: Note d’intention - mise en scène
«
L’applaudissement
vrai
que
vous
devez
vous
proposer
d’obtenir,
ce
n’est
pas
ce
battement
de
mains
qui
se
fait
entendre
subitement
après
un
vers
éclatant,
mais
ce
soupir
profond
qui
part
de
l’âme
après
la
contrainte
d’un
long
silence,
et
qui
la
soulage.
Il
est
une
impression
plus
violente
encore,
et
que
vous
concevrez,
si
vous
êtes
nés
pour
votre
art
et
si
vous
en
pressentez
toute
la
magie
:
c’est
de
mettre
un
peuple
comme
à
la
gêne.
Alors
les
esprits
seront
troublés,
incertains,
flottants,
éperdus
;
et
vos
spectateurs,
tels
que
ceux
qui,
dans
les
tremblements
d’une
partie
du
globe,
voient
les
murs
de
leurs
maisons
vaciller,
et
sentent
la
terre
se
dérober
sous
leurs
pieds.
»
Diderot
Au commencement
Au
commencement,
il
y
a
la
lecture
de
la
pièce
de
Bukowski
dans
le
cadre
de
Text’
Avril
au
Théâtre
de
la
tête
noire
à
Saran
en
avril
2005.
Au
commencement,
il
y
a
la
rencontre
avec
les
comédiens,
avec
les
traductrices
et
avec
le
public.
Et
puis,
l’émotion,
le
choc,
le
chavirement
d’entendre
le
texte
et
les
mots
de
Bukowski…et
puis
encore
un
voyage
à
Berlin…le
commencement…
Pourquoi nous avons besoin des auteurs Allemands ?
Pourquoi
avons-nous
besoin
de
Brecht,
de
Thomas
Bernhardt,
de
Peter
Handke,
de
Manfred
Karge,
etc…
?
Pourquoi
avons-nous
besoin
de
ces
poètes
?
Nous
n’en
avons
pas
besoin
parce
que
ce
sont
des
auteurs
de
théâtre
allemands,
nous
en
avons
besoin
parce
que
la
poésie
de
Lenz,
de
Buchner,
de
Kleist
ou
de
Bukowski
nous
aident
à
comprendre
le
monde
et
ce
que
nous
y
faisons.
Ce qui meut Oliver Bukowski, c’est d’être un enfant de l’Est (RDA) et que le fait d’y avoir vécu l’habite complètement. Et ce pays disparu est aussi, toujours, notre paysage à nous, dans notre rêve, notre désir d’être utiles.
Le rapport à la réalité
Je
pense
qu’un
auteur
comme
Oliver
Bukowski
offre
la
possibilité
d’articuler
des
questions
philosophiques
et
existentielles
à
partir
de
situations
très
concrètes.
Les
auteurs
Allemands
comme
Brecht,
Horvath
ou
encore
Kleist
ont
en
commun
d’être
extrêmement
engagés
dans
le
réel.
Même
si
la
langue
n’est
pas
«
réaliste
»
elle
reste
le
lieu
du
combat
avec
le
réel.
La
langue
peut
être
poétique
mais
elle
n’est
jamais
détachée
du
monde.
Il
faut
amener
les
acteurs
à
quelque
chose
de
«
terrien
»,
d’ancré
dans
le
sol…
Le
travail
corporel
des
acteurs
peut
être
totalement
chorégraphié,
très
formalisé
et
pourtant
totalement
incarné.
Cet
équilibre
devient
l’endroit
où
l’on
peut
travailler
le
sens,
la
musique,
la
chorégraphie
mais
où
on
reste
dans
une
forme
d’incarnation
donc
dans
le
concret.
Les résonances
A
la
lecture
de
A toute allure jusqu'à Denver,
j'ai
tout
de
suite
pensé
au
cinéma
des
Frères
Coen
et
en
particulier
à
leur
film
Fargo.
Leur
univers
est
très
marqué
et
ils
sont
depuis
leurs
débuts
le
symbole
du
cinéma
américain
indépendant
qui
se
joue
des
étiquettes.
A
la
manière
d’Oliver
Bukowski,
leur
écriture
est
empreinte
d’absurde
et
d’humour
noir,
choisissant
des
protagonistes
atypiques
et
des
personnages
improbables
plongés
dans
des
situations
rocambolesques.
On
peut
noter
dans
Fargo,
tout
comme
dans
la
pièce
de
Bukowski,
le
soin
apporté
au
dialecte,
cadences,
tic
de
langage
et
phraséologie
d’une
région.
Ethan
Coen
raconte
dans
un
entretien
que
«
c’est
à
partir
du
langage
que
l’on
peut
raconter
une
histoire.
En
écrivant
une
histoire,
on
cherche
à
construire
un
monde,
et
cela
passe
en
grande
partie
par
la
façon
dont
les
personnages
s’expriment.
»
On
retrouve
cette
même
intention
dans
A toute allure jusqu’à Denver
d’Oliver
Bukowski.
Ce
qui
me
touche
aussi
beaucoup
chez
les
frères
Coen,
c’est
leur
filmographie
qui
est
toute
entière
centrée
sur
les
personnages.
