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Biographie langagière, outil de formation à l'école

Être bilingue

Être bilingue, devenir plurilingue

Il existe beaucoup d’idées reçues fausses sur l’acquisition de la langue française par les migrants, le bilinguisme et la compétence langagière bilingue ou plurilingue de manière générale. Pour y faire un sort, on pourra recourir à quelques liens utiles :

Par exemple, comptes rendus de la journée sur la migration et les langues à la Cité de l’Histoire de l’immigration, le 25 septembre 2013.

Vidéos de la journée

Français langue de scolarisation / Des ressources pédagogiques Concepts clés sur l'apprentissage du français langue de scolarisation. Voir le PDF

Le site de François Grosjean, professeur honoraire de l'université de Neuchâtel en Suisse, vous permettra entre autres de faire le point sur « les mythes du bilinguisme », « sur ce que le bilinguisme n’est pas » et sur « ce que les parents veulent savoir sur le bilinguisme ».

Le sociolinguiste américain J.J. Gumperz définit la notion de répertoire verbal en 1964 comme l’ensemble des variétés nationales, régionales, sociales et fonctionnelles telles qu’elles sont utilisées dans les situations de communications auxquelles l’individu ou le groupe sont confrontés. Il englobe l’ensemble des ressources communicatives mobilisées par un sujet pour communiquer dans des situations réelles, socialement et culturellement significatives, c'est-à-dire quel que soit le degré de maîtrise qu’il en a, le statut, les fonctions et les valeurs sociales assignés à ces langues. Son approche qui dépasse une vision des langues et des registres compartimentés alors prédominant aura beaucoup d’impacts en sociolinguistique et en didactique des langues sur la façon d’envisager le bilinguisme. Le répertoire verbal est alors décrit comme un ensemble de ressources dans lesquelles  les locuteurs puisent en fonction des significations qu’ils veulent transmettre (Grosjean : 1982). Que ce soit en milieu multilingue ou monolingue, il s’élabore au fur et à mesure des contacts sociaux avec des locuteurs de mêmes langues, d’autres langues et au fur et à mesure des différents apprentissages et expériences linguistiques.

Pour le psycholinguiste suisse F. Grosjean (1984 : 16), « … est bilingue la personne qui se sert régulièrement de deux langues dans la vie de tous les jours et non celle qui possède une maîtrise semblable (et parfaite) des deux langues. Elle devient bilingue parce qu’elle a besoin de communiquer avec le monde environnant par l’intermédiaire de deux langues et le reste tant que ce besoin se fait sentir ».

Les besoins de communication sont rarement équivalents dans les deux langues. Si une langue est plus utilisée que l’autre, le bilinguisme est dominant, ce qui constitue le cas de figure le plus courant. Un certain nombre de facteurs sont à prendre en considération, comme l’intensité des pratiques, les conditions d’acquisition des langues, les rôles sociaux qui leur sont attribués, les facteurs personnels et affectifs. Ces facteurs expliquent les différences de maîtrise des langues qui existent chez les individus bilingues.

Le bilinguisme est envisagé comme un fait naturel qui concerne au moins la moitié de la population du monde. Le fait que le bilinguisme soit la règle et l’unilinguisme l’exception est devenu un objet de revendication des sociolinguistes (Grosjean, 1982 ; Billiez, 1997 ; Calvet, 2003 ; Lüdi et Py, 2003[1986]) et un moyen de lutter contre les représentations d’un monolinguisme dominant largement omniprésent dans l’idéologie des pays industrialisés dont la France.

