Bonheur ? est d'abord né du désir d'Andrés Lima de travailler autour de ce sujet, le bonheur, la quête du bonheur, s'interroger et tenter de donner à voir et à entendre un petit peu de cette recherche intime de chacun d'entre nous.
Deux points de départ à ce désir : un moment particulier dans sa vie à lui, la mort de son père, les derniers mois avant cette mort et quelque chose qui en résulte, quelque chose du bonheur ; et puis un tableau, Les Nymphéas de Monet, ce tableau sans limites, image, pour Andrés, représentation du bonheur.
Nous avons travaillé, c'est souvent ainsi qu'en Espagne il travaille, à partir d'improvisations. Nous avons, avec les comédiens du Français entrés dans l'aventure, passé une dizaine de jours durant lesquels nous les avons questionnés sur leur rapport au bonheur. Ils ont généreusement répondu, ils ont raconté puis joué, mis en scène, évocations, bribes, des souvenirs, des bonheurs, des rêves de bonheur. Enfance. Rencontres, amours. Et puis cette étrange question d'Andrés, «"Comment voudriez-vous mourir ?"» avec l'idée que d'une possible réponse, on peut plus sûrement s'approcher du bonheur.
Beaucoup de mots, d'images, d'histoires, durant ces jours d'improvisation. C'est là mon matériau de départ pour l'écriture du texte. Paroles intimes des comédiens, désirs et rêves qui parfois coïncident avec mon propre questionnement sur le bonheur, parfois s'y opposent, s'en éloignent. Il y avait aussi un texte d'Andrés, une pièce dans la pièce, et puis, nous avons eu envie de mêler à ces intimités, en contrepoint, un peu de ce bonheur qui envahit l'espace collectif, celui que l'on retrouve dans les titres d'innombrables volumes en librairie, modes d'emploi plus ou moins philosophiques, celui qui nourrit la publicité et même la politique. Vivre mieux, vivre bien. Bonheur économique.
Le texte Bonheur ? est fait de tout ça. Il s'est écrit peu à peu, s'est construit et se construit encore, au gré des répétitions en cours, il a fait pas mal d'allers-retours, via le net, entre la France et l'Espagne. Il y a des personnages qui pourraient être nos acteurs, et puis d'autres qui s'invitent, un homme de pouvoir, des consommateurs effrénés, une femme venue de loin, venue, clandestine de là-bas, attirée par ce bonheur que nos sociétés donnent à voir, à distance. Richesse, confort, travail.
Il y a, pêle-mêle, une grand-mère, Orson Welles, Cyrano de Bergerac ; des bougies, un rocher, une brique chauffante ; la mer, le ciel et l'horizon ; un gynécologue ; un idiot et une fille aux pieds nus ; une carpe et quelques éléphants ; des merguez, aussi.
Où sommes nous ? Dans quel lieu et dans quel espace-temps ? Est-ce un rêve ?
Est-ce un jeu ?
C'est Bonheur avec un point d'interrogation. Chacun le sien. Chacun sa quête. Peut-être est-ce que c'est là, juste là, à portée. Peut-être est-ce que, oui, ça existe. Il n'y aura pas de réponse, juste une tentative, une évocation.
Avec toujours, à l'esprit, cette étendue d'eau un peu trouble, aux contours incertains, couverte de nénuphars. De Nymphéas.

Emmanuel Darley

01 février 2008