C’est
par
eux
que
passent
les
émotions,
dans
leur
manière
de
réagir
faces
aux
situations
les
plus
cruelles
et
les
plus
absurdes.
Comme
chez
Bukowski,
le
héros
typique
des
frères
Coen
est
celui
qui
n’a
absolument
rien
d’héroïque,
le
parfait
loser.
A
ce
titre,
la
technique
d’écriture
des
scénaristes
est
très
intéressante.
Ils
en
livrèrent
la
clé
à
la
sortie
de
The
Barber.
Ils
créent
leurs
personnages
et
ensuite
ils
se
demandent
«
qu’arriverait-il
s’ils
étaient
plongés
dans
telle
situation
?
»
Et
si
la
situation
est
très
cruelle
et
très
violente
nous
ne
pouvons
la
supporter
que
parce
que
les
personnages
dans
leur
bassesse
et
leur
cupidité
sont
profondément
humains.
Il
y
a
toujours
une
certaine
tendresse
et
une
profonde
empathie
dans
la
manière
dont
ils
sont
décrits.
C’est pour ces figures émouvantes de gens du quotidien, banals, parfois vils, violents, souvent drôles, outrés et excessifs que j’aime le cinéma des frères Coen et l’écriture d’Oliver Bukowski.
Une histoire inscrite dans les corps
Les
metteurs
en
scène
comme
Thomas
Ostermeier
et
Meyerhold
m’influencent
beaucoup,
en
particulier
tout
ce
qui
relève
de
la
question
du
rythme
au
théâtre
et
de
cette
différence
essentielle
entre
le
rythme
de
la
réalité
d’une
scène
quotidienne
et
le
rythme
de
la
scène
au
théâtre.
Le
rythme
permet
de
raconter
sur
plusieurs
niveaux
:
la
langue,
le
comportement
corporel,
la
situation
entre
les
partenaires,
la
situation
des
corps
dans
l’espace…
Travailler
sur
le
rythme,
c’est
rechercher
un
certain
degré
de
concentration
et
donner
de
la
densité
à
l’action.
Le
rythme
contribue
à
concentrer
l’action.
Il
faut
envisager
alors
la
mise
en
scène
comme
un
travail
musical
qui
se
construit
comme
une
partition.
Comment raconter la vie intérieure des personnages en s’appuyant sur les actions qu’ils font sur scène.
L’expressionnisme Allemand
La
scénographie
sera
largement
nourrie
de
l’expressionnisme
Allemand.
Le
décor
se
caractérise
par
le
chaos
:
formes
torturées,
perspectives
brisées
(prédominance
des
lignes
obliques)
niant
l’espace
géométrique
;
c’est
donc
un
décor
qui
doit
être
très
«
graphique
»
en
tous
points.
La
lumière
est
traitée
comme
“gravure”,
opérant
une
forte
accentuation
du
contraste
entre
noir
et
blanc.
Les personnages sont conçus comme des types abstraits et non comme des individus, leurs actions ne sont pas motivées psychologiquement, les gestes des acteurs sont expressifs et non-naturalistes. L’interprétation : Jeu “de biais” des acteurs qui alternent les mouvements saccadés et l’immobilité pétrifiée. Celle-ci « casse » la forme humaine pour la conformer au décor.
L’écriture de Bukowski
Oliver
Bukowski
mélange
la
langue
allemande
à
des
dialectes
locaux.
Un
théâtre
quotidien
transcendé
par
la
poésie
des
personnages
:
ce
sont
des
êtres
déclassés
mais
qui
sont
mis
en
lumière
par
ce
qu’ils
ont
de
plus
intime,
de
plus
poétique,
de
plus
immanent.
En
outre,
cette
écriture
questionne
immédiatement
l’espace
de
la
dramaturgie,
notamment
en
ce
qui
concerne
l’inscription
du
corps
dans
l’espace.
Mon
travail
doit
consister
à
passer
la
pièce
au
tamis.
La
nouveauté
doit
sortir
du
texte,
de
cet
espace
de
contrainte
qui,
paradoxalement,
donne
de
la
liberté.
J’accorde
sans
doute
une
place
prépondérante
à
l’écrivain
et
plus
modeste
au
metteur
en
scène.
La
création
me
paraît
se
situer
non
pas
à
côté
du
texte
mais
dans
l’inscription
du
corps
dans
l’espace
suscité
par
l’espace
textuel.
Fidèle à l’esprit de Brecht, Oliver Bukowski s’adresse à la classe bourgeoise européenne, cette classe sociale qui a un certain pouvoir économique et médiatique afin d’interroger son mode de vie, ses contradictions, ses frustrations. L’écriture de Bukowski confronte le public à ses mesquineries, ses démissions et rend criants ses petits arrangements de conscience en dénonçant la comédie sociale qui est la sienne et les violences du monde qu’il contribue à entretenir.
Ramener au premier plan le personnage et le récit. Une scène vivante qui s’avère nécessaire pour une société étourdie par les images télévisées et l’univers médiatique, mais aussi en manque d’humanité et que l’artifice et la superficialité des images vident de sa substance.
Antoine Marneur
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