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All over nymphéas

Emmanuel Eggermont ( Chorégraphie )


: Entretien avec Emmanuel Eggermont

Propos recueillis par Marc Blanchet

Le titre de votre nouvelle création met en relation deux « moments » de l’histoire de la peinture : Monet et ses Nymphéas, et l’all-over, une pratique picturale d’après-guerre encore en vogue, qui consiste à recouvrir une toile de manière presque uniforme, sans bords ni centre, et éconduire ainsi toute notion de « champ ». Jackson Pollock en est l’un de ses plus célèbres représentants. Ce peut être également la répétition d’un motif, comme chez Claude Viallat. Pouvez-vous revenir sur votre manière de travailler et penser la danse ?


Emmanuel Eggermont : Dans chacune de mes pièces, je m’appuie toujours sur une ou plusieurs références artistiques pour concevoir la scénographie. Il ne s’agit pas de reproduire une œuvre au plateau, plutôt de s’inspirer des principes de travail d’un artiste. Dans ma nouvelle création, Les Nymphéas de Monet ont été un élément déclencheur, pour la scénographie comme pour la pensée de la pièce. L’idée de décliner comme seul motif le bassin de son jardin de Giverny, et ce à travers plus de deux cent cinquante toiles, est un acte artistique passionnant. S’inspirer des Nymphéas, c’est se demander comment Monet en est arrivé à réaliser cette série, passant « malgré lui » de la figuration à l’abstraction. C’est également apprécier la résonance que son œuvre a produit sur des peintres modernes – notamment ceux de l’all-over. Dans certaines de ses toiles, le tracé des nymphéas se fait moins net, les textures se modifient, les formes et les couleurs dépassent de loin la réalité révélée par la lumière. Sans nous en rendre compte, ce jardin sans limite, qui se poursuit au-delà du cadre, nous absorbe complètement. Le sujet se confond avec l’objet ; le geste de peindre importe autant que l’œuvre. Ces considérations sont celles que je retiens du procédé de l’all-over et qui m’ont orienté dans cette création.


Au centre de votre réflexion, la notion de motif s’avère essentielle. Comment l’explorez-vous par le mouvement ?


Je l’approche comme élément pictural figuratif ou abstrait et comme sujet d’une série. Sa répétition offre une dynamique et permet de nouvelles lectures d’un ensemble. Si cette notion de motif est valable dans la peinture, chez Claude Monet, Keith Haring ou Claude Viallat, elle existe dans d’autres domaines : la musique, le textile, l’architecture et évidemment la chorégraphie. Chaque pièce est pour moi l’occasion d’apprendre sur des pratiques artistiques ou sur un contexte historique. Tout peut devenir motif : notre travail a consisté à isoler les motifs qui ont eu un impact profond sur qui nous sommes aujourd’hui. Si je devais jouer avec le sens du mot, je dirais que le motif relève aussi de la motivation, la raison d’agir. Pour concevoir All Over Nymphéas, j’ai interrogé mon équipe sur ce qui était essentiel pour eux, sur ce qui les avait construits ou déplacés, sur leurs élans fondamentaux de mise en mouvement. D’autres références ont fait leur apparition et guidé les interprètes dans la définition de motifs chorégraphiques. Nous avons ainsi constitué des «palettes » de motifs chorégraphiques d’une grande richesse, tant par leur variété de style que par leur profondeur, renvoyant chacune à des expériences sensibles et essentielles.


Votre pièce se déroule dans un mouvement continu, des gestes du corps à un sol géométrique sujet à des changements d’apparence. Les costumes tantôt pris, tantôt abandonnés, participent aussi à ces métamorphoses...


Pour moi, le danseur évolue au même niveau que la scénographie, la musique ou les costumes. Chacun sert la pièce sur le même plan – ce qui peut aussi témoigner d’un lien avec certains artistes de l’all-over. Dans cette pièce, l’ego de l’interprète n’a pas sa place. Il existe en fonction de son environnement. Souvent, quand une scène propose une image forte où le danseur est au centre, sa durée de vie, de force, est très courte. Il est nécessaire d’accepter que la pièce continue sa transformation. Pareil pour un objet ou un costume. All Over Nymphéas est comme un jardin fragmenté en évolution constante où se succèdent toutes sortes de métamorphoses.


All Over Nymphéas joue avec malice de la limite entre la posture d’esprit sculptural et la pose, comme un jeu entre l’être et le paraître...


L’humour a une place importante dans mon travail. Il offre un contrepoint et me permet d’autres moments plus dramatiques. Je joue effectivement avec les limites et frontières entre les styles, passant d’une image, d’une sensation à son contraire en peu de temps. L’idée est d’apporter de la nuance, de prendre un peu de distance, pour affirmer une conscience de ce qui se passe au plateau – et se sentir libre d’aller encore plus loin. Cette dualité entre l’être et le paraître ne peut que me rappeler les Nymphéas, ce jardin d’Éden qui semble originel mais qui fut en réalité façonné de toutes pièces par ce grand jardinier qu’était Monet. Il y a toujours un lien troublant entre l’originel et l’artificiel. Nous nous construisons tous sur des expériences et des références profondes comme sur d’autres, plus superficielles.


Cherchez-vous à inventer une danse proche d’un art plein où chorégraphie, musique et arts plastiques viennent bouleverser notre pensée de l’espace et de la perception ?


Je crois que l’enjeu majeur de mon travail est en effet de questionner la perception de notre environnement, de l’espace et du temps, afin d’interroger notre rapport à l’autre, à son corps, à sa pensée, à son histoire. L’utilisation de tous les médiums est valable pour parvenir à révéler notre capacité à communiquer dépassant les origines sociales et culturelles, tant qu’elle se fait avec sincérité et sans peur de la beauté. Pareille vision de la danse, je la partageais avec le chorégraphe allemand Raimund Hoghe, disparu au printemps 2021, à qui je dédie cette pièce. All Over Nymphéas est conçu comme une invitation à l’autre, pour façonner ensemble un paysage graphique et poétique évanescent, un jardin à l’image des Nymphéas de Monet, cet Éden hypnotique sans cesse en mouvement où l’originel et l’artificiel se confondent.

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