aux origines.
La satisfaction dans l’homme est liée au sentiment de l’inattendu qui naît de l’attente (Poe cité par Jakobson).
Rappelez-vous qu’en Italie « l’attendu » n’est pas préétabli : parce qu’en Italie un théâtre académique n’existe pas et ne peut exister.
Vous rappelez-vous que l’italien oral ne s’est pas encore stabilisé ?
Vous avez raison de nous désapprouver : 1) quand le charme de l’acteur prévaut sur le sens de ce qu’il dit ; 2) quand le metteur en scène régresse en faisant du théâtre un rite social ou un rite théâtral au lieu d’en faire un rite culturel.
Coûte que coûte : rigueur.
Le théâtre peut être comme un rite parce qu’il y a les corps.
Vous pouvez souvent fermez les yeux : la voix et les oreilles font en effet partie du corps.
Le théâtre comme rite culturel est un théâtre de parole. Parole écrite qui est aussi parole orale non reproduite.
Le théâtre facile est objectivement bourgeois ; le théâtre difficile est pour les élites bourgeoises cultivées ; le théâtre très difficile est le seul théâtre démocratique.
Ouvrier, ta difficulté à comprendre ce théâtre consiste en un manque pur et simple de ces instruments que la société ne t’a pas donnés.
Il y a un rapport direct entre les hommes de culture et les ouvriers : il est donc inutile que le théâtre comme rite culturel soit littéralement fait pour les ouvriers. »


Pier Paolo Pasolini
Novembre 1968

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