Pour le Cadre Européen Commun de Références pour les langues (2001) « […] l’approche plurilingue met l’accent sur le fait que, au fur et à mesure que l’expérience langagière d’un individu dans son contexte culturel s’étend de la langue familiale à celle du groupe social puis à celle d’autres groupes (que ce soit par apprentissage scolaire ou sur le tas), il/elle ne classe pas ces langues et ces cultures dans des compartiments séparés mais construit plutôt une compétence communicative à laquelle contribuent toute connaissance et toute expérience des langues et dans laquelle les langues sont en corrélation et interagissent. Dans des situations différentes, un locuteur peut faire appel avec souplesse aux différentes parties de cette compétence pour entrer efficacement en communication avec un interlocuteur donné. Des partenaires peuvent, par exemple, passer d’une langue ou d’un dialecte à l’autre, chacun exploitant la capacité de l’un et de l’autre pour s’exprimer dans une langue et comprendre l’autre. D’aucun peut faire appel à sa connaissance de différentes langues pour comprendre un texte écrit, voire oral, dans une langue a priori « inconnue », en reconnaissant des mots déguisés mais appartenant à un stock international commun. Ceux qui ont une connaissance, même faible, peuvent aider ceux qui n’en ont aucune à communiquer par la médiation entre individus qui n’ont aucune langue en commun. En l’absence d’un médiateur, ces personnes peuvent toutefois parvenir à un certain niveau de communication en mettant en jeu tout leur outillage langagier, en essayant des expressions possibles en différents dialectes ou langues, en exploitant le paralinguistique (mimique, geste, mime, etc.) et en simplifiant radicalement leur usage de la langue. »i (CECRL, 2001 : 11).

Types de bilinguisme

Les chercheurs distinguent plusieurs modes de bilinguisme, en fonction du statut des langues respectives et de leurs modes d’acquisition. Le bilinguisme soustractif ou négatif relève de la domination de la langue institutionnelle et scolaire majoritaire sur la langue familiale minoritaire. On parle au contraire de bilinguisme additif ou positif lorsque la langue familiale reste solide et pleine de vitalité. On distingue aussi les conditions d’apprentissage et les temporalités : le bilinguisme peut être enfantin (dit précoce) ou plus tardif. Il est aussi simultané ou consécutif, suivant que les deux langues sont acquises en même temps ou successivement (pour plus d’informations sur le sujet, lire Hélot, 2007 et Hélot et Rubio, 2013).

Synthèse des recherches actuelles

Nous savons depuis les travaux menés par J. Cummins depuis les années 75 que la ou les langues premières permet(tent) les transferts de connaissance vers la langue 2 et les autres langues. Le développement de la compétence en langue seconde est lié à la compétence en langue maternelle au début de l’apprentissage, ces deux compétences sont interdépendantes. L’enfant doit développer dans sa langue maternelle une compétence langagière à un niveau suffisant, qu’on appelle le niveau seuil, pour que l’apprentissage dans la langue seconde soit facilité sur ces bases.

Rappelons que le bilinguisme équilibré reste un fantasme. En réalité, on adapte ses ressources en fonction des besoins, des contextes, des circonstances et des exigences pragmatiques et conversationnelles des réaménagements identitaires. Le mélange des langues quant à lui, si fortement stigmatisé, à l’école notamment, se régule en réalité progressivement.

La compétence langagière du bilingue le rend beaucoup plus performant que le monolingue dans l’acquisition ou l’apprentissage de nouvelles langues ou de nouvelles variétés de langue.

Pourquoi prendre en compte les langues des élèves dans l’espace scolaire ?

De nombreuses études montrent que la non reconnaissance des langues de la famille a des effets négatifs désastreux sur l'apprentissage, l’acquisition des compétences notamment langagières, la motivation, l'estime de soi (Cummins, 2001; Hamers, 2005; Moore, 2006) et qu'à l'inverse, la valorisation de la ou des langues secondes de l'apprenant a des effets positifs, en favorisant par exemple la "sécurité linguistique" et les transferts d'acquis cognitifs et langagiers d'une langue à l'autre (Armand, Dagenais, Nicollin, 2008).

