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Argument

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mise en scène Pascal Rambert

: Entretien avec Pascal Rambert

par Marie-Christine Vernay

Qu’est-ce qui est à l’origine de l’écriture d’Argument auquel vous pensez depuis 2 ans ?


Pour des raisons qui ne m’ont pas été données, la base ce sont les corps : la bouche de Marie Sophie Ferdane et la façon de bouger de Laurent Poitrenaux. Leurs corps m’ont envoyé des messages ; m'ont renvoyé à une autre époque : en 1871. Aux préraphaélites anglais, par exemple, près du peintre et poète Dante Gabriel Rossetti et l'histoire avec son épouse et muse, l'artiste Elisabeth Siddal, modèle pour tous les peintres de cette époque. Elle en est morte d'ailleurs. A sa mort, il a enterré ses poèmes dans sa tombe puis, à court d'argent il les a déterrés pour les publier. C’est l’époque aussi de Mallarmé que j’aime beaucoup. D'une certaine invention de la langue.


C’est la France de la Restauration, de la Commune. Ce n’est pas dans vos habitudes. Oui, c’est un monde que je ne connais peu et que je n’avais jamais abordé dans mes pièces contemporaines. Mais, c’est une France qui me plaît et m'effraie : cette France étouffante, aux appartements avec de grosses tentures, sous la lumière au gaz, où des vies se fanent - qui me repousse quant à ses valeurs conservatrices. J’ai surtout un goût pour le début du 19ème, ce court moment que fut la Commune. À la Goutte d’Or je passe souvent devant la plaque dédiée à Louise Michel. Cela me ramène régulièrement à cette époque qui m’interroge, me charme.


Pourtant vos trois personnages n’ont rien de très charmant, ce couple qui se déchire jusqu’à la mort avec ce pauvre Ignace, l’enfant ballotté.


Je ne fais évidemment pas ici une pièce historique. Le couple, comme beaucoup ont quitté Paris pour la province au début de la Commune, lui, Louis, avec des convictions de bourgeois réactionnaire, un chef de famille avec des valeurs. Elle, Annabelle, plus rebelle, lit, écrit : ce qui fait peur aux hommes. Quant à l’enfant, il me touche. Il est l’expression de la façon dont les enfants sont manipulés, dirigés par nos propres affects. Qu’est-ce que l’on inscrit dans la chair de nos enfants ? J’ai eu la chance d’avoir une enfance sans problème. Mais si le manque d'amour est une torture parfois l'inverse tue plus sûrement.


Alors Ignace s'envole et Annabelle sort de la tombe pour prendre la parole.


Oui, Ignace, il ne sait que faire devant l'affrontement dur et violent de ses parents. On le voit souvent dans la vie : les enfants au milieu d’une querelle ne savent pas comment réagir mais, en silence, ils enregistrent tout. Alors oui, Ignace s'envole et Annabelle sort de sa tombe, après avoir été victime des paroles et des coups de la jalousie de son époux qui se déchaîne parce qu'il a trouvé un médaillon. Le théâtre permet de faire ce que rien d'autre ne permet : faire voler un enfant, ressusciter une femme. Et toute ma vie, je ferai revivre sans doute ces femmes mortes pour qu’elles parlent. Je donnerai si possible et le mieux possible une forme à ce désir fou qui nous habite : vivre toujours, ne jamais mourir. Le théâtre l’autorise. Donner aussi une forme au désir cannibale de l'espèce humaine. Clôture de l’amour était la forme visible d'une rupture à travers le langage. Répétition l'explosion à fragmentation d'un groupe. Argument ce sont les flèches empoisonnées, silencieuses, que adultes, nous enfonçons dans le corps de nos enfants. Nous nous entre-dévorons.


Vous avez la foi ?


Non. Mais la présence insupportable de la religion en ce moment m'oblige à y réfléchir. Mais ce sera plus présent dans ma prochaine pièce " Actrice " que j'écris pour les acteurs Russes du Théâtre d'Art de Moscou. Ceci dit " la foi " est un vrai sujet.


C’est lié aux années qui passent ?


Ce que je ressens aujourd’hui est un moment déceptif, un retour à une forme de restauration, malheureusement. Dans ma génération, on défendait des idées révolutionnaires, assez belles, on défendait l’avortement, le droit d'aimer qui on voulait, on n’était pas obligé d’être attaché à un territoire. Il y avait une sorte d'énergie humaniste. Aujourd'hui quelque chose s’est retournée que je ressens avec beaucoup de chagrin. Quelque chose c'est fermé. Les êtres se sont fermés. J’ai mis fin à mes délices de jeunesse liés à la recherche romantique de la mort. J'ai des centaines de projets partout dans le monde. Par exemple avec l'auteur et metteur en scène Japonais Oriza Hirata on s'est juré qu’on ferait ensemble un projet en 2042, quand aura 80 ans. Je n’ai pas vu le temps passer. Des jeunes gens me parlent de mes mises en scènes, de mes textes, les montent et moi je ne m’attendais pas à mourir et tout à coup, j'ai 50 ans. Et ça me plaît de vieillir. Ecrire à l’imparfait, c’est le bonheur.


Recueillis par Marie-Christine Vernay pour le T2G – Théâtre de Gennevilliers, 2014.

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