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Au Bois

+ d'infos sur le texte de Claudine Galea
mise en scène Benoît Bradel

: Entretien avec Benoit bradel

réalisé par Fanny Mentré pour le programme du TNS

Comment avez-vous découvert la pièce Au Bois? Qu’est-ce qui vous a donné envie de la mettre en scène ?


Au départ, j’ai vu Stanislas (Nordey) pour lui parler de mes projets et notamment mon désir de mettre en scène un texte de Molière. Je n’ai jamais monté d’auteur classique, l’expérience me tentait.
En même temps, j’avais très envie de faire une vraie rencontre avec une ou un auteur·e d’aujourd’hui. Au début de mon parcours, j’ai travaillé avec des acteurs à ce qu’on appelle une «écriture de plateau ». Puis j’ai pris de plus en plus de plaisir à prendre des textes dramatiques comme matériau de base et à travailler avec des auteurs.
Stanislas m’a cité plusieurs auteurs et dès qu’il m’a parlé de Claudine Galea, j’ai eu le pressentiment que c’était peut-être la rencontre que je cherchais. J’ai rapidement rencontré Claudine et au vu de mes précédents spectacles, elle m’a conseillé de lire Au Bois qui venait d’être publié.


Ce qui est incroyable, c’est que je me suis dit à la lecture que ce texte aurait pu être une « commande d’écriture » de ma part ! J’y retrouvais des éléments qui me sont chers et qui correspondent à l’identité de mon travail.
Tout d’abord, la source «populaire» − provenant du conte ou du récit. J’ai fait un spectacle autour de la gure de Blanche Neige (Blanche Neige, Septet Cruel d’après Robert Walser créé au Théâtre Garonne en 1997), un autre autour de celle d’Alice (A.L.I.C.E, spectacle d’après Lewis Carroll créé au Théâtre L’Aire Libre à Rennes−Saint-Jacques-de-la-Lande en mars 2009). J’aime ces sources qui résonnent dans l’imaginaire du spectateur mais dont de nombreux pans sont inconnus ou oubliés et qui peuvent s’ouvrir à la réécriture.


J’aime le rapport de Claudine aux personnages, dont elle fait davantage des protagonistes − ils agissent eux-mêmes sur le récit − et le fait que certains passages du texte ne soient pas distribués.
Le texte est très fort et il offre en même temps un espace où il reste énormément à inventer. Pour les acteurs, le metteur en scène, toute l’équipe, c’est une matière d’une grande richesse, active, vivante, poétique et politique à la fois.
Et il y a aussi le rapport à la musique qui m’a saisi d’emblée − j’ai presque toujours travaillé avec des musiciens. Claudine a écrit des chansons qu’elle nomme berceuse, mélodie, brame, complainte, air, hymne... C’est un vocabulaire qui me parle.


Tout comme j’aime les deux adjectifs qu’elle emploie pour parler de Au Bois : joyeux et féroce. Le croisement possible de di érents registres m’intéresse. Dans mes spectacles, j’ai pu passer du burlesque à des moments beaucoup plus grinçants. Je me suis toujours intéressé au passage de l’adolescence à l’âge adulte, aux récits initiatiques. C’est aussi une thématique très présente dans Au Bois... Pour toutes ces raisons, j’ai été sou é de découvrir ce texte : j’ai eu l’impression qu’il m’était destiné.


Dans la présentation sur le site de votre compagnie, Zabraka (créée en 1994), vous évoquez Au Bois comme étant un «spectacle manifeste». Qu’entendez-vous par là ?


J’ai commencé le théâtre en étant acteur, puis j’y ai découvert di érents métiers et je me suis ensuite rapidement tourné vers le cinéma, la musique... J’ai employé ce terme de « manifeste » car j’ai envie que ce spectacle soit une a rmation du croisement de ces arts et de l’aspect transgénérationnel qui m’est cher également. Outre le mélange de ces langages, la pièce aborde des thèmes qui ont toujours été au cœur de notre travail : l’émancipation, l’a rmation de la liberté. Tout ce que je pourrais quali er de « socle » de mon travail se trouve présent dans ce spectacle. D’autre part, j’ai toujours fait le choix de travailler davantage avec des actrices qu’avec des acteurs. Les gures centrales de mes spectacles sont majoritairement des personnages féminins.


La grande équipe artistique et technique de Au Bois est essentiellement féminine. Cela me plaît beaucoup et correspond à la pièce où la place des femmes est au cœur du propos. Il y a Maëlle Dequiedt comme assistante à la mise en scène, Pauline Thimonnier à la dramaturgie, Mathilde Chamoux et Marie Bonnemaison aux régies générale et plateau, toutes les quatre issues de di érentes promotions de l’École du TNS et aussi Sylvie Garot pour la lumière, Corine Petitpierre pour les costumes, Dalila Khatir pour le travail vocal et Akiko Hasegawa pour le travail physique.


