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Até

+ d'infos sur le texte de Alain Béhar
mise en scène Alain Béhar

: Notes sur le texte, la mise en scène et la scénographie

1/
On trouve trace par-ci par là dans la mythologie grecque d’une divinité de «l’égarement» (déesse aussi de la «fatalité» voire de la «folie», de l’illégalité et du mouvement irréfléchi) nommée Até.
Fille de la discorde. Qui porte partout l'erreur… Une divinité néfaste chez les Grecs.
Chassée de l’Olympe par Zeus furieux… lancée au milieu des oeuvres des hommes… ses pieds ne touchent jamais le sol, elle plane sur la tête des humains ses complices ou ses victimes… partout ou elle s'arrête, ses pas sont marqués par le ravage et la destruction: Il ne faut plus qu’elle s’arrête et elle le sait… elle n'a d'autre occupation que de troubler l'esprit des hommes pour les livrer au malheur… parcourt la terre avec une célérité incroyable, et se plaît dans les injustices et les calamités des mortels... (l’exégète lui en voulait, manifestement)
Je l’aime bien.
Les Lites, c’est à dire les Prières, ses soeurs boiteuses, la suivent de loin et réparent tardivement le mal qu'elle ne cesse de faire.


2/
J’essaye à ma façon de rendre sensible l’idée que naissent, au travers de flux d’informations hétérogènes, des noms, des personnages - cinq - qui peu à peu s’installent, et une « fable » qui les relierait en fin de compte comme on rencontrerait un « nous » en route. Rendre sensible cette apparition du nom, du personnage et de la fable. Presque comme une histoire en soi. Un peu - toute proportion gardée - comme ces pièces inachevées de Michel-Ange à Florence me donnent cette sensation : des « personnages » qui sortent de la pierre.


3/
Le père. Un joueur de jeux en réseaux plus ou moins hacker et monsieur Loyal. Hacker comme on le disait des premiers libertaires de la révolution numérique. La soeur. Un(e) avocat(e) spécialiste en « gouvernementalité algorithmique », addicte à la bourse et aux marchés, qui parle d’économie alternative et d’éventualités parfaites dans un système de prévisions complexes. Un abbé - que j’ai pour l’instant appelé l’Abbé Migne - en charge, entre autre chose, de la question du « mal » qui dit : « Mais foutre Dieu, pourquoi diable faudrait-il résoudre ce conflit ? ». L’ami « on line » et l’ami présent. Mô, qui subsiste du précédent spectacle, la mémoire faite des souvenirs des autres. En quelque sorte « moi » mais sans le « i ». Et une divinité mineure, instable et en image, moitié mythologie grecque, moitié World of Warcraft, sans doute imaginée par les cinq autres et qui donne le titre : Até, qui dit: « Je vais mentir, attention je mens ».


