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Blackbird

mise en scène Claudia Stavisky

: Paroles d’auteur

Je crée un langage différent pour chaque pièce. Dans Blackbird, les deux personnages se tournent autour, explorent, essayent de fabriquer un souvenir. Il y a beaucoup d’arrêts et de départs. Le langage est venu de là. La pièce comporte aussi peu de ponctuation. J’ai pensé que je ne pouvais pas mettre de point à la fin des phrases parce que c’était un élément trop inflexible, trop définitif pour ces deux êtres d’incertitude. La forme est une sorte de miroir de ce qui est incertain chez les gens. Je ne pouvais utiliser le matériau habituel, aussi si vous regardez bien, c’est très sculpté, cela à l’air beau, même si je le dis moi-même.
Ce qui me touche au théâtre, c’est l’inattendu, des choses que les personnages disent hors intrigue. (...) J’ai commencé par écrire des nouvelles, ensuite je me suis demandé ce que l’on pouvait dire par le dialogue seul. Cela ne m’intéressait pas d’écrire des bouts de descriptions entre ce que les gens disent. La question était de savoir le genre de travail que l’on peut produire par le dialogue brut. Et de là : qu’est-ce que les gens révèlent, qu’est-ce qu’ils cachent quand ils se parlent ? Il y a un passage dans une oeuvre de la romancière cubaine Maria Fornes où elle dit qu’il faut savoir entrer dans la vie de quelqu’un d’autre. Cela a toujours été une devise pour moi : comment autorise-t-on certains personnages à découvrir d’autres personnages ? À quel endroit précis laisse-t-on entrer les gens ? Il y a aussi cette autre citation de Brian Friel qui dit : « toute histoire a sept faces. »
La première qui vous vient en est une. Mais il y en a six autres derrière. Alors pourquoi ne pas faire pivoter la chose et utiliser la face suivante, voir comment elle agit sur les personnages, sur l’histoire, sur le thème ? Voilà qui est au coeur de mon travail dramaturgique. Je ne suis pas le genre d’auteur à faire entrer deux personnages dans une scène et les faire se parler l’un à l’autre : ce que j’appelle le bavardage théâtral. Je veux que la structure soit si tendue et les personnages dans une situation telle qu’ils ne puissent pas ne pas parler. Je les mets tellement au pied du mur, qu’ils ne peuvent dire qu’une chose. Ils n’ont pas de temps à perdre en débordements psychologiques. De fait, une vision poétique se profile intensément, un paysage pour la scène, une liberté formelle radicale et perturbatrice qui interroge la représentation théâtrale de l’espace et du temps, les notions de fable et de personnage, de continuité, de logique, de cohérence, de « réalisme ». Un théâtre qui cherche à enfoncer les mots dans les choses « comme on pousse un couteau dans le ventre d’une poule ».


Texte réalisé à partir d’un entretien avec Jérôme Hankins paru dans Alternatives Théâtrales N°65-66.

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