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À l'Ouest

+ d'infos sur le texte de Nathalie Fillion
mise en scène Nathalie Fillion

: Entretien avec Nathalie Fillion

Propos recueillis par Pierre Notte

À l’Ouest, s’agit-il d’une crise familiale ou d’une épopée sociale ?


Il s’agit bien des deux, l’une autant que l’autre. Il y a de l’intime et l’épique dans À l’Ouest. Comment l’intime et le politique se font écho ? Comment la grande Histoire et la petite histoire se rencontrent, se confrontent ? La pièce dresse les portraits d’individus qui vont devoir évoluer au sein d’une crise. On observe clairement aujourd’hui, en ces temps de crises multiples, le mélange des inquiétudes individuelles, intimes, et des grandes peurs, plus larges. C’est cet étrange tissage qui m’intéresse, entre le micro et le macro. On voit partout naître des sentiments d’insécurité plus ou moins rationnels, des inquiétudes nouvelles qui rejoignent des peurs archaïques. La crise financière est un événement dramaturgique par excellence. C’est un événement historique, daté. On sait qu’il y aura un avant et un après. Mais en France, c’est depuis longtemps qu’on a à faire à cette peur de la perte, à l’angoisse du manque, à un sentiment de précarité, même chez des gens très à l’aise, ni riches ni pauvres, et objectivement à l’abri. Je ne parle pas des gens qui manquent réellement et cruellement de tout, je parle de gens qui vivent correctement, voire bien. C’est cette contradiction qui m’intéresse. Ce sentiment d’insécurité qui jaillit de partout dans un pays si riche, dans des villes si sûres. Les crises sont multiples, elles sont morales, politiques, spirituelles, sociales, financières… Et elles réveillent des inquiétudes mystérieuses chez les individus. Elles sont de formidables éléments déclencheurs de drame, et de situations dramatiques… Ce qui m’intéresse dans cette crise-là, celle que nous vivions, c’est que c’est le système qui se met en crise, tout seul.


C’est la crise généralisée qui va conduire vos personnages à dérailler, à se retrouver À l’Ouest ?


Jean, le personnage central de la pièce, est déjà maniaco-dépressif, et voilà qu’il se sectionne l’artère fémorale. Autour de lui, c’est la crise familiale. Car lui seul, finalement, travaille et produit encore. Les jeunes ne travaillent pas encore, ils étudient ou sont au chômage, et les vieux sont retraités, à la marge du monde actif. Jean se retrouve dans un piteux état, ce qui provoque une crise générale, où tout le monde va devoir faire le point. Un point d’honnêteté, un point avec soi-même. Ils doivent au moins nommer leurs doutes. Quand Jean change d’antidépresseurs, il change de réalité. Elle est là aussi, la crise familiale : Jean devient optimiste ! C’est la clé de la catastrophe, le paradoxe. Son optimisme va tout déranger… L’argent reste un sujet tabou dans la famille. Henri Pichette dit que l’argent c’est « la couille de la famille ». Nous avons tous une relation singulière, intime, souvent problématique avec l’argent, et en famille, l’affaire se corse. Alors quand il faut s’occuper de l’argent de son fils ou du patrimoine de sa mère…


À l’Ouest se compose d’une multitude de personnages et de lieux, ce n’est pas une pièce raisonnable en temps de crise…


Depuis que je fais du théâtre, j’entends dire qu’il y a de moins en moins de moyens et d’argent pour réaliser quoi que ce soit. Dans mon parcours de femme à la fois auteure et metteure en scène, je n’ai connu que ce discours décourageant et noir. J’ai fini par me dire qu’il fallait s’en foutre et ne pas compter le nombre de personnages, puisqu’au bout du compte, la crise par là-dessus, il n’y aura pas d’argent ! L’écriture dramatique souffre de cette économie : souvent, on n’écrit plus que pour deux ou trois voix, par peur de ne jamais être produit. J’ai écrit sans compter. Et la surprise c’est que personne ne me l’a reproché. Je crois que les gens ont besoin de voir du monde sur les plateaux. J’ai écrit ce que j’avais à écrire. Puis j’ai cherché la comédienne idéale pour le rôle de Madeleine. C’était Laurence Février, qui a répondu oui tout de suite. J’ai construit la distribution autour d’elle, en cherchant des liens organiques, des lignes de forces. Pas forcément des ressemblances. La famille peut-être le lieu de toutes les dissemblances. On est lié par le sang à des gens avec qui on n’a rien à faire, rien à voir. J’ai été vers des acteurs puissants, et différents. Tous ont des personnalités généreuses, ce sont des acteurs créateurs, des planètes. Nous allons travailler ensemble à faire entendre la partition. Je veux faire sonner la musique de cette pièce, sa polyphonie, son rythme. Chacun apportera son énergie, ses propositions, sa petite musique, à l’intérieur de la partition. À l’Ouest est une pièce faite de plusieurs pièces, de plusieurs théâtres. Ça commence comme une commedia, à l’italienne, puis on traverse le drame intime avant d’arriver à d’autres genres. Il y a des instants oniriques, des moments de farces, des séquences plus noires…
À l’Ouest est composé de plusieurs registres, parce que nous parlons tous différemment les uns des autres. Nous pouvons aussi dans une seule journée passer d’un rythme à un autre, d’un langage à un autre. C’est une pièce composite, baroque, comme la vie… Il y a des jours où on se sent pauvre, d’autres où l’on se sent riche. On peut passer d’un état à un autre en quelques minutes. La pensée, comme la vie, n’a rien de linéaire.


L’espace ressemble-t-il au titre ? à la fois une folie douce et le paysage sauvage de l’Atlantique ?


Il y a dans la pièce plusieurs lieux, plusieurs espaces. La scénographie sera faite d’éléments qui bougeront d’une façon simple et magique, pour signifier les différents lieux. Une lampe, un canapé, une porte… Et une surprise. C’est un théâtre d’astuces qui laisse la place au jeu des acteurs. C’est un cadre, un écrin. Un mécanisme simple et spectaculaire permettra de passer d’un lieu à un autre sans contraindre l’action ni le jeu. C’est aussi une pièce sonore, qui fait entendre la cacophonie du monde et le souffle des éléments ; le vent, la mer. À l’Ouest oppose la frénésie urbaine à la plénitude de l’océan… Quand je pense à l’Ouest, je pense au grand Ouest, à la conquête de l’Ouest. Je pense au rêve de l’Occident, et tout autant la crise de l’Occident. À l’ouest bien sûr c’est l’Atlantique. J’ai grandi près de l’océan, en Bretagne, dans cette lumière si singulière qui m’apaise. Face à l’océan, je n’oublie jamais qu’il n’y a plus rien devant moi avant des milliers de kilomètres, et que de l’autre côté, c’est l’Amérique. L’océan n’a rien à voir avec la mer ! Le rendez-vous familial a lieu à la Baule-les-Pins. L’océan est juste là. Devant la maison familiale. J’avais envie de raconter ce souffle de la nature dans ce lieu par essence fermé qu’est la boîte noire de la scène. Le théâtre est un espace urbain. Je voulais y faire entrer les éléments, les forces naturelles... Que les personnages égarés dans leurs préoccupations matérialistes s’interrogent à nouveau sur leur place cosmique ! Et que le spectateur, d’une certaine manière, ait la possibilité d’en faire autant…

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