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7 Minutes

+ d'infos sur le texte de Stefano Massini traduit par Pietro Pizzuti
lecture dirigée par Michel Didym

: Paroles à tisser

par Anaïs Heluin - Temporairement contemporain N°1

Proposé au Comité de lecture de la Mousson d'été par l'Arche Éditeur, "7minutes - Comité d'usine" de l'italien Stefano Massini est une pièce chorale sur le monde du travail. Ses injustices et ses espaces de résistance.

Trois heures vingt. Pour les dix ouvrières qui attendent leur porte-parole, Blanche, déléguée syndicale de 61 ans, près de la porte de la direction de Picard & Roche où elles sont employées, le temps commence à se faire long. « Ils vont l’inviter à dîner ou quoi ? », ironise Rachel, 26 ans, assignée aux métiers à tisser reconnaissable à ses longs bras tatoués. Chacune y va de ses pronostics. Les « dix costards-cravates » de la nouvelle direction – « un escadron », dit Mireille, qui à 22 ans ne rêve de rien d’autre que d’une vie normale – qui retiennent leur collègue vont-ils leur annoncer des suppressions de postes ? Délocaliser ? Inspiré d’une histoire vraie, 7 minutes – comité d’usine de Stefano Massini donne à approcher un plan social de l’intérieur. Par la parole des premiers concernés, celle des travailleuses.


Le verdict finit par tomber. Tous les emplois seront conservés, à une seule condition : que chacune des 200 ouvrières de l’usine de textile accepte de renoncer à sept minutes, sur les quinze normalement accordées, de pause déjeuner quotidienne. Un détail pour les dix femmes qui s’attendaient au pire ; du chantage pour Blanche, qui tente d’expliquer son point de vue à ses collègues. Après sa fameuse pièce Chapitres de la chute (Saga des Lehman Brothers), occasion pour lui de pénétrer dans le milieu hostile et fermé de la finance, et Terre noire où il raconte le combat d’un paysan sud-africain contre une multinationale, l’auteur et directeur depuis 2015 du Piccolo Teatro de Milan poursuit ainsi son analyse des dérives du système capitaliste et sa quête de lieux de résistance même infimes. Même promis à l’échec.


Si 7 minutes – comité d’usine évoque l’histoire des Lips, dont Christian Rouaud a fait un film passionnant, ou encore celle des Fralibs que Philippe Durand a récemment portée sur scène dans 1336 (Parole de Fralibs), la lutte qui s’y déploie n’est jamais donnée pour acquise. Peu importe en fait son issue. L’essentiel, chez Stefano Massini, c’est le débat qui se noue entre ses onze protagonistes. La naissance d’une conscience de mécanismes de domination qui entravent d’habitude la réflexion et toute velléité de révolte. Chorale – Michel Didym, directeur de la Mousson d’été, va d’ailleurs en faire un opéra sur un livret de Giorgio Battistelli, qui sera créé à Nancy en février 2019 à l’Opéra National de Lorraine –, cette pièce est pourtant loin d’offrir un tableau homogène du monde du travail d’aujourd’hui.


Au fur et à mesure du débat sensé aboutir à un vote, des tensions internes au comité d’usine se dessinent. Des personnalités contrastées aussi, plus ou moins portées vers le collectif. Plus ou moins armées pour penser le problème qui leur est soumis, même si aucune n’est érigée en figure héroïque. Pas de version ouvrière et contemporaine de Anna Polikovskaïa, la célèbre journaliste et militante des droits de l’homme russe à qui Stefano Massini consacre sa pièce Femme non-rééducable, parmi les personnages de cette oeuvre. Abstraits – les « dix costards-cravates n’apparaissent jamais –, leurs adversaires fragilisent en premier lieu leur capacité à formuler ce qui leur arrive. Si bien que, plus encore qu’un drame social, 7 minutes est un drame de la parole. Déjà connu de la Mousson d’été, où a été lu pour la première fois sa pièce Ô-dieux sur le conflit israélo-palestinien, Stefano Massini renoue ici avec une forme dialoguée qu’il a jusque-là assez peu exploré. Cela au profit d’écritures hybrides dont les parties sont considérées par l’auteur lui-même comme « un ensemble de suggestions ». « Un catalogue de possibilités », dit-il au sujet de Chapitres de la chute, Saga des Lehman Brothers. Le nombre et la diversité des voix qui s’entremêlent dans ww en fait toutefois aussi un matériau composite, bien que d’une autre nature. Ouverte à l’interprétation de Michel Didym, qui en dirige la lecture à la Mousson, et à celle de ses sept comédiennes, Marie-Sohna Condé, Catherine Matisse, Louise Orry-Diquiéro, Odja Llorca, Johanna Nizard, Julie Pilod, Emeline Touron et Julia Vidit.

Anaïs Heluin

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