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C'est seulement que je ne veux rien perdre

d'après La Dispute de  Marivaux
mise en scène Grégoire Strecker

: Note d'intention

De La dispute naît donc cette expérience, de laquelle on pourra déterminer qui de l’homme ou de la femme vient la faute. On attend de cette expérience une réponse, un éclaircissement, qui départagera, déterminera le/la responsable de ce qui n’est plus, de la perte du fameux paradis… On attend donc de cette expérience la résolution d’un problème qui semble venir de la nuit des temps.
Mais la question semble plus un prétexte à mettre en jeu la dispute que de la résoudre. L’expérience ne donnera finalement aucune véritable réponse et brouillera encore plus les pistes, car Marivaux, en posant la question de la faute originelle semble nous mener ailleurs, mettant l’énigme là où elle n’est pas, en dehors de sa résolution.


Cette expérience se révèle vite faussée, tout en apparaissant ouverte, elle semble déjà contenir sa propre finalité, comme si les acteurs de cette comédie n’étaient que de simples objets, pris dans un rouage, pris en définitive dans la voie du poème. Les mots ne sont là que pour conduire cette machine froide, incisive, qui démonte, contredit, agit pareil à un scalpel, annule ce qui est dit, déconstruit à mesure qu’elle avance, qui semble dévider, épuiser les corps, étouffer peu à peu la compréhension pour qu’il ne reste plus qu’une abdication, une abdication de nos personnages face au jeu et face à la parole.
« Partons » est le dernier mot de la pièce.
Cette dispute – comme d’ailleurs beaucoup de disputes – se résout dans la « nonrésolution » : c’est en quittant La Dispute / Le théâtre, l’endroit de la parole par excellence, que la dispute peut se terminer ou plus exactement que nos personnages échappent à elle.


La Dispute met donc à l’épreuve les mots jusqu’à leur impossibilité, leur non-sens, leur blackout comme si ce qui se jouait véritablement n’était nullement contenu dans ce qui est dit, mais dans un langage sous-jacent qui est bel et bien celui d’un « lieu sauvage et solitaire » où le prince nous invite. Et c’est ce lieu que vont occuper nos quatre adolescents qui, séquestrés depuis leur naissance, ressemblent plus à des boiteux, des handicapés, des clowns, des sauvages, des enfants dans un grand corps, sorte de cobayes qui, avec toute leur naïveté et leur avidité, sortent de leur cave et vont se précipiter dans cette comédie.


En faisant l’expérience de l’autre (…) nos cobayes prennent conscience d’un nouveau monde, d’un nouveau moi.
Un moi fait de mains et de bouches, fait de tout ce qui peut toucher, agripper, caresser, sortir de soi pour trouver d’autres habitations, d’autres pays. Un moi qui devient colonisateur, qui brise ses frontières, qui n’existe plus par lui-même et tire sa substance dans l’autre. Leur visage devient alors aussi mouvant, instable que son reflet dans un ruisseau, que son reflet que l’autre lui propose.
Un moi qui est littéralement inconstant à lui-même et désire tendre vers ce que Cioran nomme « le temps d’avant le temps », où nous pouvons rejoindre « non pas notre figure qui n’est rien, mais cette virtualité bienheureuse », endroit de tous les possibles du moi, de toutes les formes que peuvent alors prendre leur corps, leur visage, comme s’ils étaient en perpétuel devenir, sans nom et sans incarnation.
Ce temps d’avant le temps, ce temps qui n’est plus, ce fameux paradis perdu avec lequel nos personnages semblent constamment se disputer. (…)

Grégoire Strecker

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