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20 Msv

+ d'infos sur le texte de Bruno Meyssat
mise en scène Bruno Meyssat

: Notes d'intention

« 20 mSv » n’est pas une réponse exhaustive face aux interrogations soulevées par un sujet si vaste mais la réponse restituée au plateau d’un ensemble de personnes (acteurs et techniciens) ayant consacré leur intimité et une grande attention lors d’une collective traversée d’expériences et d’informations sur ce sujet. .


« 20 mSv » sera notre réponse, celle de notre rationalité mais aussi celles des réalités subconscientes qui se seront manifestées à la fréquentation de ce monde.


Quelques questions se distinguent :


Qu’est-ce que le « Nucléaire » dit de notre humanité ? De quoi est-il l’image ?


Que traduisent de nous ces efforts de casser de la matière, de la rendre instable pour des temporalités insaisissables pour l’esprit et de fabriquer des déchets sans cesse plus dangereux à partir d’autres déchets ?


Si les catastrophes concernent des lieux précis et des gens, comment les autres lieux et les autres gens -épargnés- accompagnent-ils ces malheureux sédentaires ?


Le « nucléaire » est-il encore « une aire-témoin » de la globalisation ?


« Qu’est ce que perdre définitivement un territoire ? »


Qu’est ce que le vécu de la contamination - déclarée ou éventuelle - ?


Qu’est ce qui entrave nos représentations de ces dangers -voire notre action pour les suspendre- ?


Ces questions seront posées et mises en partage au début du travail Le sujet du « nucléaire » est cardinal, on le découvre omniprésent dans nos vies. Il l’est d’autant plus en France, pays dont la densité d’équipements atomiques est la plus importante du monde.


« 20 mSv » entre en résonance avec deux autres réalisations de Théâtres du Shaman : Observer (2009) au sujet de Hiroshima et de Nagasaki et 15 % (2012) traitant de la finance globalisée. Le Nucléaire et le Financier se ressemblent par leur sophistication technique mais aussi pour ce qui regarde leurs perpétrateurs et leurs communicants.
Le spectacle comportera des citations de documents, témoignages, réflexions et annonces publiques. Mais il pourra aussi contenir des extraits de textes philosophiques, dramatiques ou romanesques.


Petit historique du projet


En octobre 2015 je me suis rendu à Tokyo pour mener un atelier avec un groupe d’étudiants franco-japonais. Arrivé au Japon j’ai désiré me rendre au plus près de la centrale endommagée. Je me suis donc retrouvé après diverses stations devant les portes même de la centrale de Fukushima Dai-Ichi, assistant à la sortie des cars d’employés. Ce que j’ai pu observer ensuite dans la zone contaminée et placée sous surveillance, m’a impressionné durablement. De retour en France j’ai commencé à me documenter au sujet de cette catastrophe et de la façon dont elle se perpétue. J’ai été attentif à la manière dont elle est décrite et commentée. Au fur et à mesure de ma progression je me suis intéressé au « nucléaire français » puisque nous sommes, à ce jour, la nation la plus équipée du monde rapport au nombre d’habitants. Je me suis rendu compte que la France est aussi la seule nation fortement nucléarisée encore épargnée par un accident de grande ampleur. J’ai pris connaissance des nombreux liens commerciaux qui unissent le Japon et la France dans ce secteur industriel.


L’imagination et le fantastique


On peut dire que « 20 mSv  » est un spectacle au sujet de l’imagination tant le nucléaire offre de résistances à paraître sous quelque forme que ce soit for des contenus éculés et inopérants. On ne connaît souvent du nucléaire que l’icône de ses tours de réfrigérations et leurs panaches de fumées. Il nous faut trouver des équivalents imaginaires aux données et aux opérations invisibles de cette activité.


Alors qu’on s’attache le plus souvent à ses inventions, l’homme est bien au centre de l’industrie nucléaire. C’est lui qu’il faut observer dans ce contexte et dans ses interventions, même si la mise en crise de la matière, sa fission, demeure le point aveugle de l’ensemble et qu’en cet endroit l’humain est exclu à tout jamais.
L’accident de Fukushima a principalement des causes humaines.


