theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « After / Before »

After / Before

+ d'infos sur le texte de Pascal Rambert
mise en scène Pascal Rambert

: Entretien avec Pascal Rambert

par Jean-François Perrier

A QUELLE ÉTAPE DE VOTRE TRAVAIL SE SITUE AFTER / BEFORE ?


Pascal Rambert - Il se situe dans la suite de Gilgamesh. En effet, à la fin de ce spectacle, on avait le récit du déluge ; avec AFTER / BEFORE on commence avec l’idée d’un nouveau déluge qui obligerait à faire un choix sur ce que l’on pourrait emporter ou laisser ici au cas où… Bien sûr, quand on sort d’un texte comme Gilgamesh, on cherche des textes qui continuent à nous mettre dans un rapport quotidien avec le génie, comme après un travail sur Shakespeare, et nous amènent au plus profond de nous-mêmes. Chacun de mes spectacles est donc un peu en devenir dans le précédent… PARADIS aussi est un peu issu de Gilgamesh, qu’on retrouve également dans Le Début de l’A. Il y a une succession de cellules qui se développent de spectacle en spectacle. Depuis plus de vingt ans, j’essaie de me rapprocher de moimême et cette tentative crée forcément des liens entre tous mes travaux. Donc il y a dans Gilgamesh la problématique de l’avant et de l’après, dans Paradis celle du rapport entre le haut et le bas, entre une vie ici et une vie après, et l’on retrouve tout cela dans AFTER / BEFORE.


UNE DES BASES SUR LAQUELLE REPOSE AFTER / BEFORE EST LE MÉLANGE DE CORPS JEUNES ET DE CORPS ÂGÉS DANS UNE ÉQUIPE DE PERFORMEURS PLUS QUE D’ACTEURS. QUE LEUR DEMANDEZ-VOUS ?


De reconstruire avec moi un langage soit par des paroles, soit par des silences, en utilisant soit la voix, soit le corps. Mais je ne fais pas chanter les performeurs, je les fais “chantouiller”, je ne les fais pas danser mais “dansouiller”… Ces néologismes tentent de faire comprendre ce que je recherche et que j’ai déjà mis en pratique pour le chant dans Le Début de l’A. Je cherche à faire le chemin avec mon équipe sur un principe que j’appelle “principe d’écriture personnelle”, qu’ils peuvent d’ailleurs continuer en mon absence puisque nous avons déjà des connivences anciennes qui créent une véritable collaboration. Ils cherchent eux-mêmes leur place dans l’espace du plateau et écrivent de cette façon.


POURQUOI AVOIR DONNÉ AU SPECTACLE LE TITRE AFTER / BEFORE, QUI SIGNIFIE “APRÈS / AVANT” ?


Ce qu’il y a après “avant”, c’est le “maintenant”. C’est ce maintenant-là que je veux traiter… Cet instant là qui se passe au moment où les gens sont en train de regarder. C’est ce que j’essaie de faire de plus en plus, pour que ce qu’on réinvente sur scène soit encore plus dans l’instant. Faire en sorte que chaque soir ce soit renouvelé, comme si tout se créait sous les yeux des spectateurs.


VOUS AVEZ QUESTIONNÉ DES GENS DANS PLUSIEURS PAYS. CHAQUE INTERVIEWÉ DEVAIT DONC AVOIR SON AVANT ET SON APRÈS, EN FONCTION DE SES HISTOIRES PERSONNELLES OU DE L’HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ DANS LAQUELLE IL VIT ?


Sur les deux cents interviews, qui ne constituent évidemment pas un sondage, ce qui est touchant, c’est autant la réponse à la question que la façon dont est formulée cette réponse. Ce qui m’intéresse, c’est l’état des corps des personnes interrogées pendant l’interview, comment elles bougent, ce qu’elles font de leurs mains, comment elles se tiennent sur leur chaise ou sont éclairées par la lumière… Tout cela mis bout à bout forme comme une sorte de visage aux questions que j’ai posées. Cette forme n’est pas figée dans le temps, elle évoluera jusqu’au terme de notre travail. Bien sûr, je privilégie certaines réponses, mais pas obligatoirement sur leur qualité intellectuelle, plutôt sur la grâce ou la beauté qui s’en dégagent. Je ne juge jamais les réponses, je les prends telles qu’elles sont faites. C’est l’accumulation de tout cela qui composera le spectacle. Mais il est évident que pour chaque pays, les réponses sont différentes. Un Américain blanc aura toujours en tête le traumatisme du 11 septembre alors qu’un Japonais parlera de l’attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo.


VOUS VOULEZ PENDANT LA DURÉE DU SPECTACLE RECONSTITUER UN OBJET D’ART… QUELLE IDÉE VOUS EN FAITES-VOUS ?


