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Big Bang

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mise en scène Philippe Quesne

: Entretien avec Philippe Quesne

Deux ans après La Mélancolie des dragons, vous revenez au Festival d’Avignon pour un nouveau spectacle en compagnie du Vivarium Studio. Que s’est-il passé pendant ces deux années ?


Philippe Quesne : La vie d’un groupe comme Vivarium Studio est très intense. Nous avons eu la chance de connaître de longues tournées en France et dans de nombreux pays à l’étranger, avec L’Effet de Serge et La Mélancolie des dragons notamment. Il y a beaucoup d’excitation et d’enthousiasme à voyager avec un spectacle : c’est l’occasion de rencontres passionnantes avec des publics, artistes ou programmateurs. Cela nourrit et crée des échanges. À l’origine du groupe Vivarium Studio, il y a la réunion de parcours un peu bizarres. Ce sont d’abord des bricoleurs du corps, des sons, des objets, avec un côté passionné et amateur. Je n’ai pas envie de passer au professionnalisme rigide, il faut conserver ce côté artisanal. Nous sommes ensemble depuis près de sept ans, avec beaucoup d’amitié et de continuité : les six garçons, la femme-mère et le chien. Aujourd’hui, pour cette nouvelle pièce, j’éprouve l’envie de modifier légèrement le groupe et certains ont décidé de faire une pause. D’autres vont donc rejoindre la troupe, embarquer dans l’aventure : une jeune femme qui vient de la danse, un cinéaste qui devient ici interprète, un plasticien et peut-être d’autres au cours des répétitions. Je trouve intéressant d’intégrer de nouvelles gestuelles, d’autres types de corps et d’univers. Ce qui se passe sur scène dépend beaucoup de la vie du groupe, comme si une petite communauté artistique se donnait le droit d’étaler sur le plateau ses liens, ses rêves, ses doutes, pour jouer ensuite avec tout cela devant le public.


Généralement, vous partez d’un titre pour créer un spectacle…


Pour chaque création, l’écriture commence en répétitions, avec le titre du spectacle, prétexte à des expérimentations, du processus de création à la représentation. Je m’étais donné pour premier titre, provisoire, Histoires naturelles. J’ai finalement choisi Big Bang, qui ouvre des pistes multiples en évoquant à la fois une explosion gigantesque, une théorie fondatrice ou bien une simple onomatopée de bande dessinée. C’est aussi la naissance de l’organique, ce qui préexiste à l’apparition de la vie humaine.


Votre autre source d’inspiration consiste à reprendre les dernières minutes d’un spectacle pour lancer le suivant, comme un marabout-bout de ficelle…


La Mélancolie des dragons s’achevait sur du flou, du néant : de grandes formes noires qui se dégonflaient, un lieu qui retrouvait son caractère de no man’s land, les acteurs qui quittaient la scène après avoir hésité sur le nom de leur futur parc. La fin était très ouverte. Cela me donnera sans doute des pistes pour commencer le spectacle suivant : pas forcément de présence humaine, un monde naturel livré à lui-même. Comme souvent, le dispositif plastique jouera un rôle dramaturgique important.


Que se passe-t-il quand l’homme apparaît ?


Je répondrais par une autre question : que se passe-t-il quand l’acteur apparaît ? Je ne sais pas encore, c’est ce qui est très excitant lorsqu’on commence les répétitions. J’imagine pour l’instant une série de courtes pièces, de saynètes successives, avec des titres différents, des atmosphères contrastées, comme des chapitres ou les planches d’un livre en évolution. Il y aura de la vie végétale et animale. L’homme apparaît et invente des histoires. Il découvre aussi la musique, les instruments pour jouer, la voix qui se met à chanter. Tout cela le surprend, mais le ravit en même temps. Dans cette comédie des premiers hommes et des premières femmes, il n’y a finalement qu’un seul point fixe, c’est le lieu qui les accueille : un même milieu naturel, par exemple une île déserte, qui serait l’espace d’une série d’expériences étalées sur des millions d’années.