La production a démarré il y a deux ans et demi. Je n’avais bien sûr pas prévu que nous allions être autant en résonance avec l’actualité, par rapport aux violences sexuelles, à la domination masculine. Nous en avons beaucoup parlé et nous étions notamment en pleine plongée dans l’œuvre de Françoise Héritier juste avant sa disparition (Françoise Héritier est une anthropologue, ethnologue et féministe française, décédée en novembre 2017) . Une autre résonance avec l’actualité, beaucoup plus gaie, est que l’on parle actuellement de la vie « secrète » des arbres, leur capacité à communiquer entre eux. C’est étonnant de découvrir cela au moment où le Bois prend la parole dans notre travail.


Pouvez-vous me parler des gens présents au plateau ?


La pièce m’évoquait la nécessité d’un travail choral. J’ai voulu m’entourer de gens capables de s’impliquer physiquement, vocalement, émotionnellement et qui viennent d’horizons di érents dans leurs pratiques, dans leur rapport au théâtre. Émilie Incerti Formentini joue la Mère. C’est une actrice puissante, qui peut aller dans des registres tragiques tout comme être formidablement drôle. Séphora Pondi, qui joue sa lle, la Petite, a participé au programme «Ier Acte» en 2014 et elle vient de sortir de l’ERAC (École régionale d’acteurs de Cannes et Marseille). Elle a une force d’interprétation qui permet de dépasser l’image de la jeune lle «classique». Ses origines africaines m’intéressent car ça ouvre l’histoire à di érents continents. Dans la pièce, il n’y a pas de père. On peut tout imaginer. Emmanuelle Lafon est une comédienne que j’ai vu exceller dans plusieurs registres, notamment dans son travail avec Joris Lacoste. Elle interprète le Bois − le rôle-titre − qui est au fond un peu le «metteur en scène» de l’histoire, à la fois le lieu de l’action et le protagoniste central. Dans la pièce, on oscille sans cesse entre des éléments très quotidiens − pseudo- réalistes − et d’autres plus fantastiques qui sont justement portés par ce Bois.


Seb Martel interprète le Loup et Raoul Fernandez le Chasseur.


Seb Martel est musicien à l’origine mais il s’est de plus en plus impliqué en tant que performer et interprète. Nous avons travaillé ensemble plusieurs fois. Ça m’intéresse qu’il puisse jouer à la fois de la musique et le rôle du Loup.


Raoul Fernandez est un acteur toujours surprenant, qui peut incarner di érents âges de la vie : il est aussi crédible en gure enfantine que dans l’interprétation d’un vieil homme. J’admire sa capacité de métamorphose et c’est aussi un excellent chanteur. Claudine Galea a joué à brouiller les pistes entre Loup et Chasseur, les deux gures masculines qui rôdent dans ce bois. Nous l’abordons comme une entité double, un duo, où les rôles du bon et du méchant permutent, restent troubles.


C’est un « quintette » formidable et je suis ravi de les avoir réunis. Je les connaissais tous individuellement, mais ils n’avaient jamais travaillé ensemble. À présent, le groupe existe et la force de ce quintette se déploie chaque jour davantage dans les répétitions.


Les chansons et la musique du spectacle sont créées par Alexandros Markeas qui vient de la musique contemporaine. Alexandros compose les mélodies des chansons qui sont ensuite re-travaillées, réadaptées par Seb, qui, lui, vient plutôt du rock et de la chanson. C’est une part importante du travail de répétitions, avec les acteurs et Thomas Fernier aussi créateur du son − avec qui je travaille depuis les débuts de la compagnie.


Comment avez-vous abordé le personnage de la RumeurPublic ?


C’est le sixième personnage de la pièce, qui apparaît dans la seconde moitié. J’ai pris le parti de le faire exister à l’écran.


Le rapport au cinéma est présent dès le début de la pièce: il est question que la Petite aille chercher La Nuit du chasseur (film réalisé par Charles Laughton et Robert Mitchum, sorti en 1955). Le cinéma crée le lien entre les rapports quotidiens de la mère et de la lle et le monde fantastique, plus trouble.


J’ai choisi de faire exister la RumeurPublic, personnage étrange et multiple, en Dissez, Dalila Khatir, Norah Krief, Annie Mercier et Thalia Otmanetelba − qui est sortie de l’École du TNS en juin 2016 (Groupe 42).
C’est un groupe/personnage qui s’octroie le «bon sens», intervient pour dicter «ce qu’il faut faire», et réclame plus d’action, plus de sang... Il vient perturber la représentation.


