theatre-contemporain.net artcena.fr

Atropa. La vengeance de la paix

+ d'infos sur le texte de Tom Lanoye
mise en scène Guy Cassiers

: Entretien avec Guy Cassiers

Après Mefisto for ever en 2007 vous revenez au Festival d’Avignon avec deux nouveaux spectacles Wolfskers et Atropa La Vengeance de la paix. L’ensemble forme-t-il une trilogie ?


Guy Cassiers : C’est une trilogie qui s’est construite dans mon esprit au fur et à mesure que nous avancions dans le travail sur Mefisto for ever. Il n’y avait pas un projet pré-établi même si j’avais envie depuis très longtemps de travailler sur les scénarios du réalisateur russe Sokourov. L’occasion s’est donc présentée quand j’ai pensé à un travail plus vaste sur les rapports entre l’art, les artistes et le pouvoir. Dans Mefisto for ever, on se trouve à la place de l’artiste séduit par le pouvoir, dans Wolfskers on est à la place du politicien qui se met au-dessus du politique pour se positionner en tant que philosophe ou en tant qu’artiste et qui attend de ceux qui l’entourent la réalisation de ses rêves. Alors que Mefisto se déroule sur le plateau du théâtre, on se retrouve dans les coulisses avec les héros de Wolfskers, les coulisses du pouvoir. Ce qui réunit ces deux univers c’est que, plateau de théâtre ou coulisses du pouvoir, on se situe dans des lieux qui protègent, qui cachent, des sortes de bunkers isolés de l’extérieur. Dans Atropa. La Vengeance de la paix, on s’intéresse à la cruauté de la guerre de Troie, la mère de toutes les guerres, en la transposant dans l’univers de la guerre d’Irak. Cette fois nous sommes à la place des victimes, celles qui subissent ce dont nous avons parlé dans les deux premières parties de cette trilogie. Nous avons choisi de prendre comme symboles de ces victimes toutes les femmes qui ont souffert à cause des choix politiques d’Agamemnon. À travers ces horreurs universelles, nous cherchons plus globalement à parler de la tragédie en nous situant dans les zones d’ombre des comportements humains. Dans ce travail il n’y a ni bons ni méchants, juste des hommes pleins de contradictions.


Derrière les héros même monstrueux, vous cherchez l’humain ?


Oui même pour Hitler dont les actions ont été parmi les plus monstrueuses du XXe siècle. Il rêvait, il mangeait, il riait, il vivait un quotidien fait aussi de toutes petites choses très banales. Notre démarche est aussi valable pour Lénine et Hiro-Hito qui sont les deux autres héros de Wolfskers. Mais nous sommes très attentifs à ne pas les rendre séduisants et à empêcher toute identification personnelle, nous voulons juste essayer de comprendre comment se produit le glissement de l’humain vers le monstrueux.


Le fait de travailler sur des scénarios de film et sur des images de cinéma plutôt que sur un roman a-t-il modifié votre façon de travailler sur les adaptations ?


D’abord nous avons recomposé les trois films en une seule pièce en mettant les trois héros, et leurs trois univers personnels en même temps sur le plateau, tout en respectant l’idée que tout se passe en une seule journée dans la vie de ces trois héros. En ce qui concerne l’adaptation, il fallait partir des scénarios de Sokourov plus que de ses images de réalisateur, pour créer nos images de théâtre. Nous avons d’ailleurs rajouté des textes issus de Mefisto for ever et aussi des paroles historiques issues de discours de Hitler, Lénine ou Hiro-Hito. Nous n’avons rien écrit de plus même si nous avons rajouté, dans les entourages des trois héros, des personnages qui ne sont pas dans les films, que ce soit Staline, Mac Arthur ou Albert Speer. Quand nous utilisons des caméras vidéos sur le plateau, c’est pour cerner au plus près le jeu des acteurs et non pas pour faire un film, même si cela nous permet aussi de créer avec presque rien sur le plan technique, une atmosphère et de composer l’univers mental des personnages grâce à de petites caméras. C’est pourquoi nous utilisons la vidéo qui permet ce voyage dans le cerveau des personnages.


Ces trois héros de Sokourov n’ont-ils pas rêvé leur peuple ?


Ils l’ont surtout incarné au point d’imaginer que leur mort devait entraîner celle de tout leur peuple. Cette incarnation passe aussi par une quasi déification, d’essence pour l’empereur Hiro-Hito, créée de toutes pièces pour Lénine et Hitler. On peut d’ailleurs penser que pour Hiro-Hito, devenir un homme en perdant son statut de dieu, fut le début d’une autre vie hors de l’enfermement plutôt qu’une chute dans l’enfer. S’il y a un rêve dans ces trois histoires il se situe surtout dans l’irréalité dans laquelle sont ces personnages, sortis du réel pour vivre dans trois univers hors du concret. Le déclin physique et mental qui les atteint vient de cet isolement, paralysant dans un système de pouvoir absolu, que même leur entourage ne peut plus briser. Le pouvoir est ce poison anesthésiant, cette belladone qui donne son nom aux deux spectacles, l’un en flamand Wolfskers, l’autre en grec Atropa.


