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Campana

Bonaventure Gacon ( Conception ) , Titoune Krall ( Conception ) , Bastien Pelenc ( Conception ) , Thomas Barrière ( Conception )


: Regard

par François Cervantes

Le chapiteau s’est posé au dessus d’un gouffre, quatre mats au bord d’un précipice.
De ce monde souterrain en fusion remonteront peut être ceux qui y sont descendus.
Un plancher fragile a été posé au dessus des crevasses.
Ils remonteront.
L’âme supporte des températures supérieures à celle de la fusion du métal. Quand ils reviendront, ils seront méconnaissables bien sûr, et ils ne reconnaîtront plus les musiciens, ni les spectateurs.
Ils seront étonnés de découvrir des humains réunis dans ce chapiteau, calmement assis au dessus des gouffres, souriants et ouvrant des yeux d’enfants.
Des humains qui ont l’air de voir, d’entendre et de ressentir.
Ceux qui remontent là, sous nos yeux, on ne saurait pas dire dans quel état ils sont, quelles épreuves ils ont traversées, quelles scènes ils ont vues, de quelles façons leurs cœurs ont été brûlés, consumés.
Mais ils sont là, devant nous, comme des animaux sauvages ou comme des âmes, comment savoir.
Pourtant ils ont des jambes, des poumons, des nuques, des attaches, des tendons, des muscles.
Tous les voyages qu’ils ont faits, c’est avec leurs corps qu’ils les ont faits. Ils ont transfiguré chaque cellule de leur corps dans la chaleur du feu. Ils sont descendus à pied dans le cœur du volcan, en faisant attention, sans se lâcher la main, existant plus dans la relation, dans l’entre deux, que pour eux mêmes.
Ils n’ont pas donné prise aux morsures, aux brûlures, aux inflammations, aux colères. La chair a hurlé et ils ont traversé.
Ils ont observé les vols des oiseaux, les galops des bêtes, les claquements des voiles dans les tempêtes, les envols des graines, les débordements des torrents. Attention à cette pierre, par là plutôt, pas ce chemin, celui là, patience, doucement.
Ils ont cheminé sans savoir quel était ce chemin, ni combien de temps cela allait prendre, ni si ils arriveraient au bout de ce chemin, mais ils continuent, en détail, avec attention, avec précaution, avec obstination, ils traversent les gouffres, des paysages inconnus, chaque jour suffit sa peine.
On ne peut pas aller plus vite que le lever et le coucher du soleil.
La vie passe devant nous et au dedans de nous.
Maintenant, sur cette route inconnue et nouvelle et pourtant si ancienne, ils vont savoir si les liens sont plus forts que les choses.
Même s’ils pètent de trouille, ils restent fidèles.
Ils sont plus fidèles que des chiens, parce qu’un chien, il est fidèle tant qu’il est un chien, mais quand il arrête sa vie de chien, il arrête d’être fidèle.
L’étalon de mesure, c’est la distance entre eux.
On dit que cette mesure est plus sûre que la distance entre la terre et le soleil, parce que les planètes ont des fantaisies et des écarts de conduite que eux n’ont pas.
C’est au léger de soulever le lourd.
Ils se demandent s’ils sont encore fidèles. Ils disparaissent particule après particule, ils palissent et ils perdent la mémoire, mais peut-être que les liens sont plus solides que les choses, et que d’autres viendront se mettre aux extrémités de ce lien, comme les mots se mettent de chaque côté d’un trait d’union. Ils sont remontés à la surface, ils ont vu toute cette lumière qui emplit l’espace comme du lait frais
Quelqu’un appelle. Qui appelle ? »


  • Francois Cervantes – mars 2018
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