Howard Barker est un poète anglais dont la pensée "abrasive", dérangeante, ne fait qu'une bouchée du sens admis, de la rationalité, de la logique… Il traque les pensées formatées, les tyrannies des idéologies qui nous contraignent au "sens unique", à la dialectique dont il joue et qu'il déjoue sans cesse, la déployant pour mieux la faire déraper quand on s'y attend le moins, au profit d'un vertige de la pensée qui laisse la place aux sens multiples, même et surtout les plus "inconfortables", les plus innommables".
Pas de "pensée juste", "moralement acceptable", "politiquement correcte", mais une verve poétique pour arracher nos langages, nos pensées et nos actes au champ trop bien ordonné des causes, de la psychologie, de l'idéologie, de la morale, du discours… Pas de réponses univoques mais des pensées obliques qui ouvrent les sens au lieu de les fermer.
On ne sait que peu de choses des personnages dans le théâtre de Barker, à la fois jouets d'un ordre social mais jamais montrés comme seulement "victimes". Tous, qu'ils soient empereurs ou paysans, aristocrates ou simples soldats, curés ou homme d'affaires, tirent leur épingle du jeu du théâtre du monde dans lequel ils sont immergés. Tous ont fait leur "affaire personnelle" des idéologies. (quand ce n'est pas expressément) lamineurs à leur tour, tueurs d'eux-mêmes comme des autres.
La force de la poésie de Barker tient dans sa langue, d'une richesse de langage inouïe, sans effet de collage, un langage fabriqué de formes multiples : la poésie pure, l'argot londonien, l'allégorie, le parler de tous les jours… Il brise les conventions du langage. C'est un théâtre de langue et de situations immédiatement théâtrales. Une sorte d'humour cruel ou de cruauté désopilante en est le ferment.

Jean-Paul Wenzel