Ces dictateurs ne sont-ils pas comme des acteurs obligés d’abandonner leurs rôles ?


Oui mais ils abandonnent aussi leur propre corps, leur propre apparence. Ils se vident de leur substance. Ils se dénudent et entrent dans une grande solitude. Leurs rêves sont devenus impossibles à réaliser. Ils ne peuvent se l’avouer mais ça transparaît dans leur comportement, leur allure.


Mais ils continuent leurs petites activités humaines quotidiennes, prendre le thé, s’occuper des insectes… ?


Oui et ils continuent à philosopher en monologuant car ils n’attendent plus de réponses à leurs questionnements.


Le darwinisme leur est commun?


Oui pour des raisons différentes, ils étaient sensibles à la doctrine de l’évolution des espèces et dans le cas de Hitler, à l’idée de sélection naturelle qui permettait d’obtenir une race de seigneurs.


Ne craignez-vous pas que le fait de mettre sur le même plateau Hitler et Lénine puisse choquer ?


Nous ne disons pas que Lénine est identique à Hitler ou à Hiro-Hito. Mais on ne peut plus nier aujourd’hui que Lénine et Hitler ont été tous les deux des idéologues qui ont sacrifié une partie de leur peuple pour le triomphe supposé de leurs théories. En Hollande, c’est le personnage de Hiro-Hito qui pose des problèmes car on peut le trouver un peu gentil alors que les troupes japonaises ont commis des massacres terribles, au nom de cet empereur, contre les Hollandais qui vivaient en Indonésie - comme nous l’avons dit dans l’adaptation que nous avons faite de Rouge décanté que nous avons présenté au Festival d’Avignon en 2006. Mais notre propos est d’analyser le poison du pouvoir absolu, pas d’excuser ou de minimiser l’horreur de ce qu’il a produit. Le texte du spectacle est très clair de ce point de vue.


Sur quels documents avez-vous travaillé pour établir le texte d’Atropa. La Vengeance de la paix ?


Pour les textes des femmes, nous avons travaillé sur les textes d’Euripide en particulier Les Troyennes, dont Tom Lanoye a respecté l’écriture versifiée. Mais il a réécrit le texte pour le rendre universel afin qu’il puisse nous parler aussi d’aujourd’hui, en particulier de l’Irak. Nous avons ajouté aussi des extraits de discours de Georges W. Bush, de Ronald Rumsfeld qui sont dits en prose par Agamemnon. C’est tout le talent de Tom Lanoye d’arriver à mêler ces paroles d’origines différentes. Il faut préciser que le mot Irak ne figurera pas dans le texte, ni celui de Georges W. Bush ou des autres personnages historiques. Il n’y aura pas de références précises mais tout le monde comprendra de quoi il s’agit.


À partir de quoi établissez-vous le parallèle entre la guerre de Troie et celle d’Irak ?


Les origines même des guerres sont presque identiques, en tout cas au niveau des raisons avancées pour les déclencher. Il fallait se protéger contre un ennemi qui menaçait les manières de vivre, qui était un danger pour le devenir de ces manières de vivre. Il fallait protéger la sécurité des peuples… Dans les deux cas il y a un prétexte, Hélène pour les Grecs, la bombe atomique pour les Américains. Enfin les Troyens comme les Irakiens ne pensaient pas que leurs ennemis oseraient les attaquer.


En prenant des femmes comme héroïnes d’Atropa. La Vengeance de la paix vous voulez les présenter en victimes objectives des guerres ? Dans la tragédie grecque en effet ce sont elles qui perdent leurs maris et leurs enfants, qui sont traitées en esclave, qui sont sacrifiées pour les besoins des guerriers, pour satisfaire les dieux et obtenir un avantage militaire. Leurs destins sont d’ailleurs intimement liés.


Quelle scénographie imaginez-vous pour Atropa ?


Comme ce sera le dernier épisode de la tragédie, il y aura des éléments de décors des deux premiers spectacles et un travail de vidéo qui sera toujours lié au plateau. Il n’y aura pas d’images de guerre ou d’images venant de l’extérieur.


Vous êtes devenu un habitué du Festival d’Avignon. Qu’est-ce que vos séjours successifs vous ont apporté ?


Une grande reconnaissance en France et en dehors de la France, ce qui nous permet aussi de trouver des financements pour des projets qui sont initiés avec plusieurs partenaires. C’est aussi une occasion de faire connaître tout le travail que nous faisons avec les créateurs associés au Toneelhuis d’Anvers, Benjamin Verdonck, Sidi Larbi Cherkaoui qui maintenant ne sont plus seulement des interprètes mais de vrais créateurs avec des projets personnels, reposant sur des visions différentes du théâtre et des pratiques théâtrales. Cette diversité est une énorme richesse pour la vie de notre institution.


Propos recueillis par Jean-François Perrier en février 2008

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.