theatre-contemporain.net artcena.fr

Andromaque 10-43

d'après Andromaque de Jean Racine
mise en scène Kristian Fredric

: Présentation

Il faut imaginer Andromaque. Il faut imaginer cette femme qui, noble et pourtant captive, se dresse face aux tumultes de l’histoire. C’est un souffle qui traverse les siècles et qui, de l’Antiquité à nos jours, ne cesse de nous harceler jusqu’à ce que nous déposions les armes. Andromaque l’orgueilleuse. Andromaque, héritière des dieux, dans le fracas d’un monde désacralisé. C’est une rencontre singulière qui nous a permis de la croiser après l’étreinte d’Euripide et le baiser soyeux de Racine. Rencontre singulière qui se nomme aussi « aventure théâtrale ». Que lui restait-il à nous dire ? Comment sa solitude pouvait-elle encore faire écho à notre époque ? Comment, enfin, allions-nous la représenter auprès du public pour nous parler d’une actualité qui se caractérise par sa fugacité ? Rien jamais n’est éternel, mais Andromaque, qui vit dans la mémoire d’Hector, l’ignore encore.


Le spectacle s’intitule Andromaque 10-43. Ce n’est pas une coquetterie qui consisterait à faire mode. Ce 1043, qui plus précisément s’énonce 10 puissance moins 43, correspond au temps de Planck. À cet instant précis de la naissance du monde, peu après le fameux Big Bang, où l’univers s’écarte de l’hypothèse de Dieu pour se résoudre aux lois de la physique et donc à l’inéluctable. Si elle parle d’amour, la tragédie revisitée par Racine ne fait pas l’économie de ce constat-là. Pyrrhus, Andromaque, Oreste et Hermione sont tous des descendants de Zeus. Enfants du mythe et des dieux de l’Olympe, ils s’en écartent pourtant pour basculer dans l’Histoire. Là où l’on vit et l’on meurt avec la même frénésie, la même violence. Là où les liens qui nous relient au ciel se rompent peu à peu. Ce qu’annonce Racine, c’est la déréliction de l’homme privé de dieu. Et son impuissance à vivre ses passions quand l’étau de la guerre et les exigences du pouvoir le privent de son autonomie. En s’appropriant la tragédie d’Euripide, Racine la met à portée de son temps. La fin de son 17e siècle est alors placée sous le signe d’un pessimisme moral qui succède aux feux des amours courtoises.


À notre tour, avec le respect qui s’impose, nous convoquons Andromaque pour lui faire goûter les fruits amères de notre époque. On y tue comme on y respire. Et le progrès, cette promesse toujours remise aux lendemains, consacre ce déni de l’autre. Plus nous avons accès au monde, grâce notamment aux nouveaux outils technologiques, plus nous nous acharnons à le détruire. Les flux d’informations auxquels nous sommes soumis favorisent moins la compréhension que la stupeur. Andromaque est une histoire d’amour et donc, fatalement, de frustration. A aime B qui aime C qui aime D, et ces amours ne sont jamais réciproques. La haine, en revanche, s’épanouit sans rien réclamer en retour. Tandis que tout s’effondre dans le chaos où plongent l’Orient et l’Occident, cette haine se déploie dans ce lieu clos où sont rassemblés les protagonistes de la tragédie. C’est dans ce cœur, cette antichambre fermée à la rumeur, que Racine a planté le décor de son intrigue.


Comme il nous fallait parler du présent, nous avons ouvert grand les portes. Il s’y engouffre, via les écrans, les réseaux et les smart phones, cette agitation extérieure et cette douleur qu’aucun dieu ne vient apaiser. Certains, qui fréquentent les musées plus souvent que la vie, y verront peut-être une trahison. Oui, nous avons tranché ici, rajouté là. Nous avons saisi ce matériau pour le décrocher des cimaises et le faire retentir sur une scène. Peut-être que la règle des trois unités est parfois malmenée tout comme certaines conventions. Mais c’est qu’il fallait se délester pour saisir Andromaque par la taille et la présenter à un public d’aujourd’hui. Il fallait affirmer, à la suite de Pyrrhus, que cette femme-là mérite notre attention.


Surtout, il fallait dire que la tragédie n’a rien perdu de sa pertinence. Tandis que l’on massacre et que l’on tue, parce qu’il faut bien affirmer sa puissance et que les marchés imposent leurs lois, l’homme reste cet enfant inconsolable qui oppose sa révolte au silence des cieux. Avec Andromaque 10-43, c’est donc un souffle que nous tentons de saisir. Des temples de marbre de l’Antiquité aux QG suréquipés du XXIe siècle, il témoigne de notre perpétuelle impuissance à trouver une harmonie avec le monde. De Troie à Bagdad, il balaie les mêmes poussières de vérité et de certitude. Une fois encore, dans ces décombres, tendons l’oreille pour écouter ce que nous dit la fille du roi de Thèbes.


http://www.andromaque1043.com

Lionel Chiuch - Dramaturge

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.