Ce que vous mettez en scène, in fine, c’est le processus de création lui-même…


Oui, comme toujours. Mais je dirais plutôt : où en suis-je personnellement avec ce processus ? Où en est collectivement le Vivarium Studio sur le chemin de la création ? Soit je pars d’un sujet, comme l’envol, les dragons, la mélancolie. Soit tout s’enclenche à partir d’une situation, comme le personnage solitaire qui invite ses amis pour des spectacles d’une minute dans L’Effet de Serge. Je ne sais jamais, en commençant le travail, s’il y aura une fable. Elle se dessine peu à peu. Dans le moment de la création d’une nouvelle pièce, on accumule des petits sujets, des petites situations, on archive tout cela et on se prépare à l’élaboration de la partition finale. Voilà exactement où l’on en est à ce jour. Par exemple, la question des animaux : faire jouer les animaux par des comédiens, comment ? Sous quelle apparence ? Autre exemple, autre question : celle du végétal, de la place de la nature comme contemplation pure dans le spectacle. Comment faire du théâtre avec des objets, avant l’apparition de la parole, de la musique, de l’homme lui-même ? Quel langage utiliser ? Toutes ces questions se posent et permettent d’interroger le théâtre autrement. La pièce à venir se situe là, dans ce processus qui va de la genèse à l’épuisement, l’usure, puis le recyclage, comme si un morceau de nature pouvait accueillir une nouvelle expérience humaine, un homme revisité d’une autre manière. J’aime bien cette idée du ressassement de notre propre univers et du recommencement. Mais il se pourrait également que les répétitions nous éloignent de ces premières pistes !


Quelles sont vos sources d’inspiration, musicales, picturales, imagées, dans cette recréation du monde ?


En ce moment, je lis quelques « histoires du monde », des livres sur la théorie de l’évolution, ou l’essai de Celeste Olalquiaga, Royaume de l’artifice. L’émergence du kitsch au XIXe siècle. Je regarde les films documentaires de Jean Painlevé qui sont presque des comédies musicales sur la vie de l’infiniment petit sous-marin, du plancton. J’aime beaucoup visionner des films qui utilisent le commentaire en voix off pour observer l’évolution de la vie, où les hommes se trouvent confrontés à des monstres primitifs, des silures, des ornithorynques, des grizzlis, des loups, des murènes, etc.


Il y a la bande dessinée également…


C’est une part importante pour le moment. J’ai découvert, ces dernières années, la richesse de nouveaux auteurs de bande dessinée, qui inventent des modes de narration, des jeux avec les formats, les cadres, comme Chris Ware, Jens Harder, Ludovic Debeurme, Paul Hornschemeier ou Charles Burns. Entre l’absurde et l’étude sociale, la B.D. est une source fondamentale pour moi. J’aimerais concevoir une pièce qui revisiterait une dizaine d’histoires différentes, soit parallèles, soit successives. De toutes ces influences, je me dis que je garderai des éléments pour structurer ou donner sens au spectacle. Par exemple, l’écoute d’une narration en voix off, comme dans le reportage scientifique ; des sauts dans le temps, à la manière d’une histoire de l’évolution ; une forme de surtitrage en bulles ou en enluminures, même sans dialogues, dans le silence, comme on peut en trouver dans certaines B.D. ; des tableaux vivants mis en musique, à la façon de certains opéras. Moins de dialogues et davantage de commentaires, de narrations, de légendes, de musiques : voilà vers quoi nous tendons.


Vous semblez dans une phase très expérimentale ?


C’est l’intérêt premier de la scène : faire des expériences, considérer les répétitions comme un laboratoire, avec un petit groupe de recherche. Pour cette prochaine pièce, j’ai envie de passer des commandes à des dessinateurs ou à des musiciens, pour faire exister dans le spectacle, sur scène, des séquences d’un autre registre. Cette polysémie est essentielle, de même que le mystère : il me faut rester flou le plus longtemps possible.


Jusqu’à la création du spectacle…


Ce sera à Berlin, au Hebbel Am Ufer, qui est l’un de nos partenaires historiques. Je veux mettre le spectacle à l’épreuve avant de venir à Avignon, au gymnase Aubanel, avec quelques représentations à Berlin et aussi à Rakvere en Estonie, dans une petite ville au nord de Tallin.


Votre fonctionnement semble très international. Pourtant, le Vivarium est également très local et localisé, presque tous ses membres étant parisiens.


Nous avons juste un bureau de compagnie à Paris, mais pas de studio de répétition ni de partenariat fixe avec un théâtre. Chaque création est donc l’occasion d’entamer de nouvelles collaborations avec des lieux et des coproducteurs. Nos spectacles ont rapidement suscité l’intérêt de partenaires internationaux et des fidélités se sont nouées au fil des ans dans de nombreux pays en Europe, mais aussi au-delà : États-Unis, Canada, Brésil, Argentine, Corée du Sud, etc. La multiplicité des formes, des langages, le jeu des acteurs, la proximité intime et ordinaire de ce que nous montrons sur scène intéresse des publics très variés. C’est aussi le cas pour Gisèle Vienne, également invitée cette année au Festival. Nous nous croisons souvent à l’étranger : nos univers, dans des approches différentes du théâtre, intriguent les spectateurs.


Propos recueillis par Antoine de Baecque

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