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Britannicus

+ d'infos sur le texte de Jean Racine

: Notes jetées avant le début des répétitions

Enquête sur la nature et l’identité humaine aux prises avec les pulsions libidinales qu’elles concernent : le champ politique ou le champ de la passion amoureuse.

« Il ne faut pas plus de quatre vers à Racine pour poser les deux protagonistes : un empereur fuyant, et une mère impératrice, perdue, venant au chevet de son fils dont la chambre lui est à présent interdite. La mère surprotectrice est privée de son rôle et cet aspect d’Agrippine est fondamental. Double négation de l’existence d’Agrippine en tant que mère et en tant qu’impératrice. »


« Le grand Art de Racine réside dans l’avancée d’une intrigue, combinée à la rotation des points de vue. Le rôle du metteur en scène, en ce cas, consiste à accréditer au maximum les discours de chacun dans le temps de leur énonciation. N’anticipons jamais et cheminons pas à pas en considérant toujours que chaque scène est autonome. La mécanique des coulisses de la politique met en jeu des parcours multiples, des retournements successifs, des jeux d’alliance changeants et instables, et les protagonistes sont tous inquiets de maintenir qui leur influence, qui leur pouvoir. Par excellence le Palais demeure le lieu de l’intranquillité. Nous voulons la rendre palpable, angoissante. »


« Quelque acteur que ce soit ne doit se trouver en situation d’avoir la sensation univoque de délivrer une information. Si tel est le cas, c’est que la nécessité de parole n’est pas trouvée et qu’il convient toujours, encore plus que pour d’autres écritures, de répondre aux questions « Pourquoi je parle ? À qui je parle ? ». Le comment découlant des réponses à ces deux premières questions. Sinon c’est la machine du langage, chez Racine la fameuse musique, qui prend le pas. Le sens s’échappe et avec lui toute tension ou émotion.
« Ne pas se laisser embarquer par la machine du langage. Rester dans le concret de la langue. Dans ce théâtre, on ne parle jamais pour soi ou pour exprimer un sentiment. L’interlocuteur est toujours hyper présent. On fabrique du discours pour modifier l’autre. Il y a quelque chose dans les regards, comme le danseur qui ne peut garder son regard au sol. Il faut prendre le temps de la langue. S’arrêter si nécessaire. Racine peut se jouer calmement et doucement…»


« Entre chaque acte la pluie, droite, vient se déverser au centre du plateau. La chute d’eau – chute de rideau – vient effacer le bruissement de la langue. L’écoulement de la langue laisse la place au déversement des larmes des Dieux, absents et condamnés à pleurer sur le sort des hommes. »


« Le désir d’effacement de l’Autre est irraisonnable, il n’y a de place que pour un seul. L’unique doit-il en passer par l’élimination physique de tous ceux qui sont porteurs de menaces ? »


« Le sujet amoureux dans le théâtre racinien, qui pourrait apparaître joyeux, excité, affolé, est toujours présenté accablé, soucieux, en proie à un malaise et comme une bête prise au piège. Lorsque Néron dit à Narcisse :
V.382 : « Narcisse c’en est fait, Néron est amoureux. », on comprend qu’il est trop tard pour que le cours des évènements puisse changer… »


« Même dans la sphère la plus intime, le tyran est capable de mentir et de se mentir. Ainsi Néron recouvre la brutalité de son rapport à Junie sous le prétexte du sentiment amoureux. J’interprète l’attitude de Néron comme le résultat d’une volonté calculatrice et manipulatrice plus que comme un coup de foudre. Un vers à lui seul révèle l’état de l’excitation néronienne :
V.402 : « J’aimais jusqu’à ses pleurs que je faisais couler. »
L’émotion décrite par Néron pourrait faire penser à un rituel quasi sadique. Néron jouit de ce spectacle et ne peut dire mot. La scène de déclaration amoureuse n’a pas eu lieu mais le coup de foudre est lié à un fantasme érotique. Et c’est seul qu’il est condamné à rejouer la scène amoureuse.


La description de l’enlèvement de nuit de Junie a donc valeur de scène fantasmatique qui déclenche le désir de Néron pour l’héroïne principale. D’ailleurs c’est bien en termes liés à une représentation théâtrale ou cinématographique que Néron achève ce premier récit :
V.407 : « Mais je m’en fais peut-être une trop belle image. »


« Non seulement Racine nous amène au coeur des passions, en creusant les contradictions de la sphère intime, en particulier dans les effets qu’elles peuvent avoir dans le champ politique, mais il est aussi un maître du suspense. Tout simplement il nous oblige à avoir envie de connaître la suite des aventures de ses héros. »


« Narcisse a peut-être été nommé ainsi par Racine non pour définir un trait psychologique du personnage mais pour qualifier son attitude à l’égard des autres. Narcisse est celui qui flatte le narcissisme de l’autre… Comme tous les conseillers des hommes de pouvoir Narcisse a l’art de traîner dans les corridors, toujours en recherche de son maître ou d’une information à glaner. Il entre en glissant là où Burrhus arrive franchement, parfois à contretemps, brutalement même… Arrogance de ces deux conseillers à qui la proximité du lieu de décision du pouvoir suprême laisse à penser que ce sont eux les dépositaires de ce pouvoir. »


« Nous ne pouvons réduire une oeuvre classique à un simple commentaire de notre actualité, même si les intrigues du Palais impérial romain n’ont rien à envier aux intrigues des Palais de la République. Ce n’est pas l’actualité qui nous conduit vers la réalisation de ce Britannicus, mais bel et bien Racine et l’histoire de Rome qui nous permettent une lecture active de l’actualité. Mais ces rapprochements, le metteur en scène n’a pas à les induire, à les souligner. Ce serait réduire la portée de l’oeuvre qui chemine de Rome à aujourd’hui. Il n’a pas à faire le travail du spectateur car s’il a bien mis en évidence les lignes de force de la pièce, c’est le spectateur qui cheminera des Palais de l’Empire romain aux Palais de la République…
Si on parcourt l’histoire des mises en scène de Britannicus on se rend compte que certaines étaient plutôt orientées sur la prise du pouvoir de Néron alors que d’autres s’attachaient davantage aux comportements purement passionnels. Je crois qu’il ne peut s’agir d’opter pour l’une ou l’autre ligne mais que l’intérêt de la pièce réside bel et bien dans l’observation de ces mécanismes qui font que les comportements passionnels conditionnent la quête du pouvoir mais que son exercice, pour se faire sereinement, exige la maîtrise des débordements de la passion. Par ailleurs, la pièce traite de la naissance d’un tyran et non pas de la prise du pouvoir, et à ce titre, l’ensemble des composants qui participent à créer cette naissance-là seront à prendre en compte (l’histoire familiale, l’histoire de Rome, le public et le privé…). »


« Le fantasme est-il irréductible à toute forme de représentation ? Peut-être s’il s’agit de le figurer, mais si la représentation a pour fin de cheminer des fantasmes raciniens à ceux du spectateur, la démarche est possible. L’autre scène, en effet, est bien celle que fantasme le spectateur, voyeur aux prises avec la catharsis. »

Jean-Louis Martinelli

juin 2012

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