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1983

+ d'infos sur le texte de Alice Carré
mise en scène Margaux Eskenazi

: Note d'intention

Par Margaux Eskenazi et Alice Carré

Après deux spectacles sur les poétiques de la décolonisation et les amnésies coloniales, nous poursuivons notre réflexion sur les identités françaises et nos transmissions mémorielles. Ce prochain spectacle est le troisième volet de notre triptyque « Ecrire en pays dominé ».


A la jonction de l’intime et du collectif, notre théâtre s’ancre dans un travail d’enquêtes et de recherche, qui se nourrit de la rencontre de témoins, d'associations et de relais sur les territoires.


Porté par un travail de troupe, une écriture de plateau sur un temps long et une implication de tous les membres de l'équipe, nous cherchons la friction du réel et du théâtre, en nous demandant à chaque instant :
Quels récits avons-nous hérité ?
Quels récits souhaitons-nous écrire pour notre présent ?


A l’été 83, de nombreuses violences policières ont lieu dans le quartier des Minguettes à Vénissieux. On appelle ça « l'été chaud ». Toumi Djaïdja, alors président de l’association SOS Avenir Minguettes, est victime de blessures graves et hospitalisé en urgence.


Le 15 octobre 1983, 17 jeunes Français entreprennent une longue Marche pour l’Egalité et contre le Racisme qui les mènera de Marseille à Paris. Inspirés des méthodes pacifistes de Martin Luther King, ces « marcheurs » revendiquent leur place, en tant qu’enfants d’immigrés et d’ouvriers, dans la société française. 100 000 personnes les attendent à Paris le 3 décembre, et François Mitterrand accède à l’une de leurs revendications : la carte de séjour de dix ans.


C'est une journée d'euphorie.


Cet événement, baptisé par les médias « Marche des beurs », insuffle l’espoir d’une reconnaissance sociale pour les deuxièmes générations d’immigration, notamment algériennes, marocaines et tunisiennes. Au soir du 3 décembre, certains déclarent que c’est « leur mai 68 à eux ». Ils pensent avoir enterré le racisme et trouvé leur légitimité sur le sol de France. Selon l'historien algérien Mohammed Harbi :
« La marche pour l’égalité enterre définitivement l’idée du retour ». Ces enfants-marcheurs, seront désormais inscrits sur le territoire français. Le groupe de musique, « Carte de séjour » avec Rachid Taha, en devient un des symboles. Cette fusion du rock et du raï fait que la France est douce et leur appartient, qu'on y chante en arabe autant qu'en français, qu'on parle Charles Trenet ou Zoubida.


Malheureusement, dans les mois qui suivent, la recrudescence des crimes racistes et des violences policières démentent cet espoir. Ce mouvement ne débouche pas sur une inscription durable des jeunes issus de l’immigration dans la vie politique. Les quartiers populaires perdent de plus en plus leur mixité, le monde ouvrier disparaît et la gauche se désengage de ces territoires.


La hausse du chômage et le durcissement des politiques migratoires conduisent à un sentiment d’exclusion croissant chez les deuxièmes et troisièmes générations d’immigrés. Cette journée d'euphorie retombe bien rapidement.


Le 10 mai 1981, François Mitterrand devient le premier président socialiste de la Vème République. Cette victoire est aussi une journée d'euphorie pour une partie de la population. L'année 1983, deux ans après l'élection, représente un tournant de la vie politique française.


Mitterrand opte pour « tournant de la rigueur » et choisit d’épouser une politique économique européenne résolument plus libérale. Il se coupe progressivement des enjeux sociaux, ce qui aura un impact sur la question de l’intégration et des politiques migratoires. En écho à ce tournant de la rigueur et au mouvement anti-raciste qui prend une place médiatique et politique importante, le parti fondé par Jean-Marie Le Pen en 1972 s'inscrit dans le paysage politique français : il obtient sa première mairie à Dreux en mars 1983 et atteindra lors des régionales de 1984, 10,9% des voix.


En 1983, on ne pourra plus faire sans le Front National.


Cette journée d'euphorie de 1981 retombe aussi rapidement.


1983 serait donc la trajectoire de deux euphories pour penser notre contemporain.


Les années 80 sont un moment crucial de la rupture qui s’opère entre la nation et ses quartiers populaires. En pensant l’écart entre « les marcheurs de 1983 » et les « émeutiers de 2005 » , le projet espère lancer une réflexion sur les relations complexes entre les politiques et les quartiers populaires jusqu’à aujourd’hui. Période charnière où les violences policières à destination des fils d’immigrés algériens (et plus largement maghrébins) rejouent dans les banlieues les violences de la guerre d’Algérie, où le Front National apparaît dans le paysage politique français, et où les enfants de l’immigration nord-africaine revendiquent une part active dans la société française, elle serait, selon Stéphane Beaud, le moment d’un « rendez-vous manqué avec la gauche ». Ce que nous connaissons aujourd’hui, l’absence de mixité des quartiers populaires, la montée de l’Extrême droite, les violences policières trouvent des échos fondamentaux dans les années 80. Ainsi, il s’agit comme dans les précédents spectacles de la compagnie de questionner notre société contemporaine en se permettant un détour sur le passé.


Nous retrouvons notre sainte trinité d'écriture :
- le politique avec ce travail de recherche historique approfondi que nous effectuerons autour des trajectoire de Mitterrand, du tournant de la rigueur, de l'émergence du Front National et les questions de violences policières.
- le poétique autour des mouvements de R.A.P (Rock against the police), de la figure de Rachid Taha et du groupe « Carte de Séjour ».
- l'intime avec tout un processus d'enquête et de travail de terrain auprès des marcheurs, enfants de marcheurs, relais et associations où nous chercherons à creuser comment les mémoires se transmettent ou non au sein des familles.


  • Margaux Eskenazi et Alice Carré
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