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Anéantis

+ d'infos sur le texte de Sarah Kane traduit par Lucien Marchal
mise en scène Daniel Jeanneteau

: Propos du metteur en scène

La première violence de la découverte, l'effet de mode, sont maintenant passés. On peut commencer à voir Sarah Kane autrement, avec moins de fascination ou de dégoût, comme un être visionnaire, frappé de lucidité, et généreux.


On peut sortir son oeuvre du registre de la provocation, qui personnellement ne m'intéresse pas. Qui ne l'intéressait pas non plus elle-même. Contre toute attente elle était sincère, et, comment le dire autrement, aimante.


Son oeuvre, définitivement close en cinq textes exigeants et beaux, est un cadeau d'amour, pour reprendre la formule de Bruno Bettelheim à propos des contes de fées. C'est à dire que, aimante, elle nous risque à la plus radicale des expériences, non par haine ou par goût du sang, mais parce que l'humain se définit précisément par son besoin et sa capacité de se confronter au pire.


La lecture il y a quelques années de L'Espèce humaine de Robert Antelme m'a révélé cela : loin de m'affliger, de m'atteindre en m'enlevant des forces, le regard qu'Antelme porte sur son expérience dans les camps de concentration, échappant à la fatalité de l'état de victime et envisageant l'humain dans son unité indivisible, restaure, étrangement, une forme de confiance que je pensais avoir perdue. Il y a là, dans l'expérience même du désastre, comme un rappel à l'humain.


‘Nous devons parfois descendre en enfer par l’imagination pour éviter d’y aller dans la réalité’ disait Sarah Kane. De même Andersen prend les enfants par la main de leur imagination pour les amener à vivre les pires choses, dans la parenthèse du conte. Hölderlin disait du poète qu'il saisit de sa main le terrible, l'éclair lui-même, pour le tendre aux foules sous son voile de chant. Anéantis, comme l'ensemble de l'oeuvre de Sarah Kane, est un poème et un conte. Complexe, douloureux, charriant des blocs de réalité opaques, mais avant tout un poème. Pas un simulacre, mais la réalité rejointe par les figures de l'art. Les scènes, les gestes n'y sont pas documentaires, mais images, et, comme images, agissantes, suscitant la réalité par d'autres moyens que ceux de l'imitation.


La problématique centrale d'un tel texte est évidemment celle de la représentation. Que ce soit pour le jeu des acteurs comme pour la scénographie. Comment représenter la violence physique ou le sexe ? Comment négocier, dans le décor, la convention de la chambre à coucher, le mini-bar, la salle de bain, et la violence métaphysique de l'explosion ? Dans ces deux domaines je n'ai pas de réponses préconçues ; mais c'est précisément cette difficulté, abrupte, qui m'attire, et qui exige de nous l'invention d'une forme et d'un langage théâtral que nous ne connaissons pas encore.


À la création Anéantis a scandalisé le public et la critique, parce que selon Sarah Kane sa pièce ‘faisait apparaître un lien direct entre la violence domestique en Angleterre et la guerre civile dans l'ancienne Yougoslavie. Elle posait la question : Quel est le rapport entre un viol ordinaire commis à Leeds et le viol en masse utilisé comme arme de guerre en Bosnie ? Et la réponse semblait être que le rapport est très étroit. L'unité de lieu évoque l'idée d'un simple mur de papier qui séparerait la sécurité et la civilisation de l'Angleterre tranquille de la violence et du chaos de la guerre civile. Un mur qui pourrait être déchiré, sans prévenir, à tout moment.’


Comment ne pas penser à la déchirure du 11 septembre, et aux mille déflagrations, encore discrètes, qui travaillent la société occidentale.

Daniel Jeanneteau

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