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Antigone

+ d'infos sur le texte de Jean Anouilh
mise en scène Marc Paquien

: La Pièce

Par Marc Paquien, metteur en scène

Une pièce politique


On pourrait s’attendre, en lisant Antigone de Jean Anouilh, à une simple ré-écriture de la pièce de Sophocle, comme cela arrive souvent, mais il n’en est rien. Dans le contexte de l’occupation allemande, en 1944, Jean Anouilh et André Barsacq (le metteur en scène d’Antigone et directeur du Théâtre de l’Atelier), décident d’un geste bien plus audacieux. Dans le Paris des rafles, des tracts et des attentats, de la peur et de la violence, la figure d’Antigone vient soudainement incarner tout l’espoir d’une génération, devient le symbole de toutes les résistances. Loin du tragique religieux (ce n’est ni Sophocle, ni Claudel), loin d’un tragique athée (ce n’est ni Camus, ni Sartre), la pièce de Jean Anouilh s’incarne dans l’époque et nous ébranle. C’est un objet singulier, complexe, polémique et poétique, qui nous saisit et nous émeut, violemment. Et surtout, qui nous questionne. Une grande comédienne, adolescente à l’époque de la création d’Antigone, me racontait récemment à quel point cet événement avait soulevé l’espoir, en 1944 : « On en était fous, me disait-elle, c’était la voix que nous voulions entendre… ». Il me semble qu’aujourd’hui encore, cette voix-là peut vibrer de toute sa force, de toute sa singularité.
Bien sûr, la personnalité de l’auteur divise. Jean Anouilh est un être à part, difficile à saisir, qui s’est élevé, après la guerre, contre l’épuration et la condamnation à mort de Robert Brasillach, comme de nombreux intellectuels, et fut ensuite très vite catalogué politiquement. La pièce n’est pas écrite « pour » la résistance, mais elle devient, au vingtième siècle et jusqu’au vingt-et-unième, « notre » Antigone, un acte fondateur de résistance. Et elle ouvre évidemment la voie à toutes sortes de réflexions liées à la question même du politique. Qu’attendons-nous de l’autorité de l’État ? Quel champ sommes-nous prêts à laisser aux actes individuels… ?


Une tragédie sans dieux


La chose la plus singulière est de découvrir, qu’ici, Antigone n’agit pas au nom des dieux. Elle l’affirme de façon très explicite quand Créon lui demande les raisons de son geste et qu'elle répond : « Pour moi ». Chez Sophocle, le peuple hurle aux portes du palais pour sauver la jeune femme. Chez Anouilh, il crie pour demander sa mort. Elle ne semble pas non plus déterminée par son passé : elle ne se souvient de rien et ne fait qu’avancer. Le mythe semble renversé pour faire place à une cruauté bien plus familière et laisser Antigone s’incarner dans notre modernité.
Comme tous les autres personnages de la pièce, elle est habitée par la peur. Le chemin vers la mort n’est pas une chose facile pour elle, elle semble vaciller au moins à deux reprises. Antigone n’est qu’une enfant aspirant à rester pure face à ses idéaux. Ces thèmes de l’enfance et de la pureté se retrouvent d’ailleurs dans toute l’oeuvre de Jean Anouilh, et résonnent ici d’une manière toute particulière. Antigone n’entrera pas dans le monde des adultes, elle ne sera pas souillée par ce monde de compromissions.
La force de la pièce est aussi de rompre avec la tragédie antique, comme si l’auteur avait cherché à faire exploser le mythe, à le violenter. Le début d’Antigone, où le Choeur présente tous les personnages, fait penser à une effraction : maintenant que tout a disparu, regardons notre histoire. Et quand on songe au contexte de chaos qui secoua le monde dans les années 1940, à la destruction qui était en marche, on comprend aisément le poids et la résonnance de ce texte.


Anouilh, notre contemporain


Sous une apparente simplicité, l’oeuvre de Jean Anouilh est loin d’être simpliste. Elle révèle, au contraire, une grande complexité et un sentiment de tourment face au monde. Des forces terribles et violentes surgissent à sa lecture. Antigone nous projette face à nous-mêmes, face à nos propres questionnements et face à nos propres idéaux. La figure d’Antigone peut s’incarner partout dans le monde. Elle surgit et nous interpelle sans cesse : on peut penser à Simone Weil, mystique et résistante, à Anne-Marie Schwarzenbach, antifasciste engagée, ou bien, plus proche de nous, à Annabelle Delory, cette jeune femme qui réclame toujours que la lumière soit faite sur la mort de son frère otage au Niger.
Cette Antigone n’est plus une héroïne lointaine, prisonnière de son passé et du pouvoir des dieux, mais une jeune femme qui, refusant que le corps de son frère pourrisse au soleil, incarne toutes les rébellions du monde. Elle prend en charge notre propre histoire, nos propres révoltes, nos propres actes de résistance contemporaine.
J’ai été impressionné de revoir le magnifique film de Theo Angelopoulos Le Voyage des comédiens, dans lequel le mythe d’Électre est revisité à travers l’histoire de la Grèce au vingtième siècle, notamment à travers les périodes de l’occupation, puis de la guerre civile. La manière dont les personnages passent d’une époque à une autre, s’incarnant dans l’éternité, est saisissante. L’histoire semble se répéter, éternellement. Dans le prologue dit par le Choeur, Anouilh nous rappelle que la tragédie a déjà eu lieu, que tout est déjà terminé. Il tend ainsi un miroir vers notre monde qui n’en finit pas de s’éteindre… Son théâtre devient véritablement l’art de faire parler les morts.


Propos recueillis par Laurent Codair et Chantal Hurault, communication à la Comédie-Française, juin 2012

Marc Paquien

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