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Anaïs Nin au miroir

+ d'infos sur le texte de Agnès Desarthe
mise en scène Élise Vigier

: Entretien avec Élise Vigier et Agnès Desarthe

Propos recueillis par Francis Cossu

Qui est Anaïs Nin ? Qu’avez-vous en commun ? Comment situez-vous cette pièce dans votre parcours ?


Élise Vigier : Pendant le confinement, je me suis mise à lire les nouvelles d’Anaïs Nin. Lecture qui collait alors parfaitement à mon envie de douceur. Je découvre une autrice qui, surtout dans les nouvelles du début de sa vie d’artiste, cherche à raconter le désir. Ces nouvelles m’ont intéressée parce qu’il y est toujours question d’amour, de la façon dont il permet de découvrir des endroits inattendus de nous-même. Elles sont complètement composites, ce sont des nouvelles fantastiques. À travers elles, il est possible de deviner la personnalité de cette femme, franco-cubaine, qui écrit en anglais-américain, aime le flamenco... Elle a une façon particulière de se saisir de la réalité, d’être en dedans et en dehors. C’est une autrice plurielle, insaisissable, sans arrêt penchée sur les avatars d’elle-même qui écrit sur ce qu’elle vit. J’aime aussi son côté non réaliste car, en général, le réalisme du monde l’accable. J’ai trouvé également une autrice qui a un attachement particulier à l’humain, qu’elle étudie au microscope. Elle regarde ce qui peut le modifier, le révéler, au sens magique du terme. Cette capacité à croire que l’art peut avoir une fonction magique est sans aucun doute ce qui me rapproche le plus d’elle. Elle croit que la littérature peut créer des dialogues entre des vivants et les morts. Elle croit que le fantastique, le merveilleux de la littérature, peuvent être aussi forts que l’amour, que la vie.


Nous imaginons les sources de ce spectacle nombreuses ?


É. V. : En juin 2021, j’ai eu la chance d’être en résidence d’écriture à la Chartreuse-CNES de Villeneuve lez Avignon avec la romancière Agnès Desarthe qui a traduit L’Intemporalité perdue et autres nouvelles d’Anaïs Nin et les comédiens et comédiennes. Avec Agnès nous avions préparé des scènes à partir des nouvelles La Chanson dans le Jardin, Le Sentiment tzigane, Le russe qui ne croyait pas au miracle et pourquoi, Les Roses rouges, Un sol glissant... Ces histoires ont en commun une rencontre, un événement qui fait que les protagonistes ne sont pas ce qu’ils pensaient être, ou quittent ce qu’ils sont. Nous avons ensuite condensé d’autres nouvelles qui convergent toutes vers des femmes dont les vies changent quand elles rencontrent l’art. Agnès avait aussi écrit des séquences de A à Z en écho, des séquences qui faisaient lien pour nous. Nous avions un grand « Vrac » écrit pour ces comédiens et comédiennes là. C’est écrit pour eux. Au final, une partie de l’action se passe dans un théâtre. Nous y rencontrons des comédiens qui se questionnent sur le travail du texte, qui se demandent si l’art peut sauver, agir sur le monde. Dans ce recueil, Anaïs Nin est un peu à la recherche de son monde idéal. Féminisme, érotisme, rivalité homme-femme, politique : les thèmes qui traversent ces nouvelles sont nombreux ! Il y a surtout l’amour, le temps et l’art. Les personnages, eux, tentent d’échapper aux conventions et hypocrisies sociales et ils y arrivent grâce à la rencontre avec un art qui crée chez eux des envies de liberté. Les mots sont au cœur des nouvelles du recueil. Anaïs Nin est une grande lectrice, enthousiaste, fascinée par les auteurs, la psychanalyse, l’astrologie, l’amour, la sexualité...


Vous situez l’action de cette pièce dans un théâtre. Sur scène git encore le vestige d’un décor d’une pièce passée. Cela rappelle que l’écriture même d’Anaïs Nin mêle étroitement fiction et réalité que vous traduisez par l’utilisation de l’image filmée. Comment vous êtes-vous emparée de cet univers qui oscille entre caricature, critique sociale, et qui joue avec le lecteur grâce à de nombreuses ruptures et nombreux points de basculement ?


Agnès Desarthe : Effectivement, la critique sociale est partout et elle arrive par l’intimité. Toute sa vie Anaïs Nin a écrit quotidiennement ce qui se produisait autour d’elle. Elle transgresse les données sociales, l’ordre établi, mais ne cherche pas à en faire une cause, ou un but. Elle est dans l’expérience, dans la passion de la curiosité qui pourrait presque basculer dans une espèce de folie. J’ai travaillé par impression. Ici, il n’y a pas de grand récit, mais plutôt des numéros de magie, de cabaret, de danse. La seule histoire est peut-être celle du fantôme d’Anaïs Nin qui hante la scène et finira par disparaître. Le bateau, c’est une sorte de home qu’elle appelle sa caloge en référence à Maupassant. Le film reprend ce leitmotiv du voyage en bateau qui revient régulièrement tout au long de sa vie en prenant différentes significations. Dans la pièce, c’est là qu’elle s’endort, fuyant les mondanités, et fait un voyage de vingt ans au cours duquel elle dialogue avec des évènements de sa vie.


É. V. : Dans le film projeté sur scène que nous avons réalisé avec Nicolas Mesdom et dont il signe l’image, nous racontons ce voyage à rebours. Anaïs Nin y retrouve des scènes d’enfance et d’adolescence, elle remonte le fleuve de sa mémoire, c’est un passage entre présent et passé. La matière film en noir et blanc donne à percevoir quelque chose du corps qui est autre : la peau, les yeux, les regards. Ces gros plans permettent de montrer l’indicible. Ils rappellent quʼAnaïs Nin est obsédée par la non-fixité, le mouvement permanent, le voyage. Obsédée par ce besoin constant de vérifier qu’elle existe. L’eau est un élément important. C’est comme un miroir. Cette pièce est aussi une histoire de reflet, de mémoire. C’est vertigineux, parce que c’est une matière assez instable et vivante.


Anaïs Nin au miroir met en scène des comédiens qui répètent une pièce d’Anaïs Nin. C’est un dialogue entre l’époque d’Anaïs Nin et aujourd’hui. Comment avez-vous composé ce texte avec l’ensemble des comédiens lors d’une résidence à la Chartreuse-CNES de Villeneuve lez Avignon ?


É. V. : Le fil rouge était déjà écrit, les personnages aussi. Agnès Desarthe a aussi composé les dialogues avec le résultat des improvisations des comédiens sur les journaux d’Anaïs Nin. Ce qui est important pour moi, c’est de valoriser la diversité des corps au plateau. Nous avons cherché à tisser différents niveaux de paroles et de récits. C’est pour cela que la figure d’Anaïs Nin est incarnée indifféremment par trois hommes et trois femmes. Tous sont des moments d’Anaïs Nin.


A. D. : Ce dialogue entre deux époques qui est la base du projet d’Élise a guidé mon écriture. Il m’a permis de faire surgir une force fantastique et poétique propre à ce spectacle. De l’animer dans un jeu de miroirs, de jouer avec le trouble temporel. C’était très particulier pour moi qui travaille seule et montre ce qui d’habitude est achevé ! Ici, je questionnais, j’écoutais, je regardais et j’écrivais. Je n’ai pas cherché à retranscrire mais à construire à partir de ce qui avait été fait. C’était passionnant !


  • Propos recueillis par Francis Cossu
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