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mise en scène Joël Pommerat

: Entretien avec Joël Pommerat

par Agnès Santi

(…)


Agnès Santi : Avez-vous toujours en tête l’aventure de la représentation au premier stade de l’écriture ? De quelle manière ?


Joël Pommerat : Je ne peux pas séparer dans mon travail l’écriture du texte et l’écriture de la scène. Cela se fait parallèlement. Par aller et retour régulier. Pour moi, de nombreux éléments concourent à donner du sens à la représentation. Le texte s’élabore dans un rapport avec le temps et l’espace de la représentation. Pour ce spectacle nous avons commencé à travailler en lumière avec le son, dans le décor, avec des maquillages, des costumes, alors que le texte commençait tout juste à s’écrire. Au fil des années j’ai vraiment cherché à imposer cette façon de travailler. Pour Grâce à mes yeux cela a été possible grâce à Patrick Gufflet qui a mis à notre disposition le Théâtre-Paris-Villette trois mois avant la création, ce qui est un luxe et un avantage extraordinaires. J’avais déjà un peu goûté à ce luxe grâce à Dominique Goudal à Brétigny-sur-Orge et aux Fédérés à Montluçon.


Vous avez réussi à donner sens aux mots ainsi qu’aux silences de la pièce. Comment travaillez-vous pour faire naître cette qualité de maturation ?


J.P. : Au théâtre je suis assez obsédé par des notions telles que « le poids », « le concret », « l’instant », et « l’intensité ». Nous pouvons passer beaucoup de temps en répétition avec les comédiens à rechercher le juste poids d’un geste, d’une parole prononcée. Ce que j’appelle la recherche du poids des choses, ou le concret, c’est la recherche du rapport le plus direct possible entre l’acteur et les mots du texte, les silences du texte. Je demande aux acteurs d’être concrets, ce qui ne veut pas dire être explicatifs ou rationnels mais de créer un vrai rapport avec les mots qu’ils prononcent, avec les gestes qu’ils font, avec les partenaires à qui ils s’adressent. Tout ce qui peut paraître finalement d’une grande évidence et même banalité finit par créer sur un plateau de théâtre un certain climat d’étrangeté, du fait même de l’impression qu’on peut avoir (dans certaines bonnes représentations, ce qui n’est pas toujours le cas) que des paroles sont vraiment prononcées, que des silences pèsent vraiment, etc… Ce sentiment d’étrangeté est crée aussi par le décalage vis-à-vis de certaines conventions théâtrales (je crois très répandues) qui ont instauré dans la tête des spectateurs une confusion entre le vrai et ce qui a l’apparence du naturel. Je voudrais quand même préciser que ce travail a évidemment ses risques. Et qu’à force de chercher le poids nous tombons parfois dans de la lourdeur ou de la fausse gravité, voire de la tristesse. Il n’y a évidemment aucune recette infaillible pour atteindre le vrai. Il n’y a même que des pièges. De le savoir ne nous empêche pas d’y tomber assez régulièrement. Je veut dire par là que cette recherche de théâtre implique une certaine irrégularité plus grande que la moyenne au niveau de la qualité des représentations d’un même spectacle.


Que voulez-vous dire lorsque vous parlez de « théâtre invisible » ou « transparent » ?


J.P. : Je cherche en permanence un équilibre entre le montré et le caché. Je demande aux acteurs de beaucoup retenir. Je leur demande de s’engager beaucoup et en même temps je leur demande beaucoup de pudeur, de retenue, en réaction je crois à un certain climat environnant de complaisance émotionnelle, presque d’obscénité parfois dans l’exhibition de soi, même au théâtre. Finalement je cherche à susciter chez le spectateur un désir d’approche et de rencontre avec les acteurs et avec le spectacle. Je cherche à susciter son désir de créer lui-même avec sa sensibilité et son imaginaire une partie du spectacle, une partie du sens. Je cherche une ouverture aux autres, une rencontre mais je ne fais qu’une partie du chemin. Je spécule sur le plaisir que le spectateur pourra avoir à faire une partie de chemin lui aussi. Ce fantasme de la rencontre ne peut pas déboucher à chaque fois sur une vraie rencontre, c’est évident. Certains soirs c’est vraiment notre faute, d’autres c’est davantage la faute des spectateurs, un peu paresseux ou pas du tout concernés. Cette forme de recherche est liée à une façon d’accéder au sens des choses, à la vérité. Tout un tas de notions qui n’en finiront jamais de nous séparer les uns des autres.


Propos recueillis par Agnès Santi,
Terrasse n°102, à l’occasion du spectacle Grâce à mes yeux décembre 2002

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