La voie anthropologique est pour nous la plus juste pour aborder toutes ces réalités. Il nous faut donc repérer et travailler les métaphores de cette activité industrielle.
Le nucléaire nous exprime.
Il le fait car en lui se côtoient les entités les plus opposées de notre rapport au monde, de nos mentalités. Le Nucléaire étire l’homme. Il éprouve sa continuité, révèle sa nature composite.
L’invisibilité, la puissance et la nuisance des processus engagés y sont exceptionnelles. Ce qui touche aux radiations est irreprésentable et ouvre des perspectives temporelles sur lesquelles nous ne pouvons pas formuler d’images aux contours conventionnels.
Le nucléaire touche au fantastique.
Il nous pose aussi des questions ontologiques, indépendantes de l’histoire immédiate où nous sommes enlisés. La relation que nous développons avec lui et ses créatures favorise une abondance de projections. C’est tout cet ensemble serré de représentations qu’il nous convient de ressentir, d’explorer.


Magie blanche


Les travailleurs du nucléaire exposés à la peur ou habités de pressentiments subliminaux permanents ne sont pas sans ressources. Une sorte de « magie blanche » leur vient en aide. Ces représentations vont agir sur ce qui n’a pas de figure et inventer des stratégies pour renouer avec un minimum de sérénité. Chacun va négocier sa santé et le maintien de son énergie
dans la proximité d’un espace-temps où l’homme restera toujours un intrus. Une situation paradoxale s’installe : la proximité anxieuse et acceptée d’une grande toxicité aux effets différés et un silence installé sous toutes ses formes. On n’en parle pas, on ne voit rien.


Un autre état est observé, crucial. Il renvoie précisément à notre modernité : l’ennui.
Ce sentiment gris provient de la perte d’engagement propre à l’automatisme généralisé des activités de haute technologie. Dans le secteur nucléaire nombre de manipulations, pour des raisons de sécurité, sont médiatisées par la robotique et éloignées de l’agent pas des vitres épaisses parfois d’un mètre. Mais surtout en embuscade pointe une envie subliminale de catastrophe dont les employés témoignent à demi-mot. Comme ça il leur sera arrivé quelque chose un jour.


Ce divorce entre le vécu intime, atone et l’intensité espérée d’un accident provenant d’un écart de procédure marque les esprits. Dans cette abstraction étale (signe que tout se passe bien) un accident peut donc être espéré pour que ses participants renouent avec l’intensité attendue de la vie. C’est ce qu’on peut entendre ici ou là, de façon diffuse, dans une société qui se perpétue sans but.


Du travail humain, le mieux encore serait de s’en débarrasser. Comme une sorte de sous-traitance qui aurait pour vertu supplémentaire de se dissoudre avec le temps. Opérer en toute discrétion une extinction artificielle de la radioactivité reçue.


Le nucléaire catalyse des activités mentales en suspension dans nos sociétés qualifiées de modernes. Pour peu qu’elles soient exposées aux catastrophes ou aux tensions anxieuses prolongées, ces pensées disponibles en notre for intérieur, reparaissent et elles reprennent leur vigueur ancestrale.


Si on y regarde bien, le nucléaire est le parangon de ce siècle débutant.
Son marbre noir.


Territoires perdus


Enfin, il existe un projet moins connu des opinions et pourtant plus important. Il s’agit de communications portant sur les populations touchées par ces catastrophes. Elles peuvent générer de nouvelles normes visant à accommoder les habitants concernées par des taux de radioactivités bien supérieures à celles jusqu’à lors admises. Cela posera les cadres planétaires d’un nouveau « vivre avec l’accident nucléaire » : un inéluctable désormais accepté. Transition majeure. C’est une nouvelle victoire des nomades sur les sédentaires. Dans le mode capitaliste de production, les capitaux circulent mais l’industrie et les travailleurs demeurent sur place.


Il faut évoquer ce clivage sédentaires-nomades, central dans toutes ces affaires et dans nos vies. C’est la part d’ombre d’une collectivité qui se dissout.


Nous proposons de travailler au plateau ces réalités. Les percevoir, de les entendre, et surtout de les ressentir en nous, français de 2018, habitants du Nucléaire, incorporés à ces réalités.

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