Sur un chantier de construction français en Afrique, la disparition du cadavre d'un ouvrier noir fait basculer la vie de 4 personnages. Sans le corps du mort, les personnages de Koltès sont submergés par les mots parce qu'ils sont comme face à une tombe vide.

J'ai créé Combat de nègre et de chiens à Atlanta.

La terre y est rouge et c'est une ville noire et blanche, en chantier perpétuel depuis les chocs de l'Histoire et les incendies ravageurs. Une ville en tension, hantée par ses morts. Une ville qui sans cesse efface sa mémoire qu'en même temps elle déterre. De la guerre de Sécession au mouvement des droits civils qui venaient mettre fin à la ségrégation raciale (70 000 Noirs lynchés en 70 ans), de Margaret Mitchell à Martin Luther King, d’Autant en emporte le vent à Délivrance, la ville de Coca-Cola et CNN tremble et lutte encore. La création de Combat de nègre et de chiens pour la première fois à Atlanta a eu lieu dans la conscience des enjeux politiques et artistiques que cette ville induisait.

La surprise, pour moi, fut d'y redécouvrir Koltès en le faisant connaître et de pouvoir le faire parce que justement nous étions ailleurs et que sa résonance était autre. On découvrait Koltès dans sa confrontation avec une autre langue, d'autres corps et dans un autre monde. Là-bas, le souffle d'un mort sans sépulture me raconte une histoire sur l'Autre, l'Amour et l'Abandon. Deux ans plus tard, nous l’avons présenté à Chicago. Le souvenir prégnant de l’effondrement des Twin Towers rendait encore plus sensible pour les acteurs et le public cette quête urgente et désespérée d’un corps à pleurer.

Arthur Nauzyciel, 2004

---

Artiste associé au CDDB - Théâtre de Lorient depuis 1996, j’y ai créé mon premier spectacle en 1999 : Le Malade imaginaire ou le silence de Molière. L’année suivante, les directeurs du 7Stages me proposaient de mettre en scène un texte de Bernard-Marie Koltès dans leur théâtre à Atlanta. Le lien entre ces deux théâtres tournés vers la création contemporaine et l’Ailleurs, entre Lorient et Atlanta, deux villes bâties de toutes pièces pour développer des échanges commerciaux, deux villes détruites et reconstruites, me semblait évident. C’est lors de ma première visite à Atlanta que j’ai choisi Combat de nègre et de chiens parce que ce texte faisait sens là-bas, et que j’allais retrouver alors dans ce déplacement qui m’est nécessaire, le contexte et les thèmes qui fondent mon travail : l’Autre, l’Exil, notre inconsolable sentiment d’Abandon. Combat de nègre et de chiens, en devenant Black Battles With Dogs devenait mon second spectacle.

L'intérêt de la création de Black Battles With Dogs en anglais, à Atlanta, était pour moi l'écho que pouvait avoir ce texte en regard de l'histoire même de cette ville. Nous espérions aussi que cette collaboration entre une équipe française et une équipe américaine puisse être unique, fruit des échanges de nos parcours, souvenirs de moments vécus ou de moments rêvés, de nos traditions théâtrales si fortes et si différentes. Le spectacle est fait de cette rencontre avec les acteurs, de ce temps passé dans une autre langue, avec une autre façon de travailler, un autre rapport au politique, la découverte concrète de la ségrégation raciale et des états du sud. Il y eut un important travail sur la traduction pour retrouver en anglais le rythme particulier, la nature physique de cette écriture. Pour faire entendre la force de cette langue dans une autre langue… Et bien que situé en Afrique, Black Battles With Dogs nous rappelle finalement, dans ce contexte, la passion de Koltès pour le voyage, Faulkner, la culture américaine, et les mouvements de libération afro-américains...

La création eut lieu à Atlanta en avril 2001, puis à Lorient, au CDDB, en mars 2002. Le spectacle a ensuite été joué à Créteil (MAC) et Clermont Ferrand (La Comédie - Scène Nationale) en décembre 2002. En octobre 2004, Black Battles With Dogs a été présenté à Chicago à l’Athaeneum Theatre, par le Performing Art Chicago et The Chicago Art Institute.

Parallèlement, j’ai enseigné dans le cadre du département « théâtre » d’Emory University (Georgie), dirigé des Master Class à Chicago (Chicago Art Institute) et New York (CUNY). D’autres pièces de Koltès ont été créées par des compagnies indépendantes à Atlanta, il fait maintenant partie des auteurs étudiés à Emory University. En 2004, à la demande d’Emory Theatre à Atlanta, j’ai mis en scène Roberto Zucco.

Cette aventure fut pour moi très importante, artistiquement, humainement, politiquement. Témoignage de coopérations entre deux structures, d’une rencontre entre des créateurs français et américains, du soutien constant du Fonds Etant Donnés (The French American fund for the performing arts), je suis heureux qu’aujourd’hui, ce spectacle qui précédait Oh les beaux jours à l’Odéon et Place des héros à la Comédie Française, puisse enfin être vu à nouveau, dans le contexte du Festival d’Avignon 2006 et des 10 ans du CDDB.

Arthur Nauzyciel, 2006