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A portée de crachat

+ d'infos sur le texte de Taher Najib traduit par Jacqueline Carnaud
mise en scène Laurent Fréchuret

: Entretien avec Jacqueline Carnaud, la traductrice

avec Jacqueline Carnaud, la traductrice

Comment le titre A portée de crachat s'est-il imposé à vous ?


Il s’agit d’une traduction littérale du titre original. Par chance, je n’ai pas eu, comme cela arrive souvent, à m’arracher les cheveux pour trouver un titre aussi percutant que l’original. En effet, en hébreu comme en français, la formule déclenche les mêmes associations. La plus proche est bien sûr « à portée de canon ». Pendant que les uns tirent - de vraies balles -, les autres en sont réduits à cracher, à cracher sur l’ennui, sur l’enfermement, sur l’ennemi ou plutôt son ombre, sur l’impasse politique, sur un avenir qui ne cesse de se dérober.Mais derrière cette expression, on entend aussi « à un jet de pierre », « à deux pas d’ici » : les deux peuples vivent sur un territoire minuscule et, pourtant, des barrières apparemment infranchissables – et pas seulement de béton – les séparent.


Comment s'est passée votre rencontre avec Taher Nagib ?


Je suis allée voir Taher chez lui, en Galilée, à l’occasion d’un court séjour en Israël. J’avais terminé de traduire sa pièce. Je voulais lui poser quelques questions avant de remettre le texte à l’éditeur. Cette visite est restée pour moi un moment mémorable. Je me souviens, c’était un mois de décembre, il faisait un froid de canard, sa femme venait juste d’accoucher de Khaled, leur premier bébé. Nous nous sommes installés dans la pièce d’à côté et nous nous sommes mis à travailler. En particulier, je voulais qu’il me montre – pour pouvoir le rendre au plus près en français – comment la copine du narrateur était installée sur le guidon du vélo (étaient-ils assis dans la même direction ou face à face – ce qui me semblait plutôt acrobatique !). Et puis, on a discuté de leur virée à travers Paris : fallait-il privilégier la vraisemblance géographique ou la dimension onirique ? Très vite, le contact est passé, une relation de confiance s’est établie. Aujourd’hui, nous sommes amis.


Comment avez-vous eu connaissance de cette pièce ?


Cette pièce, qui a remporté le premier prix dans un festival de théâtre en Israël, a été soumise au petit comité de lecture que nous formons avec deux-trois autres traducteurs de l’hébreu au sein de la Maison Antoine-Vitez. Elle a aussitôt retenu mon attention, par ce qu’elle raconte, évidemment, par la façon dont elle le raconte, mais surtout parce que l’auteur, un Palestinien de nationalité israélienne, avait choisi de l’écrire, non pas dans sa langue maternelle, l’arabe, mais dans la langue de l’autre, l’hébreu. J’y ai vu une main tendue. Je ne pouvais pas ne pas la saisir.


Quelle est votre approche de son écriture ? Comment la caractériseriez-vous ?


Ecrite dans une succession de petites scènes aux enchaînements fluides, cette pièce révèle un personnage attachant et complexe, ballotté entre la grande Histoire – le conflit israélo-palestinien – et son histoire personnelle, celle d’un Palestinien d’Israël que le métier de comédien amène à traverser les frontières, à vivre d’un côté et de l’autre, sans être totalement chez lui nulle part. J’ai tout de suite aimé ce ton d’ironie douce-amère qui imprègne la douloureuse quête d’identité d’un héros sans cesse rejeté dans des catégories qu’il récuse : le guerrier arabe avide de vengeance qu’il incarne sur scène, le djihadiste en puissance dans les aéroports internationaux, le terroriste potentiel dans son propre pays. Nul doute, me disaisje, l’auteur a mis beaucoup de lui-même dans ce personnage. Au fur et à mesure que je traduisais, le héros prenait chair, déambulait dans mon bureau tandis que j’étais à mon ordinateur, prenait ses aises, m’interpellait, m’encourageait. Et j’avoue que lorsque j’ai rencontré Taher pour la première fois, je l’ai tout de suite reconnu : à l’image de son écriture, il ne marche pas, il danse, il est léger, souple, drôle, expressif, sans cesse sur le qui-vive.


Traduire, c'est écrire aussi : quelle est votre part d'engagement dans la traduction de ce texte ?


Mon engagement vis-à-vis de ce texte ? La plus grande fidélité possible. Faire en sorte que le lecteur qui lira ce texte, le spectateur qui verra cette pièce en français éprouve les mêmes émotions que celles que j’ai ressenties à la première lecture, qu’il en tire le même plaisir, qu’il reste d’un bout à l’autre suspendu à l’action, qu’il tremble, rit et danse avec le narrateur, et, comme lui, continue de croire, envers et contre tout, aux vertus du dialogue, de l’ouverture à l’autre.
Pour être fidèle en ce sens, il faut en effet que le traducteur dépasse le mot-à-mot, s’empare du texte jusqu’à le faire sien, mobilise toutes les ressources de sa propre langue et écrive un nouveau texte qui viendra se substituer au premier et en sera pourtant une sorte d’image exacte en miroir.

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