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Andromaque, les héritiers

d'après Andromaque de Jean Racine

: Présentation

Interview réalisée par Patrick Beaumont

Je lisais récemment dans un ouvrage sur Racine, qu’on n’allait plus aujourd’hui voir ses pièces que pour « s’y emmerder poliment ». C’est souvent vrai et, du coup, je me suis interrogé sur la façon de donner un accès à cette œuvre, à cette langue sans être dans une démarche patrimoniale – par laquelle il faudrait perpétuer un texte majeur de la littérature théâtrale –, ni dans une posture où je voudrais réinventer Racine, révolutionner son approche. Ceci posé, j’ai choisi Andromaque parce que je suis convaincu que ce poème dramatique transporte avec lui les grandes questions de notre époque. Je ne conçois pas l’acte théâtral autrement que comme un acte politique et Andromaque est une pièce très politique.


Les quatre protagonistes de la pièce appartiennent tous à des territoires différents et dessinent une géopolitique amoureuse où des territoires se confrontent. Andromaque, contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’est pas le sujet de la pièce. Chaque personnage principal – Andromaque, Hermione, Oreste et Pyrrhus – est son propre sujet. Chacun n’est occupé que par le récit de sa propre histoire. Chacun est sa propre douleur, sa propre souffrance, sa propre narration. J’ai d’ailleurs réuni pour un seul interprète les rôles des confidents, comme si chaque discours de ces quatre personnages ivres d’eux-mêmes se projetait sur le même miroir, révélant leur solitude, leur enfermement.


On a ainsi le sentiment que ce poème dramatique est un entrelacement de quatre poèmes. Et lorsqu’on est incapable de parler avec l’autre, de partager son territoire et qu’on est enfermé dans ses propres frontières, il reste trois solutions : soit on meurt comme Hermione et Pyrrhus ; soit on devient fou comme Oreste ; soit on devient un tyran comme Andromaque qui récupère le pouvoir les pieds dans le sang. Cette histoire raconte ainsi l’histoire qui est la nôtre aujourd’hui, celle d’une société perdue dans la contemplation de son propre déclin fantasmé, dans le ressassement permanent de son passé glorieux, de son avenir désespéré, de ses espoirs perdus et de ses tentations les plus dangereuses.


Racine écrivait pour un public de cour très éduqué et son texte est truffé de subtilités. Mon objectif n’est pas que le public d’aujourd’hui saisisse toutes les références, mais qu’on lui propose un certain nombre de portes d’entrées pour qu’il puisse s’y retrouver. D’autre part, je veux lui faire entendre l’essence de cette langue en lui redonnant son caractère physique, sanguin et même sa folie. Je veux retrouver le muscle de cette langue sublime, son battement, son urgence.


Avec Denis Guéguin, l’un des collaborateurs historiques de Krzysztof Warlikowski, nous ne voulons pas que la vidéo soit un pur appendice esthétique mais que chaque image ait un sens. Dans la lignée de ces personnages plongés dans la contemplation de leur propre image, chaque comédien se filmera avec une caméra et, selon les scènes, cela ouvrira une nouvelle fenêtre de lecture au spectateur.

Damien Chardonnet Darmaillacq

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