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C.H.S.

mise en scène Christian Lapointe

: Entretien avec Christian Lapointe

Combustion Humaine Spontanée : pouvez-vous nous raconter votre expérience personnelle avec le feu ?


À l'âge de dix-huit ans, je suis devenu cracheur de feu. Formé à l'école de cirque depuis déjà quelques années, je pratiquais ce métier ici et là pour divers événements. C'est à l'âge de vingt ans, lors de l'enregistrement en direct d'une émission télévisée où j’étais engagé pour cracher le feu, que je devins une torche humaine, et ce, sous l'oeil voyeur de la caméra qui diffusait le tout dans les foyers du Québec. Ma première réaction fut de me jeter hors du plateau afin de ne pas être filmé. Ce que j'ai réussi. “The show must go on” as they say. S'ensuivit une période d'un mois à l'unité des Grands Brûlés où l'on m'a fait une greffe de peau au cou et au torse. C'est le port d'un masque de cuir qui sauva mes yeux et mon visage. Pendant quatre ans après cet accident, je mis en scène presque uniquement du théâtre masqué. C'est ainsi que je peux dire que mon rapport avec le feu est un amour/haine. C'est à ce rapport au feu, se rapprochant de celui à la mort et la vie, que je dois toute ma sensibilité. Celle-ci est liée à la compréhension de la friabilité de la vie. Il n'est pas faux d'affirmer que, pour moi, la vie « après » paraît comme du temps supplémentaire qui me fut alloué. Je peux dire que j'ai maintenant la certitude que c'est lorsque l'on croit maîtriser les éléments que ceux-ci se chargent de nous faire comprendre qu'il s'agit en fait de l'inverse.


Quel est le processus qui mène du cas individuel à l’expérience collective d’une pièce de théâtre ?


C'est la main, d'abord, qui se traîne sur le papier et qui laisse ces traces d'encre qui font sens. Souci de purger l'expérience par l'expression créatrice ? Puis vient le besoin de dire. Si fort. Si grand. Comme une impossibilité à taire le bruit des mots. Puis la contagion de ces mots. De ces bruits. C'est d'abord une histoire de famille. Celle d'un collectif de créateurs, en l’occurrence Sinaps. La famille se penche sur le bruit des mots, l'éclatement du bruit. Il faut qu'ensemble, nous puissions reformuler le sens comme s'il avait été éclaté et que nous revenait la tâche de le rapiécer. Comme s'il fallait reconstituer la carte d'un ciel dont les étoiles avaient été oubliées. Une impossibilité. Se révèle alors que l'expérience collective déborde, doit déborder vers le monde. Le dire dépasse bel et bien l'anecdote. C'est à peine s'il y réfère. Nous nous efforçons de projeter vers le monde ce dire universel qui fait état, qui fait portrait de notre réalité. Du feu qui laisse ses traces dans la chair de quelqu'un, nous faisons une histoire du feu des origines qui laisse ses traces sur l'Histoire. Feu de passion / destruction.


Quel sont le rôle et la place des images dans votre spectacle ?


Il faut d'abord dire que le spectacle lui-même est une image. Tableau mouvant, mais tout de même tableau. Il va donc sans dire que la place de l'imagerie au sens pictural du terme a une importance capitale. Même les mots y sont matière plastique et créent nombre d'images en ce tableau vivant, qui par sa forme évoque tant la Trinité, une station-service, un appartement que la courbe exponentielle du réchauffement de la planète. L'idée qu'en une image fixe résident tous les temps, toutes les situations, le réel et la fiction, est bien ancrée dans la démarche. Outre cette image fixe, changeante par les différents médias que sont la lumière et le son, l'imagerie digitale qui s'y juxtapose est au service tant de la plasticité que de la narration. Elle occupe donc une place d'importance en ce sens qu'elle fait voir et fait texture, qu'elle fait comprendre, en un apport documentaire, et fait rire par un certain humour enfantin. Mais surtout, elle peut évoquer le surnaturel et aider à laisser « voir » la combustion spontanée elle-même. C'est aussi grâce à elle que nous arrivons à plonger au coeur même de la mort.


Propos recueillis par Antoine de Baecque

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