Les travaux, en particulier dans le contexte du Canada, mettent en évidence également l'importance des collaborations familles (im)migrantes-écoles et familles-écoles-organismes communautaires ou monde associatif dans la réussite scolaire de jeunes (Vatz-Laaroussi et al., 2008; les travaux de Cummins autour des textes d’identité ; la synthèse de D. Moore (2006). Cette collaboration nécessite de la part des enseignants ou/et des chefs d'établissement une aptitude à s'ouvrir sur l'extérieur de l'école, aux familles et à y produire les conditions d’une expérience de l’altérité.

Nous rappellerons à la suite de Simon et Moro (2011 : 144 dans revue l’Autre vol. 12) qu’« essentiellement inclusif, le paradigme plurilingue conceptualise l’accueil et la reconnaissance des langues et cultures, « maternelles » et secondes, d’un sujet – quel qu’en soit le degré de maitrise – et fait de la diversité une ressource, une richesse pour l’individu et pour la société », et notamment pour l’école.

Ce que le bilinguisme n’est pas :

  • Deux monolinguismes cloisonnés et sans aucun contact entre eux, maîtrisés au même niveau, pour les mêmes usages et les mêmes contextes, avec les mêmes valeurs, les mêmes relations affectives ou intellectuelles.
  • Un handicap, une déficience cognitive nuisant aux apprentissages, une source de difficultés langagières, une négation de la ou des langues familiales au profit de langues jugées plus valorisées.

Références bibliographiques

N.B. : cf bibliographie générale dans "ressources"

  • ARMAND, F., DAGENAIS, D., NICOLLIN, L. (2008): La dimension linguistique des enjeux interculturels : de l’Éveil aux langues à l’éducation plurilingue. In M. McAndrew (dir.), Rapports ethniques et éducation : perspectives nationale et internationale [numéro spécial]. Revue Éducation et Francophonie, vol. XXXVI, no 1 : 44-64. Disponible en ligne
  • CUMMINS J., 2001, « La langue maternelle des enfants bilingues », Sprogforum n°19, pp. 15-20. Voir le PDF
  • DALGALIAN G., 2000, Enfances plurilingues. Témoignage pour une éducation bilingue et plurilinguei, L’Harmattan.
  • DEPREZ C., 1994, Les enfants bilingues : langues et familles, Collection CREDIF Essais, Didier.
  • GROSJEAN F., 1984, « Le bilinguisme: vivre avec deux langues », in Tranel n° 7, Neuchâtel, traduction de Grosjean, 1982, Life with two languages, London, Harvard University Press.
  • GUMPERZ J-J., 1964, “Linguistic and social interaction in two communities" in American Anthropologist, 1964, n°2, pp.37-53.
  • LÜDI G. & PY B., 2003 [1986], Être bilingue, Peter Lang [3e édition].
  • HAMERS J et BLANC M., 1984, Bilingualité et bilinguisme, Bruxelles, Margada.
  • HAMERS J., 2005, « Le rôle de la L1 dans les acquisitions ultérieures », dans L. F. Prudent, F. Tupin et S. Wharton (eds.), Du plurilinguisme à l’école, Berne, Peter Lang, 271-292.
  • HÉLOT C., 2007, Du bilinguisme en famille au plurilinguisme à l’école, Paris : L’Harmattan.
  • HÉLOT C. & RUBIO M-N., 2013, Développement du langage et plurilinguisme chez le jeune enfant, Toulouse : Erès.
  • In MOREAU M-L, Sociolinguistique concepts de base, bilinguisme MACKEY WF, 61-64.
  • Revue transculturelle L’autre. 2011. Vol. 12. n°2. Dossier L’enfant plurilingue à l’école. Grenoble : Éditions La pensée sauvage.
  • VATZ-LAAROUSSI M., RACHÉDI L. et KANOUTÉ F., 2008, Les divers modèles de collaboration familles immigrantes-écoles : de l’implication assignée au partenariat, Revue des sciences de l’éducation, Vol. XXXIV, No2, p.291-312.