theatre-contemporain.net artcena.fr

Airport Kids


: Trois questions à Lola Arias et Stefan Kaegi

Pourquoi travaillez-vous avec des enfants ?


Lola Arias : Les enfants sont des acteurs avant la lettre. Dans leur vie quotidienne, ils passent une grande partie de leurs journées dans des mini-théâtres : ils se mettent derrière la table ou dans l’armoire pour simuler une maison, une guerre, un voyage sur la planète Mars. Ils peuvent devenir des astronautes, des princesses, des soldats, des chiens à n’importe quel moment. Pour eux, passer de la réalité à la fiction, c’est comme ouvrir et fermer les yeux.
Quand ils ne sont pas obligés de représenter des héros pour le théâtre à l’école, ce sont des performers très directs, très sensibles, très frontaux. On dit que les enfants disent toujours la vérité, mais peut-être qu’ils mentent tellement bien que l’on ne peut distinguer la vérité du mensonge.


Stefan Kaegi : Nos protagonistes sont des préadolescents. Ils reproduisent encore beaucoup de choses qu’ils ont vues chez leurs parents, sans s’en douter. Quelquefois ils s’apparentent à une copie miniature de leurs parents. On peut les étudier comme une maquette du futur. En groupe, ils forment un modèle réduit de la société : des patrons, des flics et des professeurs en miniature.
A d’autres moments, les enfants se permettent d’ignorer les lois du monde, d’imaginer des règles pour un autre monde : Si je ferme les yeux, je suis invisible ! Ou : En cas de guerre, je vais mettre six pullovers l’un sur l’autre pour que les couteaux et les balles ne m’atteignent pas…
Au fil de notre tournée, les Airport Kids auront grandi. Un an représente 10 à 15 pour cent de la vie de quelques-uns de nos protagonistes. C’est un potentiel qui met en danger la mise en scène – et c’est bien.


Vous privilégiez l’expérience de vie de vos interprètes. Pour quelle raison ?


L.A. : Je crois que le théâtre ne doit pas annuler l’expérience des interprètes mais au contraire l’inclure. Même quand je travaille à partir d’un texte écrit, avant la mise en scène je m’intéresse toujours à la tension entre réel et fictionnel. Le texte doit s’actualiser pour chaque performer. Ça peut signifier l’intégration de quelques éléments de la biographie des acteurs dans le texte ou l’intégration de l’accident, de l‘imprévisible ou d’un élément qui met en question la fiction (comme un bébé qui montre la pure réalité de son comportement sur scène en disant : « Ceci n’est pas du théâtre »).
Pour «Airport Kids», on utilise l’expérience de vie de ces petits «nomades globaux» pour réfléchir à la question du futur. Ils sont très jeunes et ils ont déjà appris deux ou trois langues, ils sont déjà partis de leur pays d’origine, ils ont déjà voyagé à travers le monde. Ils représentent une nouvelle conception de l’idée de nation, d’appartenance, de culture.
Avec ces enfants, on ne se base pas sur une grande expérience de vie pour la mise en scène, c’est surtout la projection de comment sera leur vie future qui nous intéresse et, par ailleurs, comment sera le monde dans vingt ans, quand nous serons vieux et qu’ils seront les nouveaux chefs d’entreprises, les nouveaux exilés, les nouveaux artistes.


S.K. : Quand nous commencerons à travailler, les enfants auront déjà vécu 6 à 13 ans de formation de comédien : parler, marcher, donner la main et saluer, ne pas parler avec la bouche pleine, ne pas faire du bruit quand il y a des visites… L’école de la vie ! Ils ont étudié le rôle de «bon enfant» dans une société étrangère. Jouer à la nation : raconter aux Suisses ce que sont l’Inde, la Chine, l’Afrique, l’Irlande. Répondre aux préjugés et aux histoires de voyages. Pour beaucoup d’entre eux, la frontière n’est plus une limite. Mais ils utilisent le passeport comme une arme, un logo, une marque. Ils jouent à l’identité. Ils sont des spécialistes et des figurants conscients de la mise en scène «United colors of Benetton» de leur classe. Cela représente beaucoup de matériel biographique. Mais ce sont des biographies en construction, encore trop courtes pour en faire une oeuvre purement documentaire. Nous allons inventer des projections et des biographies qui ne sont pas encore vécues.


Quels sont les films, spectacles ou livres qui vous ont récemment marqués ?


L.A. :
- Film : «Flandres» de Bruno Dumont.
La guerre fictionnelle, brutale. Des scènes d’amour robotiques, désincarnées, tristes.
- Spectacle : «Ghosts» de Mikeska plus blendwerk (Gessnerallee).
Une voix à travers le téléphone mobile guide les spectateurs dans la cité de Zurich. Un parcours comme un rêve policier. Etre suivi et suivre quelqu’un sans savoir pourquoi. - Livre: «Slaughterhouse 5» de Kurt Vonnegut. L’un des personnages voyage à travers sa propre vie uniquement en ouvrant et fermant les yeux. Il peut être en même temps un bébé et un vieil homme, parce que le temps n’existe pas.


S.K. :
- Film : L’installation «Deep play» de Harun Farocki pour la Documenta à Kassel.
- Spectacle : le chant de douzaines de muezzins à Damas.
Une confusion de voix dans toute la ville et – quelques jours plus tard – le chant radiophonique d’un seul muezzin à Amman, synchroniquement joué dans une douzaine de mosquées, parce que le roi jordanien a centralisé les prières par une loi. Quelle mise en scène !
- Livre : «L’école de la douleur humaine de Sechuan» de Mario Bellatin.
Avec des joueurs de volleyball dépourvus de doigts.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.