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Accueil de « Banquet Shakespeare »

: Note d'intention

Assise à un pupitre faiblement éclairé, au bord d’un dispositif circulaire en forme de cratère, une femme nous attend. Elle semble avoir subi le contre-effet de l’obscurité à laquelle elle se cantonne depuis si longtemps.
Le lieu, c’est le sien, son théâtre rond comme le « Globe » de Shakespeare ou comme le cirque d’un musée. Il n’est pas à notre échelle mais à celle des personnages qui, guidés par la narration du texte de J.Kott, viendront revisiter les lieux du crime, c’est à dire le plateau de ce petit théâtre en bois, constitué par le fond du cratère.


La somptuosité de l’écriture de Shakespeare sortira par de minuscules bouches. Conspiratrices, intrigantes, amoureuses terrorisées, silencieuses…
Ici, découvrant un crâne dans un sac rempli de terre; là, cherchant à poser une couronne sur la tête d’une créature sans visage : on ne joue pas les scènes, on peut les raconter. Il se joue autre chose, reflet de cette « longue chaîne de crimes » dont parle J.Kott.
Mais quelle histoire raconte-t-on ? Celle des poisons et des crimes, des tentations de pouvoir, de trahison et chutes d’empires. Les assassins sont là ! devant nous et nous servent à boire, à manger. N’y aurait-il pas du poison versé dans l’une de nos coupes ?


Odile Sankara, notre comédienne-griot, agit sur la machinerie du récit, au sens figuré comme au sens propre ; disposant sous la main des commandes de l’accastillage de son vieux théâtre en bois, elle va à la pêche des spectres et des petits personnages les réveillant de leur nuit profonde dans laquelle ils avaient sombré.
Banquet Shakespeare est un spectacle qui, s’appuyant sur le livre de Jan Kott (Shakespeare notre contemporain) cherche à explorer ce que l’auteur appelle le « grand mécanisme » qui lie indissolublement le crime et la couronne dans les tragédies noires (the dark plays jouées le soir aux chandelles, les autres étaient jouées l’après-midi) , chroniques de l’histoire de la lutte pour le pouvoir en Angleterre, de la fin du XIV° siècle aux dernières années du XV°.
« Ce qui nous frappe ici c’est que l’histoire fait du sur place. Dans chaque tragédie, on dirait que l’histoire décrit un cercle pour revenir à son point de départ. Ces cercles répétés se sont les règnes successifs. Dans chacune des chroniques, le souverain légitime traîne une longue chaîne de crimes ».


Le Banquet dont le spectacle tire son nom est celui de l’éternelle vengeance.
Son menu pourrait être celui décrit par Titus dans Titus Andronicus :
Ecoutez, scélérats, je vais broyer vos os en poussière,
De votre sang et de celle-ci faire une pâte,
Puis de cette pâte un cercueil,
Et je ferai deux pâtés de vos têtes honteuses,
Et prierai cette catin, votre mère sacrilège,
D’avaler sa propre engeance jusqu’à la terre.
Tel est le festin auquel je l’ai conviée ;
Et tel est le banquet dont elle va se repaître.


Ni leçon, ni analyse universitaire au sens étroit, le texte de Jan Kott est un chemin dans l’oeuvre de Shakespeare. Il est l’occasion de côtoyer intimement, presque en même temps, tous les personnages de ses tragédies. Nous en saisissons quelques pages pour jalonner ce parcours qui ne semble pas avoir d’autre fin possible que la solitude et la folie personnifiées par Lear. Le grand mécanisme s’est inversé brutalement et de la façon la plus étonnante : les rois qui cheminaient jusqu’à lors à l’extérieur d’une spirale ascendante, trouvent leur image inversée dans Lear, qui étrangement aspirés par l’intérieur de la spirale, tomberaient dans un sombre vortex sans retour. De l’analyse du mécanisme meurtrier, il nous mène à l’homme nu, démuni de tout, tenant sa fille morte dans ses bras.
Après Lear, « c’est tout. Il n’y a pas de nouveau roi. Le plateau reste vide comme le monde. »

Ezéquiel Garcia-Romeu et Laurent Caillon

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