Outre pour ce personnage, la vidéo sera-t-elle très présente ?


J’ai été vidéaste sur une dizaine de spectacles de Jean-François Peyret dont La Génisse et le Pythagoricien, créé au TNS en 2002; j’aime le dialogue entre le théâtre et l’image.
Je travaille sur Au Bois avec Kristelle Paré pour la première fois et c’est une très belle rencontre. Kristelle a un regard précieux, elle assiste à toutes les répétitions.


Le début de La Nuit du chasseur fait partie de notre dramaturgie commune − même si le lm gurera peu dans le spectacle. J’avais aussi en tête les images des dessins animés de Tex Avery, avec le loup, le Petit Chaperon rouge...


Outre la présence de la RumeurPublic, l’image sera présente notamment pour lmer en direct les scènes d’intérieur avec la mère et la fille.


Comment avez-vous conçu l’espace ?


Je travaille avec un duo de créateurs qui fonctionne en lien étroit sur la scénographie et les costumes. Yvan Clédat a davantage pris en charge la scénographie et Corine Petitpierre les costumes. Nous avons cherché un espace interlope entre ville et forêt. Nous avons d’abord pensé à ce que pourrait être une sorte de fête foraine à l’abandon − des restes de « manèges » − puis nous est venue l’idée d’un «parcours de santé», comme il en existe dans les bois aux abords des villes. Cela nous a tout de suite intéressé par rapport aux espaces de jeu o erts aux acteurs, notamment la possibilité de jouer sur di érentes hauteurs ; escalader, ramper. C’est un espace « entre-deux », entre ville et bois, où l’écran peut apparaître comme un grand panneau Decaux (affichage de communication, souvent publicitaire) en bois. Mais ce n’est pas un espace réaliste dans ses dimensions.
C’est un lieu à la fois abstrait et concret.


Comment comptez-vous traiter l’arrivée des « belettes » dans la scène finale ?


Mon idée de départ était de faire venir des enfants/adolescents sur le plateau et qu’ils chantent. Mais c’est très compliqué à mettre en œuvre d’un lieu à l’autre, d’une part du point de ue de la législation et d’autre part en conservant la qualité vocale qui est celle que je souhaite. J’ai donc choisi d’enregistrer l’air avec La Chanterie, un chœur d’enfants de Persan − Beaumont (Val-d’Oise).


Au Bois a été l’objet de votre rencontre avec l’écriture de Claudine Galea, et vous avez, depuis, mis en scène La 7ieme vie de Patti Smith, d’après la fiction radiophonique qu’elle avait écrite pour France Culture intitulée Sept vies de Patti Smith et son roman Le Corps plein d’un rêve (paru aux éditions du Rouergue en 2011). Comment est né cet autre projet ? Y en aura-t-il d’autres, selon vous ?


Ce projet est né de la rencontre avec l’écriture de Claudine.
Après ma découverte de Au Bois, j’ai plongé dans son écriture et le désir de mettre en scène son œuvre sur Patti Smith a été tout aussi évident.


Ce sont deux projets très dfférents car La 7e vie de Patti Smith − auquel nous avons travaillé en étroite collaboration sur l’adaptation, Claudine et moi − a été un projet plus simple et plus rapide à mettre en œuvre. Il réunit sur le plateau une actrice, Marie-Sophie Ferdane, qui s’est beaucoup impliquée dans l’adaptation également, et deux musiciens, Seb Martel et Thomas Fernier qui sont aussi dans Au Bois. C’est un spectacle qu’on peut quali er de «léger» dans sa facture scénique, deux amplis, deux guitares et trois micros. C’est une forme entre lecture, performance et concert, d’une autre nature que Au Bois.


Claudine elle-même varie les formes entre romans, pièces − y compris pour le jeune public ou radiophoniques.


La rencontre avec cette écrivaine est importante pour moi et j’aimerais la prolonger. J’ai souvent adapté des écritures du XXe siècle et j’ai travaillé avec des auteurs − comme Yves Pagès, Anne-James Chaton ou Sonia Chiambretto. La relation est parfois compliquée quand l’auteur a une idée très précise de la façon dont il veut voir son écriture représentée sur scène. Avec Claudine, le dialogue est riche et stimulant. Je pense que nous avons un respect mutuel de notre travail, qui crée une relation complémentaire.


Pour Au Bois, Claudine nous laisse tout l’espace de déployer notre imaginaire sur son texte. Elle passe parfois en répétitions, nous en parlons. J’aime son regard qui n’est pas du tout gé sur son œuvre, toujours en ouverture, en curiosité.



Entretien réalisé par Fanny Mentré le 26 janvier 2018

Benoît Bradel

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