4/
On voit quatre acteurs qui sont là « vraiment » et un autre qui est là aussi, exactement dans la même temporalité, mais depuis « sa chambre », chez lui.
On travaille ainsi avec lui et d’autres depuis le tout début du processus, nous répétons en réseau en quelque sorte.
Ce n’est pas un effet, mais plutôt une façon d’être ensemble, en tous cas, c’est ce que cela veut laisser entendre.
Il y a simplement un réseau de webcam et d’écrans installés, un peu partout, à la fois chez Julien et sur le plateau, pour une diffusion permanente en streaming dans les deux sens, un système pour « switcher » de l’une à l’autre et des effets miroirs.
Le rôle titre, Até vit dans les projections, quelles qu’elles soient. Elle change de visage régulièrement, mêlant, sur un personnage blanc « neutre » dessiné au féminin en 3D, des éléments de la pièce filmés avec des actrices pour la circonstance, des extraits de films, des détails de tableaux et des photographies, des collages divers, des avatars de jeux en réseau…
Nous travaillons par ailleurs sur Second Life avec une « buildeuse », à l’élaboration d’un lieu virtuel. On retrouvera sur Second Life des éléments de la scénographie utiles à l’histoire qu’on raconte, ainsi que dans la scénographie des éléments projetés de ce lieu virtuel.
Les voix qui parlent dans Até et les personnages qui y paraissent ont tous des avatars ou des pseudonymes sur Second Life, Lord of Warkraft, Facebook, Myspace, Twitter…. et naviguent le plus simplement du monde d’un niveau de réalité à l’autre.
Il n’y a pas une multitude d’écrans, tout l’espace qui se déplie peu à peu tend à devenir un seul écran sur lequel les images se mêlent aux volumes.
Il y a enfin celui qu’on ne voit pas à propos duquel la conversation tourne souvent. Il ne sort jamais de sa pièce archi connectée, on ne le voit pas, mais il contribue et participe par écrit, comme une sorte de « chartreux », dans une contemplation qui nous échappe. Il a inventé un système logiciel capable d’intégrer une part d’oubli à la mémoire numérique.
Son père, sa soeur et quelques amis se demandent en festoyant à la fois ici et « on line », le soir du « nouvel an » sur trois fuseaux horaires, s’il faut « vendre les droits » de cette invention, s’il faut qu’il sorte ou non.


5/
Il y a seulement un cube, d’abord. Un caisson sonore dans lequel tout serait contenu, un peu la boîte de Pandore, qu’on ouvre et qu’on referme. (On peut ici refermer d’un clic la boite de Pandore, ça change la donne.)


Depuis ce cube, un monde de pixels et de tracés, de formes en volume - en partie gonflables - opaques et transparentes, s’ouvre à l’infini, se déplie, ouvrant au passage des espaces « naturalistes » juxtaposés, toujours en devenir pour le jeu (l’intérieur d’un appartement, une cuisine, un coin de nature, un café…). Progressant tranquillement jusqu’à remplir l’espace : un mouvement d’ajouts et de décentrement perpétuel, « baroque » en quelque sorte. Il y a des projections sur ces formes qui se confondent aux volumes sans ostentation. Sources et supports sont idéalement masqués. La sensation visée c’est une saturation douce, un mélange « parfait » entre objet image et dessin de l’objet. Lorsque le cadre est « plein » un événement se produit, donnant la sensation d’un écrasement par le haut du plein, tassant comme des « couches historiques » et obsolètes tout ce qui est entré jusque là, pour que nous finissions par jouer sur un plateau nu en hauteur, un beau désert en quelque sorte. Parmi les tâches qu’on assigne à nos ordinateurs, c’est l’effacement qui consomme le plus d’énergie.


6/
Até parle d’abstraire et d’abstraction et de métamorphose, comme de libérations. Elle nous égare avec des «Si», fait des fausses pistes. Elle est « extravagante » au sens de l’étymologie, au sens d’un vagabondage hors des limites. Elle est pour ainsi dire « l’émergence » du nouveau dans l’ancien, l’incertitude au voisinage de quoi que ce soit et en un sens « la liberté » et enfin l’idée qu’on s’en fait avant d’en parler et de devoir la défendre le cas échéant. Até protège - comme on le dit pour les marins en mer - les ouvriers insensés que nous sommes de la contrepartie conforme.


7/
Je suis curieux de l’endroit d’humanité où sont les gens qui « disparaissent » chez eux immergés dans des mondes virtuels. Ça me plaît de penser qu’ils seraient une sorte d’avant-garde du temps en marche, des pionniers en quelque sorte. Je suis curieux des communautés virtuelles de solitaires, de ce qui charge le présent de temporalités parallèles, de « tunnels sous la réalité », de la place du corps du sexe et des fantasmes dans tout ça, des avancées de la loi pour borner ces usages ou en contraindre la valeur, de ce qu’en pensent la morale et les églises… Enfin de toute sorte de choses sur ce terrain-là, qu’à la fois nous habitons et qui nous contient. C’est un truc de rêveurs, sans doute.

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