Comme ce spectacle ne sera pas vraiment une pièce de théâtre, pas vraiment une installation, pas vraiment de la danse, pas une pièce dramaturgiquement constituée avec un début, un milieu et une fin, on sera face à un objet différent. Cet objet d’art donnera à voir, en direct sous nos yeux, du temps passé entre quelque chose qui aurait eu lieu avant et quelque chose qui irait vers un après. Quand je vois l’équipe travailler en répétition mêlant les jeunes et les personnes âgées, je vois déjà ce temps qui a passé. Donner à voir du temps qui passe en direct sous nos yeux, c’est une des définitions que je pourrais donner de l’objet d’art. Quand nous sommes face à cela, à cet état d’air liquide qui peut se cristalliser, nous ne sommes pas devant quelque chose de mort. J’ai l’obsession de ne pas faire un théâtre mort. Depuis quelques années, l’objet de mon travail est d’arriver à donner au public la possibilité d’être en lien direct avec le sentiment du temps. Parfois cela réussit, parfois cela échoue. Un objet d’art doit nous mettre en rapport avec notre propre temps et peut-être réussir à le modifier.


QUELLE STRUCTURE AURA CETTE PERFORMANCE THÉÂTRALE ?


Nous sommes en train de réaliser un montage des interviews filmées qui constituera la première partie du spectacle ; ensuite les performeurs diront dans le désordre les textes entendus dans le film tout en reconstituant un grand objet dont les morceaux éparpillés seront tombés du ciel ; et enfin, dans une troisième partie, sur des musiques venues d’un gamelan – xylophone indonésien sur lequel on peut jouer à trente – ils “chantouilleront” et “dansouilleront”.


POUR RÉALISER CET OBJECTIF, VOUS DITES NE PAS TRAVAILLER AVEC DES ACTEURS MAIS AVEC DES “PERFORMEURS”. QUELLES DIFFÉRENCES ÉTABLISSEZ-VOUS ENTRE CES DEUX TERMES ?


Dans ce que je fais, j’offre à mes collaborateurs, au groupe avec lequel je travaille, la possibilité de transformer de l’intérieur le jardin que j’ai créé. Ils ont une marge de manoeuvre variable selon les tâches qu’ils ont à effectuer et qui ont été fixées avec eux. Ces tâches peuvent être de la narration physique ou sonore qu’ils ont souvent créée ou improvisée eux-mêmes. Mais en-dehors de cela, ils ont tout le loisir pour faire d’autres choses sur le plateau, pour continuer à vivre en liberté. C’était déjà le cas sur @#PARADIS. Les acteurs sont donc des inventeurs dans le moment de la représentation, et comme il n’y a pas de coulisses dans mes spectacles, ils inventent à vue. Je conçois le spectacle du début à la fin, texte, musique, costumes, objets, mais je laisse dans cette construction des espaces de totale liberté.


COMBIEN DE PERFORMEURS TRAVAILLENT AVEC VOUS ?


Il y a dix performeurs jeunes qui, pour la plupart, ont déjà travaillé avec moi, en particulier sur PARADIS, et dix performeurs plus âgés, que j’ai choisis à Annecy où je suis en résidence. Ils ont entre soixante-dix et quatre-vingts ans, et n’ont jamais fait de théâtre. C’est dans l’opposition entre ces deux types de corps que se trouvera ce sentiment du temps qui passe, que je veux mettre au centre du spectacle.


CHAQUE LANGUE INDUIT UN COMPORTEMENT PHYSIQUE CAR ELLE AGIT SUR LES CORPS. TRAVAILLEZ VOUS LA REPRÉSENTATION DE LA LANGUE ?


Bien sûr… Mais il s’agit surtout d’extraire les pouvoirs sonores de la langue. Il ne s’agit pas de faire de la critique analytique universitaire des interviews. Cela ne m’intéresse pas. Je vais plutôt vers une installation sonore dans ce spectacle qui est liée intimement à la présence des corps.


Y A-T-IL UNE VOLONTÉ DE PROPOSER UNE NOUVELLE PENSÉE COMMUNE À PARTIR DES CES PENSÉES DIVERSES EXPRIMÉES DANS LES INTERVIEWS ?


Dans l’état actuel du travail, je ne sais pas encore. Je me pose dans une perspective active et je me sens comme une sorte de metteur en scène animalier qui attend que les animaux viennent boire. J’ai donc le désir d’arriver à cette proposition car je ne peux pas rester dans la constatation pessimiste. Comment communiquer avec ceux à qui je m’adresse, comment transformer le réel, comment créer des brèches dans le temps ? Ce sont les questions qui me préoccupent en ce moment. Dans ce temps ouvert, on peut apporter des modifications substantielles au réel. C’est peut-être le rôle de l’artiste en ce moment…


Propos recueillis par Jean-François Perrier

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.