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: Présentation

Un face à face sans merci,
par un des plus grands
auteurs contemporains vivants.


Une femme prisonnière dans un quartier de haute sécurité condamnée à perpétuité pour un acte de terrorisme et un médecin venu l’examiner pour une visite médicale qui semble une routine obligatoire, voici les deux personnages et la situation de départ que nous propose Lars Norén, poète, romancier et dramaturge suédois d’une soixantaine d’années, dans “Acte”.


Un rapport de force, une lutte sans merci opposent le couple avec, dans les premiers temps, une suprématie incontestée de la femme qui, malgré sa réalité insoutenable, trouve encore la force de résister et de déstabiliser celui qu’elle considère comme son adversaire. Cette relation se retourne insidieusement et tout bascule souterrainement dans cet univers mouvant qui ne cesse de faire allusion à la Shoah, acte passé désespérément présent, indépassable.


Et tout vacille, devant ce « qui êtes-vous ? » première question de la femme au médecin et qui reviendra tout au long de la pièce.
Qui sommes-nous ?
Qui ont été nos parents ?
Quels actes ont-ils commis ?
De quel côté sommes-nous ?
Bourreaux ou victimes ?
Dans quel temps sommes-nous ?


Portés par l’urgence, Hélène Viviès et Vincent Garanger, aux côtés de
Christophe Perton, nous entraînent dans une pièce impressionante de force et de tension.




LA MORT LENTE D D'ANDREAS BAADER
PAR JEAN JEAN-PAUL SARTRE
LE 7 DECEMBRE 1974


Au début, on s'est serré la main. II s'est assis en face de moi, et puis, au bout de trois minutes, la première phrase qu'il prononça, un peu en guise de salut, fut : «Je croyais avoir affaire à un ami et on m'a envoyé un juge... »
Vraisemblablement ça venait de la communication à la TV allemande que j'avais faite la veille. Je pense qu'il espérait aussi que je viendrais le défendre sur la base de l'action qu'il poursuivait ainsi que ses camarades. Il a vu que je n'étais pas d'accord avec eux. Je suis venu par sympathie d'un homme de gauche pour n'importe quelle formation de gauche en danger ; ce qui est une attitude qui, je crois, devrait être générale. Je suis venu pour qu'il me donne son point de vue sur des luttes qu'ils ont menées, ce qu'il a fait d'ailleurs. Et je ne suis pas venu pour dire que je suis d'accord avec lui, mais simplement pour savoir quelles étaient ses opinions qui peuvent être reprises ailleurs si on estime qu'elles sont vraies, et en plus pour parler de sa situation dans la prison comme prisonnier.


Nous avons ensuite évoqué sa vie en prison. Je lui ai demandé pourquoi il faisait la grève de la faim. Il m'a répondu qu'il la faisait pour protester contre les conditions de vie carcérale. Comme l'on sait à présent, il y a un certain nombre de cellules dans la prison où je me suis rendu, mais il en existe dans d'autres prisons allemandes. Elles sont séparées des autres cellules : elles sont peintes en blanc et l'électricité fonctionne jusqu'à 11 heures du soir, et quelquefois vingtquatre heures sur vingt-quatre.


Et il y a quelque chose qui lui manque, c'est le bruit. Des appareils à l'intérieur de la cellule sélectionnent les bruits, les affaiblissent et les rendent parfaitement inaudibles dans la cellule même.
On sait que le bruit est indispensable à un corps et à une conscience humaine. Il faut qu'il y ait une atmosphère qui entoure les gens. Le bruit, que nous appelons d'ailleurs le silence, mais qui porte jusqu'à nous, par exemple le bruit du tramway qui passe, celui du passant dans la rue, des avertisseurs, sont liés à la conduite humaine, ils marquent la présence humaine.


Cette absence de communication avec autrui par le bruit crée des troubles très profonds. Troubles circulatoires du corps et des troubles de la conscience. Ces derniers détruisent la pensée en la rendant de plus en plus difficile. Petit à petit, ils provoquent des absences, puis le délire, et évidemment la folie.


Bien qu'il n'y ait plus de «tortureur», il y a des gens qui pressent certaines manettes à un autre étage. Cette torture provoque la déficience du prisonnier, elle le conduit à l'abêtissement ou à la mort.


Baader, qui est victime de cette torture, parle très convenablement, mais de temps en temps, il s'arrête, comme s'il n'avait plus ses idées, il se prend la tête dans les mains au milieu d'une phrase et puis reprend deux minutes plus tard. Il a un corps amaigri par sa grève de la faim, il est nourri de force par les médecins de la prison, mais il est très maigre, il a perdu quinze à vingt kilos, il flotte dans ses vêtements devenus trop larges. Il n'y a plus de rapport entre le Baader que j'ai vu et l'homme en pleine santé.


Ces procédés réservés aux seuls prisonniers politiques, en tout cas ceux de la «bande à Baader», sont des procédés contraires aux droits de l'Homme. Au regard des droits de l'Homme, un prisonnier doit être traité comme un homme. Certes, il est enfermé, mais il ne doit être l'objet d'aucun sévices, de rien ayant pour objet d'entraîner la mort ou la dégradation de la personne humaine. Ce système est justement contre la personne humaine et la détruit. Baader résiste fort bien encore. Il est affaibli, il est sûrement malade, mais il garde sa conscience. D'autres sont dans le coma. On craint pour la vie de cinq détenus, d'ici quelques semaines, quelques mois, dans quelques jours peut-être. Il est urgent qu'un mouvement se constitue pour réclamer que les prisonniers soient traités selon les droits de l'homme, qu'ils ne subissent aucun sévices particulier qui puisse les empêcher de répondre correctement aux questions qu'on leur posera le jour du procès ou même, comme il est arrivé déjà une fois, de les tuer.


Il existe déjà un comité de défense des prisonniers allemands en France, ce comité travaille en liaison avec la Hollande et avec l'Angleterre. Mais il importe de créer un comité de ce type en Allemagne, avec des intellectuels, des médecins, des gens de toutes sortes qui réclament que le prisonnier de droit commun ou le prisonnier politique soient traités de la même façon.

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