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: Note d'intention

« La Tragédie Grecque était un spectacle total, alliant proférations, chants, musique et danses. Le Hip Hop, à la manière de la Tragédie Grecque est une culture du spectacle total : il est composé de cinq disciplines distinctes mais qui peuvent, dans un même espace scénique, exister ensemble, à l'unisson et dans une harmonie parfaite.
Longtemps considérée comme une « culture de la périphérie », le Hip Hop est reconnu depuis 2009 par l’Unesco comme première pratique culturelle mondiale. Le Hip Hop s’adresse et se pratique sur toute la surface du globe.
Demander à un choeur de trois human beat box de constituer l’orchestre, voir sur scène des figures du rap et de la danse Hip Hop, ou encore traiter certains textes en rap, tout cela témoigne du fait que c’est le Tout-Monde[1] qui est convoqué : la plèbe dans sa composante la plus riche et diversifiée, donc dans sa composante la plus noble.
Le mariage de ces deux cultures, la tragédie et le Hip Hop, raconte notre monde en mouvement, le questionnement et les frottements entre les uns et les autres, un autre mot pourrait être utilisé pour raconter cela : Créolité


On sait que toutes les tragédies antiques s'inscrivaient dans une trilogie. L'Orestie d'Eschyle est la seule trilogie complète qui nous reste de ce Ve siècle avant JC, celui de l’activité tragique en Grèce. Ce qui fait de ce texte un objet incroyable d'un point de vue historique. Agamemnon est le premier épisode de la trilogie. Celui qui raconte le retour victorieux de Troie du général Agamemnon. Lequel avait dû sacrifier sa fille Iphigénie pour que la flotte puisse quitter le rivage d'Argos et partir à la conquête de Troie.
L’Agamemnon d'Eschyle raconte la vengeance de Clytemnestre (femme d'Agamemnon et mère d'Iphigénie.). Clytemnestre avec l'aide d'Egisthe dont elle est devenue l'amante va assassiner le meurtrier de sa fille : Agamemnon. Est-ce juste ? Qui dit le droit? De quel droit arrache-t-on une jeune fille à sa mère pour la mettre à mort ? Pour le bien commun des grecs? Pour satisfaire l'orgueil d'un guerrier en quête de gloire ?
On le voit, l'histoire est portée par quelques personnages, mais le thème concerne tout le monde. Pour dire simplement, la fin justifie-t-elle les moyens ? Fallait-il immoler une jeune fille pour mener une guerre qui a pour but de réparer l'affront fait à la virilité de Ménélas (frère d'Agamemnon) ? Fallait-il, une fois la victoire acquise, insulter les dieux troyens et piller leurs sanctuaires? La cruauté du vainqueur est-elle justifiée par les crimes du vaincu ? C'est ce sentiment de justice qui est en balance dans la tragédie de L'Orestie. On y voit des êtres humains incapables de démêler le juste de l'injuste. Dans le dernier épisode de la trilogie, les Euménides, les dieux n’arrivent pas à se mettre d'accord sur ce qui est juste et décident en dernier lieu de déléguer cette justice à une assemblée humaine disant que désormais les actes des hommes seraient jugées par une assemblée de ces Hommes mêmes, un tribunal en quelque sorte.
Dans ce contexte de violence que l'on pourrait qualifier de primitive, rapt des femmes, meurtre d'enfant, crime passionnelle, puis parricide, Eschyle propose une version de la naissance de la justice des hommes. Il montre à l'Homme, au citoyen, son incapacité à gérer seul sa propre violence. Dans Agamemnon, le choeur est spectateur des violences que les héros s’infligent.


Voilà pourquoi nous avons choisi de placer le choeur au centre parce qu'il l'est pour de bon.
Dans notre version tout part du choeur, tout sort du choeur. Comme un groupe de personnes qui rejouerait ce rituel tragique pour remettre en balance les thèmes développés par les protagonistes qui sont des thèmes universels : raison intime vs raison d’Etat.
On sait que la poésie lyrique du choeur se faisait entendre en utilisant l’anapeste, qui est un rythme, certainement marqués par les pas du choeur. Cette poésie scandée est l’héritière d’Homère et son tambourin.
Notre projet c’est que le choeur soit traité de manière musicale. A chaque portion du sens correspond une atmosphère musicale. Nicole Loraux (spécialiste de la Grèce antique et en particulier du théâtre tragique) nous dit que la tragédie grecque est faite de son et de sens. Nous éclairons le texte et le rendons plus audibles en le chantant. Et c’est aussi cela qui est emprunté à la culture Hip Hop : nous utilisons des sortes de boucles, de ritournelles (que l’on peut assimiler à des samples de la musique rap). Ce que l’on entend a été composé sous forme d’improvisation puis de retranscription. On reconnait des influences, qui vont de la cantilène moyenâgeuse, à la musique Soul, au gospel, mais jamais on ne peut tout à fait saisir la référence. Par contre, certains passages du choeur sont nettement rapés ; par contre toute la rythmique et une partie de l’orchestration proviennent d’un trio de human beat box. C’est en cela que nous nous sentons inspirés par la culture Hip Hop, ce mélange des genres, des influences et des disciplines.»

Notes

[1] Dans le Traité du tout-­monde, Gallimard, 1997, Edouard Glissant fait l’éloge de « la pensée du métissage » et appelle de ses voeux la « créolisation, la rencontre, l’interférence, le choc, les harmonies et les disharmonies entre les cultures, dans la totalité réalisée du monde-­terre. » . Sa « proposition est qu’aujourd’hui le monde entier s’archipélise et se créolise.»

D’ de Kabal et Arnaud Churin

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