theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Amitié »

Amitié

Irène Bonnaud ( Mise en scène ) , Pier Paolo Pasolini ( Texte ) , Eduardo De Filippo ( Texte )


: Note d'intention

Fouillant dans l’œuvre d’Eduardo de Filippo, nous avons découvert l’amitié qui le liait à Pier Paolo Pasolini. Histoire surprenante d’une rencontre entre deux figures de la culture italienne qu’on imagine comme vivant sur des planètes différentes, mais qui s’apprêtaient à tourner un film ensemble quand Pasolini fut assassiné.


Le récit écrit par Pasolini pour esquisser ce film «théologique pornographique à grand spectacle» n’a été publié qu’en 1989 en Italie et récemment traduit en français. Il raconte l’histoire d’Eduardo de Filippo (dans son propre rôle), Roi Mage qui part de Naples pour suivre l’étoile jusqu’à Bethleem. Mais bien sûr, il se trompe de direction, traverse la Rome des années 50, découvre la violence des années 70 à Milan, le suicide de la gauche et la victoire du fascisme à Paris, se perd si bien en chemin qu’au bout de mille aventures, et sans plus un cadeau en poche, il arrive en Palestine en retard, très en retard : un petit Arabe qui vend des souvenirs aux touristes lui apprend que le Christ est mort depuis longtemps, qu’il est d’ailleurs pratiquement oublié. Eduardo meurt de saisissement, ou de fatigue, et Ninetto Davoli, transformé en ange, l’emporte au ciel - où il n’y a rien.


Tout compte fait, on imagine pourquoi Pasolini, qui avait déjà tourné avec Toto dans les années 60, tenait à écrire un film pour Eduardo. C’est que ce dernier représentait une tradition artisanale, très spécifique, très régionale, celle de la comédie napolitaine, un rapport à la langue, au dialecte, qui finissait par incarner une forme de résistance au nivellement général par la télévision et la société de consommation, en laquelle Pasolini voyait, on le sait, une mutation anthropologique profonde.


« Quand il ne restera plus rien du monde classique, quand tous les paysans et les artisans seront morts, quand l’industrie aura fait tourner sans répit le cycle de la production et de la consommation, alors notre histoire sera finie. »
(Pier Paolo Pasolini, commentaire pour le film La Rage, 1963)


Les premières pages de Porno Théo Kolossal donnent l’impression d’un Pasolini qui nous présenterait un ami, plus âgé, lié à une mémoire, à un passé plus ancien. Mais on le sait, tout fut autrement. Pasolini, d’une vingtaine d’années plus jeune, est mort dix ans avant son ami, et Eduardo a écrit ce poème simple et beau, où il parle des dix-huit pierres laissées sur la plage d’Ostie à l’endroit où fut retrouvé le cadavre meurtri de l’écrivain, et c’est «la foi et l’espérance» qui referme le texte, comme pour résonner avec leur projet de film commun.


Du reste, le texte de Pasolini commence par un hommage à Eduardo, prince des bas quartiers de Naples, mais prend de plus en plus l’allure d’une confession autobiographique : le premier titre du film devait être simplement Le Cinéma,- c’est dire si ce voyage avait, dans l’esprit de l’auteur, valeur de manifeste esthétique. L’étoile de Bethleem figure «l’espérance d’une vie nouvelle», dit le texte - «l’idéologie», dit Pasolini lui-même dans sa correspondance - une «connerie comme les autres, mais c’est cette connerie qui m’a permis de voir le monde», commente le personnage d’Eduardo à la fin.


Reprenant le principe du récit picaresque, du road movie qu’il avait déjà adopté pour Oiseaux, petits et gros, Pasolini construit son récit sous forme d’épisodes qui correspondent aux villes traversées : Naples, Rome, Milan, Paris, Ur. Entre chaque station, des ellipses qui permettent de jouer des scènes tirées du répertoire d’Eduardo : dans une lettre, Pasolini précise explicitement qu’Eduardo pourra lui-même ajouter-écrire à partir du synopsis et improviser au moment du tournage («Les dialogues manquent, ils sont encore provisoires, parce que je compte beaucoup sur ta collaboration, même si elle doit être improvisée en cours de tournage»).


Evidemment, ce travail n’a pas eu lieu, mais la structure épisodique, picaresque, non dramatique, du scénario nous permet aujourd’hui de procéder au collage de fragments et de pièces d’Eduardo et de nous servir de Porno Théo Kolossal comme fil conducteur, colonne vertébrale du spectacle. D’autant plus que le texte de Pasolini, écrit à l’oral, en s’enregistrant à l’aide d’un dictaphone, a toutes les qualités d’une fable, pratiquement d’un conte de Noël, adressée à un public de théâtre.


«Dès que l’Etoile se pose sur l’étable, le pauvre Roi s’écroule à terre. Il n’en peut plus ! Quelle tristesse alentour : il n’y a ni la vache, ni le petit âne, ni la maman, ni le papa, ni le bébé. Le Roi des Rois est né, il a grandi et s’en est allé : sans doute est-il déjà mort sur la croix. Là-bas, dans cette vieille étable, il n’y a que la lumière inutile de l’Etoile».
(Pier Paolo Pasolini, Lettre du 20 décembre 1968)

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.